Le chapô de La Paix Maintenant 

L’inévitable chute dont augure l’apogée où Nétanyahou plane avec Trump, selon le titre originel de l’article de Chemi Shalev analysant à chaud les propos tenus mercredi dernier par le nouveau président et l’indéracinable Premier ministre, tous deux bénéficiaires de systèmes électoraux peu représentatifs de la réalité des suffrages.

Le présage n’a pas tardé à se vérifier : fidèle à sa réputation d’imprévisibilité, Trump n’a attendu qu’une journée après le départ de son hôte chéri et célébré pour remettre en question certains points – et non des moindres – évoqués lors de leur commune conférence de presse, à commencer par une réaffirmation du soutien américain à la solution des deux États ; et pas même une semaine pour enfoncer le clou sur les programmes de construction dans les Territoires, dont Nétanyahou n’eut plus qu’à annuler précipitamment l’annonce.

En ce qui concerne le Premier ministre d’Israël, souligne le correspondant spécial du Ha’Aretz à Washington, celui qui se veut le preux chevalier défenseur des Juifs de par le monde « a préféré s’attirer les bonnes grâces du nouveau président et de ses sous-fifres plutôt que d’afficher une empathie, même feinte, aux Juifs américains». Mais nous le savions déjà, la lutte contre l’antisémitisme n’est jamais qu’une arme politique de plus à son service…

 

 

Ha’Aretz, le 16 fév. 2017 : “Netanyahu’s high with Trump portends an inevitable fall.”  

Trad., chapô & notes : Tal Aronzon pour LPM.

 

Caricature d’Amos Biderman – Nétanyahou arrive à la rencontre : “Pourvu qu’ils ne nous fassent pas sauter le fiancé…” 

 

L’article de Chemi Shalev

Durant son extraordinaire conférence de presse avec Donald Trump mercredi soir, le Premier ministre Benyamin Nétanyahou avait, et à juste titre, grand mal à gommer de sa face un sourire d’auto-satisfaction. Pour la première fois de sa carrière d’homme politique, un accueil royal lui était réservé à la Maison-Blanche. Si Barack Obama n’avait fait en son honneur que le strict minimum, Trump le reçut de la meilleure façon possible. Il sortit même de ses habitudes pour remercier et complimenter la femme du Premier ministre, Sara, assurant pour les nombreux mois à venir la maison Nétanyahou en particulier, et Israël tout entier, de sa vénération.

Mais l’exaltation de son ego n’est pas forcément de bon augure pour l’avenir. Du temps où il perça arbitrairement une sortie du tunnel vers le Kotel, allumant des émeutes meurtrières [1] ; à l’outrecuidance de sa gestion de l’affaire du Mavi-Marmara, qui mena à la rupture des relations avec la Turquie [2] ; puis à sa tentative suffisante et finalement ratée d’intervenir dans la politique américaine afin de bloquer l’accord sur le nucléaire iranien – quand Nétanyahou baigne dans l’euphorie, c’est le moment d’inspecter les abris. Comme nous en avertit le Livre des Proverbes, chap. 18, verset 16 : « Avant la cassure, l’orgueil ; avant la chute, l’arrogance. » [3] Si Nétanyahou plane, le crash n’est jamais bien loin.

Ce dernier n’en avait pas moins de bons prétextes à se réjouir mercredi soir : Au lieu d’Obama, qui peinait souvent à cacher son dédain, Nétanyahou fut reçu par un Trump reconnaissant, qui ne semblait que trop heureux de distraire son esprit du scandale dans lequel son administration s’embourbait à la suite de la démission de son conseiller à la Sécurité nationale, Michael Flynn ; À la place d’Obama, qui se flattait de n’être pas moins au fait des complexités du conflit israélo-palestinien que le Premier ministre israélien, celui-ci se retrouva face à un président ignorant voire pis, un vase ostensiblement vide prêt peut-être à se laisser gorger de ses célèbres shticks and tricks [4], ses manips et arnaques. Il a enfin loisir de déverser ses sermons à propos des bons Juifs et des mauvais Arabes sans avoir à contempler le visage aigre d’Obama. Ses messages ultra-droitistes, tout en noir ou blanc, ont trouvé un écho favorable dans l’entourage de Trump, quoiqu’on puisse douter que le président soit capable, compte-tenu d’une faculté d’attention que l’on sait réduite, de les assimiler à long terme.

