Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Haaretz

On peut compter sur les doigts d’une main le nombre de gens plus proches que
Shaul Arieli du berceau comme du lit d’hopital du processus de paix. Fin 1993, au moment de la signature des accords d’Oslo, le colonel Arieli commande la brigade de Gaza, et c’est lui qui dirige le retrait de Tsahal de la bande de Gaza. En 1995, il est nommé a la tete de l' »Administration de l’accord intérimaire », puis cinq ans plus tard, en tant que secrétaire militaire d’Ehoud Barak, alors premier ministre et ministre de la défense, il est nommé a la tête de l' »Administration de la Paix ». Il fut impliqué dans chaque étape des négociations en vue d’un accord final, depuis les conversations qui ont precédé le sommet de Camp David en juillet 2000 jusqu’aux pourparlers de Taba en janvier 2001.

Depuis son départ de l’armée, il y a un an, Arieli a fait partie de plusieurs canaux de négociations, secrètes ou non, entre Israéliens et Palestiniens. il pense qu’il est possible d’insuffler une nouvelle vie au processus d’Oslo, qu’il considère comme le point le plus haut des relations entre les parties. Il pense aussi que le mythe selon lequel « Barak leur a donné presque tout et Arafat a repondu par la terreur » est devenu l’un des obstacles majeurs bloquant la voie vers le retour à Oslo. Seules la violence et la difficulté des Palestiniens à renoncer publiquement au droit au retour peuvent disputer le titre d’obstacle majeur a la théorie « il n’y a pas de partenaire », qu’il considère comme fausse.

Shaul Arieli rompt le silence

Dimanche, apres avoir longtemps hésité, Arieli a décidé de rompre le silence. Dans une conférence devant la section d’Hertzliya du parti Meretz, devant des dizaines de membres du parti, il a présenté pour la première fois l’histoire du processus de paix de son point de vue, en tant que participant clé qui a accumulé des centaines, peut-etre même des milliers d’heures de conversations avec des officiels de haut rang de l’Autorité palestinienne. Pendant deux heures, il a disséqué la série d’échecs, y compris les positions et le fonctionnement de son ancien patron. De son analyse, personne ne s’en sort a son avantage, ni les Palestiniens, à commencer par Yasser Arafat, ni les Américains, à commencer par Bill Clinton.

Au debut de sa conférence, Arieli propose une explication de la transformation de l’esprit d’Oslo en esprit du mal. « Les Palestiniens sont entrés dans le processus d’Oslo avec le sentiment que par la diplomatie, il pouvaient atteindre l’objectif qu’ils s’étaient fixé depuis 1988, un Etat palestinien dans les frontières de 1967 avec Jérusalem comme capitale. Pour eux, leur grande concession etait qu’ils se contentaient de 23% de la terre de Palestine (Israel + territoires). Ils pensaient qu’une solution au problème du droit au retour des refugiés serait trouvée au moyen d’un tour de passe-passe qui la rendrait inopérante. De leur point de vue, toute solution en-deça de celle-ci ne leur permettrait pas de faire des concessions sur autre chose. Ils n’ont pas renoncé au terrorisme pour recevoir en échange un redéploiement ici, et un autre là. La cessation du terrorisme était depuis le debut conditionnée par l’obtention ou non de cette solution. Ainsi, quand ils ont compris qu’Israel n’avait pas l’intention de les y mener, ils sont revenus au terrorisme. »

Selon Arieli, le « presque tout » que Barak avait soi-disant offert etait « presque rien » du point de vue palestinien. « Les membres de l’Administration de la Paix savaient depuis le début qu’il n’y avait aucune chance que Yasser Arafat accepte d’être le sous-traitant des services de sécurité israéliens en échange de moins qu’un Etat dans les frontières de 1967, avec ajustements de frontières et échanges de territoires. D’un autre côté, les Palestiniens savaient depuis le debut que ni Barak, ni aucun autre homme politique israélien, ne signerait un papier comprenant les mots « droit au retour ».

Pour Arieli, « nous n’avons pas compris qu’à choisir entre notre sécurité et les intérêts de leur peuple, ils choisiraient toujours les derniers. Et eux n’ont pas compris que nous puissions etre choqués par des déclarations comme celle du comite exécutif de l’OLP en 1999, qui affirmait que le retour des refugiés en Israel n’entrainerait pas l’expulsion d’un grand nombre de ‘migrants’ juifs. »

La faiblesse dont firent preuve les deux leaders quand il s’est agi de trancher, dit Arieli, a entraîné une implication active de certaines structures, pofessionnelles ou sectorielles, la plus importante étant Tsahal : « en l’absence d’un dialogue avec l’échelon politique et d’un soutien de sa part, Tsahal a adopté une conception à court terme qui s’est concentrée sur la sécurité de tous les jours. C’est l’armée qui a défendu l’idee d’une « Zone B » (territoire sous controle militaire israélien et sous controle civil palestinien), qui a créé de nombreux points de friction entre les deux
forces armées. »

« Cela constituait une tentative de compromis avec les colons, encore un facteur dont les interventions ont dépassé toutes les bornes. La porte de tous les premiers ministres, y compris Rabin, leur était grande ouverte, et sur chaque sujet, ils avaient quelque chose à dire. L’exemple le plus frappant de ce phénomène, ce sont les accords : il ont provoqué des retards, et exigé des modifications dans chaque accord, depuis la Declaration de Principes, en passant par les accords Wye, jusqu’a l’accord de Sharm-al-Sheikh en 1999. Pour ces raisons, tout a été retardé, et les mécanismes de mise en oeuvre des accords se sont transformés en mecanismes de violation des accords, devenant ainsi un point nodal de conflit entre les parties. »

