Ehud Barak : « Seule une vision vraiment positive et stimulante alliée à de la détermination permettra de surmonter l’alliance contre nature entre les corrompus et les messianiques visant à faire d’Israël un État d’apartheid juif . »


Traduction : Bernard Bohbot pour LPM

Photo : Le AFP

Haaretz, 12 avril 2019

https://www.haaretz.com/opinion/.premium-after-netanyahu-s-reelection-the-challenge-ahead-will-be-no-picnic-1.7110832


Seule une vision vraiment positive et stimulante alliée à de la détermination permettra de surmonter l’alliance malsaine entre les corrompus et les messianiques visant à faire d’Israël, un État juif d’apartheid.

À quoi avons-nous eu droit cette semaine ? A la victoire personnelle de Benjamin Netanyahu, tout d’abord. Sauf surprise, il sera à nouveau chargé de former le gouvernement, et pour la première fois depuis 23 ans qu’il est en politique, il le fera avec le soutien d’un parti de 35 députés. En ce qui concerne les blocs, le changement a été minime, le nombre de députés rivaux des trois partis d’opposition juifs de centre-gauche étant passé de 40 à 45. Ce n’est pas une grande réussite pour Netanyahu. La deuxième grande histoire est la réussite sans précédent de Benny Gantz – en  moins de 23 semaines (et non pas des années), il est passé de néophyte sans expérience politique à un statut de véritable candidat. Il s’est même frôlé la victoire en remportant 35 sièges à la Knesset.

Certes, il n’a pas atteint l’objectif ultime de remplacer le gouvernement. Mais en dépit de nombreux faux pas – y compris l’incapacité à saisir l’importance cruciale de la taille des blocs, ce qui a conduit à une « fusion des forces » insuffisamment large, ainsi qu’une campagne dépourvue de l’instinct du tueur, et de l’infrastructure technique nécessaire pour gagner dans les médias sociaux – le « camp du changement » mené par Gantz et ses alliés a néanmoins connu une réussite tout à fait remarquable. Ce camp est toujours à la recherche du moyen le plus efficace (indice : plus fort, plus bas, plus grossier, autant qu’il le faut pour gagner, mais dans le respect du cadre de la loi) pour affronter les compétences de campagne de Netanyahu. Pourtant, chaque défaite peut servir de bon point de départ pour apporter correction et changements. Et la réussite de Gantz dans cette élection fournit certainement tout ce qu’il faut pour initier immédiatement un nouvel élan visant à restaurer la raison, l’intégrité et l’autorité politique dans la vie politique israélienne.

Les masques seront tombés dans le prochain gouvernement israélien. Il est clair que ce sera un gouvernement plus extrême que le précédent, avec un chef sans retenue et entouré de gens comme Bezalel Smotrich1 et des membres d’Otzma Yehudit2 qui occuperont des postes tel celui de ministre de la Justice et siégeront au comité de sélection judiciaire. Notre démocratie déjà affaiblie sera rapidement mise à l’épreuve. Netanyahu et ses partenaires vont immédiatement lancer une attaque en déposant des projets de loi immunisant le Premier Ministre contre des poursuites (ou un stratagème similaire) incluant une clause spéciale de « dérogation » qui empêcherait l’intervention de la Haute Cour.

Cette double démarche, qui peut sembler purement technique, équivaudrait à l’enterrement du principe d’égalité devant la loi et à une stérilisation irréversible de la Cour Suprême. Nous nous couvrirons tous  de honte si nous ne parvenons pas à empêcher cela de se produire. Si une telle loi est adoptée, nous finirons comme la Pologne et la Hongrie, c’est-à-dire en une démocratie de nom qui est en réalité une autocratie de type Erdogan. Au fur et à mesure que l’assaut se poursuivra, Israël perdra son caractère démocratique, les juges seront piétinés, la presse libre sera achetée ou apprendra à se plier à la volonté des autorités, et les valeurs fondamentales des Forces de défense israéliennes, ainsi que l’autorité morale de ses dirigeants, seront gravement érodées.

La diffusion de mensonges, l’incitation, les semailles de haine, le piratage de téléphones, l’installation de caméras cachées, l’écoute électronique, la diffamation d’opposants et la menace de hauts fonctionnaires continueront d’être des tactiques courantes dans l’orbite de Netanyahu. Nous sommes face à une alliance contre nature entre Netanyahu et ses cohortes corrompues qui cherchent à briser le système juridique de l’État pour échapper à la justice, et des fanatiques radicaux qui cherchent à briser ce même système pour permettre la réalisation de leur vision de « l’apartheid juif ». Nous ne pouvons pas laisser cela se produire.

Certains proches du Premier Ministre insistent sur le fait que la présentation du plan de paix de Trump apportera des changements positifs. Ils affirment qu’une fois que Netanyahu aura obtenu l’immunité contre les poursuites, il  comprendra qu’Israël n’a pas d’autre choix que de répondre « oui, mais… » à la proposition de Trump. Il sera alors contraint de se séparer de certains de ses partenaires extrémistes et de prendre ainsi la décision préventive d’ajouter une composante de Kahol Lavan3 à son gouvernement, se rapprochant ainsi du centre, ce qui sans doute désarmera les critiques à son encontre.

Nous savons déjà que Netanyahu est incapable de prendre des décisions qui changent la réalité. Tout n’est chez lui que « bruit et fureur vides de sens« . Mais revenons au cœur du sujet. Grâce à sa nouvelle victoire électorale, il émerveille une fois de plus le public et la presse par sa virtuosité « magique ». Je ne partage pas cet avis. Netanyahu est sans aucun doute un politicien très talentueux et expérimenté, il mène intelligemment ses campagnes, toujours prêt à s’abaisser autant que nécessaire pour l’emporter. Mais il n’est certainement pas ce « magicien » doté de pouvoirs surnaturels.