La nuit fut certes difficile pour les tenants d’un accord de paix avec les Palestiniens, mais ils peuvent du moins tirer quelque réconfort de la demande impromptue de Trump à Nétanyahou de « faire preuve de retenue dans le développement des colonies pendant un moment », et de son perpétuel soutien de façade à la recherche d’une solution au conflit. Cela ne saurait cependant compenser le dur coup porté à la solution à deux États, que le Premier ministre a fermement refusé d’avaliser, soit qu’il s’incline devant les pressions de partenaires plus à sa droite au sein de la coalition, soit qu’il profite de la première occasion donnée de renier le discours de Bar-Ilan [5], qui lui avait été de fait imposé par Obama. Trump, de son côté, n’est pas seulement revenu sur le soutien américain à une solution à deux États, il a écarté la nécessité d’adopter quelque position que ce soit, usant d’une formule aux accents nihilistes : « Un État, deux États, que m’importe. »

Ce fut une nuit où se remémorer les tenants du messianisme, les annexionnistes, les admirateurs du Hamas et les partisans d’un Israël non juif et démocratique. Quant aux dirigeants palestiniens, Nétanyahou et Trump leur donnèrent de bonnes raisons de se sentir abandonnés, comme orphelins.

Les oraisons funèbres en mémoire de la solution à deux États pourraient néanmoins être un peu prématurées. Même si Israël et les États-Unis n’ont désormais plus besoin de prétendre la soutenir, les États arabes – candidats supposés à une initiative de paix régionale – auront à cœur de la leur rappeler. Trump semblait surpris que Nétanyahou mentionne le plan de paix régional, clamant qu’il s’agissait là d’un nouveau concept : Il n’en est évidement rien, bien qu’un Trump mal informé n’ait guère eu moyen de le savoir, il croit probablement que les accords d’Oslo ont quelque chose à voir avec les forages norvégiens en mer du Nord. Il se peut que les Arabes visent à des liens stratégiques plus serrés avec Israël et se délectent de la ligne supposée dure du nouveau président envers l’Iran ; mais ils ne se joindront à aucune initiative de paix sans feuille de vigne palestinienne, laquelle inclura en fin de compte la renaissance de la formule à deux États.

Si Nétanyahou et Trump ont jeté quelques miettes aux “gauchos [6] et pacifios[7] afin qu’ils n’aient pas le cœur trop lourd, tel ne fut pas le cas concernant les Juifs américains, poignardés dans le dos par le Premier ministre juste avant d’être poussés sous le bus en marche : grâce à l’occasion offerte par le courageux reporter israélien Moav Vardi d’émettre enfin une critique, même feinte, de l’antisémitisme généré sous les auspices du président nouveau, ou d’exprimer un peu d’empathie envers les Juifs américains en proie à la peur et l’angoisse – il a préféré lécher sans vergogne les bottes de Trump et mendier les faveurs de son équipe, suprématistes blancs compris, qu’il a gratifiés d’un certificat d’orthodoxie et d’une complète “indulgence”. Pour Nétanyahou, le chef auto-proclamé du peuple juif qui bondit toutes griffes dehors à chaque manifestation d’antisémitisme en des pays moins épris de ses charmes, ce fut un moment qui restera marqué du sceau de l’infamie.

La réaction de Trump à la même question fut plus étrange encore. Après avoir brandi en étendard sa fille, son gendre et ses petits-enfants – supposés le placer au-dessus de tout soupçon de malveillance envers les Juifs – il balbutia quelque chose à propos de l’amour qui triomphera de tout, vague réminiscence peut-être de ses jeunes années. Ce fut un dur rappel du contexte anormal de cette conférence de presse, étonnamment convoquée avant et non après la véritable rencontre des deux dirigeants. La présence de Nétanyahou, au bout du compte, ne changea rien au fait que le président des États-Unis est en grande part ignorant des affaires internationales, apparement incapable de distinguer la réalité du mythe, et se voue bizarrement à sa propre élévation comme si besoin en était encore. Quand il déclara que l’éventuelle compromission de son conseiller à la Sécurité nationale n’était rien comparée aux gens qui laissèrent filtrer les informations à ce sujet et aux journaux qui les publièrent, le dirigeant israélien le regarda avec un sourire de jubilation, voire d’envie.