Arieli critique Barak pour avoir stoppé l’application des accords Wye, gelés
par son prédecesseur Netanyahou. « Après, sur les 15 mois qui lui restaient,
il en a consacré cinq à la piste syrienne. Fin 1999, quand Oded Eran a été
nommé à la tête de la délégation, un long désaccord s’est produit avec les
Palestiniens. Barak refusait, comme ils l’exigeaient, que les négociations aient pour point de départ les frontières de 1967, Israel proposant les ajustements qu’il souhaiterait. Au lieu de cela, Barak proposa que les negociations aient comme point de depart 40% des territoires que les Palestiniens controlaient deja, et libre à eux de détailler ce qu’ils désiraient en plus. Ce désaccord a duré plusieurs mois. En octobre 1999, nous avons produit un document qui disait que le but des négociations etait la création de deux Etats distincts. Barak insista pour que le mot « Etats » soit remplacé par « entités' ».

Pour Arieli, au cours des pourparlers de Stockholm du printemps 2000, qui ont precédé Camp David, les Palestiniens ne se sont pas vu offrir davantage que 88% de la Cisjordanie. « A Camp David, nous n’avons présenté aucune carte qui leur offrait plus de 88% », dit-il. « Cela signifiait que 650 km2 seraient annexés par Israel (compte non tenu de la vallée du Jourdain, qui devait demeurer sous controle israélien pendant plusieurs années). Les territoires annexés devaient comprendre des bandes de terres qui s’enfonçaient profondément en territoire palestinien. Voilà ce que nous avons proposé a des gens pour qui la seule interprétation de la resolution 242 du Conseil de sécurité etait qu’ils devaient recevoir l’intégralité des 23% de la Grande Palestine, soit toute la Cisjordanie et la bande de Gaza. »

Arieli soutient Gilad Sher, qui représentait Barak lors des négociations, et qui dans son livre réfute l’argument de Barak selon lequel les Palestiniens n’auraient présenté aucune carte a Camp David. A la connaissance d’Arieli, ils ont présenté une carte qui proposait de laisser à Israel une poignée de colonies, toutes isolées les unes des autres, le long de la Ligne verte. « L’un des problèmes clés était que les pourparlers y etaient menés a des niveaux parallèles, entre deux personnes qui n’avaient pratiquement rien en commun », dit Arieli. « Même quand Barak prenait la parole, Arafat ne comprenait pas les trois quarts de ce qu’il disait. »

Arieli raconte que récemment, il a eu l’occasion de demander à Barak de s’expliquer sur les fréquents changements de pourcentages. « Barak a dit que nous avons eété obligés de jouer à ce jeu, parce qu’il dérivait de la culture de bazar des Palestiniens. Je peux témoigner que lorsque Barak m’a convoqué pour que je le briefe sur la situation, au début des négociations, il ne pensait absolument pas à ces pourcentages. Il a tout simplement été forcé de faire avec. »

Pour Arieli, le plan Clinton, même s’il était suffisamment ambitieux, venait trop tard et était trop général. « Les Americains auraient dû soumettre ce plan à Camp David au lieu d’attendre jusqu’en décembre. Ils n’auraient pas dû fournir une fourchette entre 94 et 96% (de la Cisjordanie), mais donner un chiffre précis et établir une fois pour toutes si, oui ou non, ces pourcentages comprenaient le no man’s land, Jérusalem et la nord de la mer Morte. Ils ont aussi laissé en suspens la question de savoir si les 80% de colons dont les colonies devaient être annexées à Israel comprenaient les habitants des quartiers juifs de Jerusalem Est. »

Le document de synthèse préparé par l’Administration de la Paix, outre la mauvaise note donnée aux Americains pour leur gestion du sommet de Camp David, signale en particulier « le manque de préparation sur le sujet de Jérusalem ».

Arieli dit que jusque Stockholm, Barak avait interdit à l’administration de la Paix de s’occuper de Jérusalem. Il etait convaincu qu’il s’agissait là de son atout majeur, et qu’au moment où il l’abattrait, il serait possible de trouver un accord sur tous les sujets territoriaux ou sécuritaires encore non resolus.

A Camp David, Barak annonca qu’en aucune circonstance il ne ferait de concession sur la souveraineté israélienne sur le Mont du Temple. Arieli dit savoir qu’au même moment, le Dr Khalil Shikaki, qui coordonnait le travail de l’équipe palestinienne, écrivait que l’opinion palestinienne serait incapable d’avaler plus d’une concession. « Mais nous pensions que la concession sur le droit au retour était déjà dans la poche, et nous voulions davantage. Cela a entraîné les Palestiniens à remettre sur la table la question du droit au retour, avec d’autant plus de force. Aujourd’hui, ils comprennent que ce fut une erreur, et l’expriment même en disant que les Israéliens sont arrivés à Camp David avec le sentiment que le sommet serait la fin du commencement, mais en sont partis avec le sentiment que c’était le commencement de la fin. »

Arieli conclut en disant que les gouvernement israéliens successifs n’ont pas su préparer leur opinion au gel et à l’évacuation des colonies, alors que la direction palestinienne n’a pas su préparer la sienne à une réconciliation historique avec Israël. Mais, malgre tout, Arieli reste optimiste : « aujourd’hui, il semble qu’une majorité d’Israéliens comprenne qu’il faut renoncer aux territoires, avec des ajustements que les Palestiniens seraient prêts à accepter, que les Palestiniens comprennent qu’ils doivent renoncer au droit au retour, et que les deux côtés comprennent que Jérusalem doit être la capitale des deux nations. »