La combativité de Trump devrait pourtant servir de signal d’alerte. Aussi longtemps que le Premier ministre d’Israël chantera les louanges du président américain comme il le fit mercredi, aussi longtemps qu’il ne le contrariera ni ne le vexera, il se verra chaleureusement accueilli. Mais dès que Nétanyahou changera d’attitude – et ce moment viendra – il se souviendra avec tendresse de la grande nuit inaugurale qu’il connut à Washington et d’où il ne pouvait que chuter.

 

Notes de la Rédaction

[1] Septembre 1996 – Nétanyahou crée, sans consultation préalable des services de sécurité, une nouvelle ouverture vers le mur dit des Lamentations et le quartier juif dans le tunnel des Asmonéens qui va depuis Sheikh Jarrah, au nord-est du mont Moriah, jusqu’à la via Dolorosa. Des émeutes embrasent les Territoires, particulièrement violentes dans la bande de Gaza et à Naplouse, faisant au total 65 morts palestiniens et 14 parmi les soldats israéliens.

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L’extension de la colonisation, fouilles archéologiques et aménagements touristiques aidant, n’a depuis pas cessé à Sheikh Jarrah, difficilement contrée par des piquets de veille et des manifestations israélo-palestiniennes hebdomadaires sur les lieux violemment délogés par l’armée. Diverses associations, dont Shalom Akhshav, se solidarisent avec cette lutte.

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[2] L’affaire du Mavi-Marmara, pris d’assaut par un commando d’élite israélien alors qu’il tentait de briser le blocus de Gaza est encore dans toutes les mémoires, ainsi que ses suites diplomatiques et judiciaires.

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[3] לִפְנֵי-שֶׁבֶר גָּאוֹן; וְלִפְנֵי כִשָּׁלוֹן, גֹּבַהּ רוּחַ – Trad. littéraire du rabbinat, 19e siècle : « L’orgueil précède la ruine, l’arrogance est le signe avant-coureur de la chute. » (G.R. Zadoc Kahn) / Trad. littérale contemporaine : « Avant le bris, l’orgueil ; avant l’échec, le souffle hautain. » (André Chouraqui).

[4] Shticks and tricks : l’expression est du parfait “yinglish” (l’argot anglo-yiddish) et double un “shtick” yiddish de son synonyme anglais. Les deux termes évoquent les rapides tours de passe-passe qui permettent en détournant l’attention de la victime de rafler la mise, au jeu par exemple du bonneteau. Des trucs pratiqués avec dextérité par les colporteurs et autres coureurs de campagnes isolées, avec ou sans carriole, en Europe de l’est ou ailleurs.

[5] Discours de Bar-Ilan (Tel-Aviv), le 14 juin 2009.

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Et, la désillusion venue

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[6] Leftists : Si la société et la langue française sont les rares sinon les seules à observer la nuance entre gauche et extrême-gauche en réservant à cette dernière le terme de “gauchiste”, il n’en va pas de même dans le monde anglo-saxon ou en Israël, où l’on utilise indifféremment “leftist”, avec l’inflexion péjorative que l’on sait de nos jours…

[7] Peaceniks : La désinence “ik” – héritée du russe et des langues et dialectes (dont le ou plutôt les yiddish) des régions colonisées en Europe de l’est et en Asie par les Tsars, les Cosaques et/ou l’Armée rouge – est venue en Israël dans les balluchons des pionniers d’Europe orientale et s’y est assimilée au gré de néologismes hébréo-slaves sans cesse créés et durablement adoptés du 19e au 21e siècle. Des énoncés purement factuels des débuts, “kibboutznik” ou “moshavnik”  pour les membres d’un village collectiviste ou coopératif, “mapamnik” ou “likoudnik” pour ceux des partis sionistes de l’extrême-gauche non communiste à l’extrême-droite de l’Israël des années cinquante, on est passé à des surnoms plus ou moins affectueux ou péjoratifs – tel “peacenik”, pas franchement flatteur ! Plus généralement, “ik” appartient dorénavant à l’argot local, et connaît les rapports de tout argot à la langue qu’il renouvelle sans cesse.

 

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