Habile à la tromperie, c’est sûr. Quand je l’ai défié il y a 20 ans, la même légende du « magicien » existait déjà. Je la connaissais déjà bien et j’ai dit à mon entourage : Ce n’est pas un magicien. Quoi qu’il fasse, nous devons faire mieux, plus fort et plus vite. Et nous avons gagné. Oui, les conditions sont différentes aujourd’hui, et l’homme a appris de son expérience et a amélioré son jeu, mais le principe de base reste le même. Il n’y a pas de « magie » là-dedans, juste une énorme volonté de gagner. Nous devons être encore plus déterminés.

Deuxièmement, les partisans de Netanyahu, et parfois aussi des analystes politiques, sont piégés par l’idée que le résultat, c’est-à-dire la victoire électorale, « prouve » la justesse des arguments de Netanyahu. Voici les faits : Les électeurs lui ont donné leur soutien. Le peuple a parlé. Qui êtes-vous donc, Monsieur le procureur général, pour l’accuser ou le faire poursuivre ?

Il s’agit là d’une affirmation totalement infondée. L’idée qu’un leader ou un prestidigitateur puisse, par le biais de son soutien public, définir les limites de la loi et la mesure dans laquelle elle doit être prise en compte, est absurde. Un voleur ne peut pas être Ministre des Finances, quiconque accepte un pot-de-vin ne peut pas être Premier Ministre – et seul un tribunal peut se prononcer sur de telles questions. Ce n’est pas à une majorité ou à une minorité de décider. Tels sont les piliers communs sur lesquels repose toute société moderne. Leur négation par le biais d’un vote va à l’encontre des fondements d’une société progressiste.

Dans n’importe quel autre pays développé, celui ou celle que l’État cherche à inculper (dans l’attente d’une audience) dans trois affaires de corruption, de fraude et d’abus de confiance ne pourrait pas se présenter comme Premier Ministre – à cela s’ajoutent l’affaire du sous-marin qui exige une enquête, l’affaire des 4 millions de dollars en actions, les transferts trimestriels en espèces du cousin (le Président Ezer Weizman4 fut évincé pour une histoire similaire) et les années de faux rapports au contrôleur de l’État. Ce n’est pas une question d’opinion des électeurs. C’est une question d’application et d’égalité devant la loi. La responsabilité d’Avichai Mendelblit5 est énorme. Malgré cela, le retard avec lequel les enquêtes sont entamées est troublant. Une fois que le contrôleur de l’État a soulevé une question, il n’y a plus à discuter avant qu’une enquête soit menée et que les faits soient rendus publics.

Je conclurai par un commentaire plus général sur le phénomène Netanyahu. Les Israéliens le considèrent comme unique et sans précédent. Mais l’histoire est remplie de précédents de nations, souvent en période de difficultés et de frustrations, qui sont tombées sous le charme d’un démagogue populiste, d’une personnalité narcissique, pas toujours stable et souvent corrompue – jusqu’à ce qu’elles se heurtent au mur et subissent un réveil national douloureux, souvent couplé à une catastrophe. Compte tenu des dangers posés par le cinquième gouvernement Netanyahu, le  » camp du changement  » a besoin d’un leadership solide qui transcende les partis, qui ne morde pas à l’appât de Netanyahu et qui ait un plan d’action coordonné pour une bataille longue et acharnée. Il faut aussi une vision positive, plus stimulante que la vision messiano-raciste promulguée par les kahanistes, les jeunes des collines et les disciples de rabbins comme Dov Lior6 et Yitzchak Ginsburgh7, qui sont tous devenus la queue qui remue le chien. Il nous faut présenter une vision sioniste juive et démocratique, dans l’esprit d’éclaircissement et d’égalité devant la loi exprimé dans la Déclaration d’indépendance d’Israël. Une vision de confiance en soi et de fierté nationale saine exige que tout le monde y mette du sien, afin que nous puissions mettre un terme à la dérive dans laquelle nous nous trouvons pour faire triompher la vision sioniste contre ceux qui la déforment.

Ce sera  une bataille acharnée et non pas un simple groupe de discussion ou un atelier de massage. Mais si nous y tenons assez, nous l’emporterons.

 

NOTES

1 Bezalel Smotrich, dirigeant de Tkuma et chef de file de la faction « Union nationale » au sein de l’Alliance des partis d’extrême-droite qui fédère également les kahanistes;  actuellement membre de la Knesset.

2  Otzma Yehudit, anciennement Otzma LeYisrael, est un parti politique d’extrême droite israélien créé en novembre 2012 par Arié Eldad et Michael Ben-Ari, qui se sont séparés de l’Union nationale.

3 Kahol Lavan, L’alliance Bleu et Blanc, la coalition électorale centriste israélienne, créée en février 2019 par Benny GantzYaïr Lapid.

4 Ezer Weizman, ancien Président de l’État d’Israël.

5 Avichai Mendelblit exerce en 2019 les fonctions de procureur général d’Israël. 

6 Dov Lior, grand rabbin d’Hébron et de Kiryat Arba en Cisjordanie. Il est également à la tête de la yeshivat Nir de Kiryat Arba et du Conseil des rabbins de Judée-Samarie.

7 Yitzchak Ginsburgh, rabbin israélien d’origine américaine affilié au mouvement hassidique H’abad.

 

L’AUTEUR :  Ehud Barak,  Premier ministre de l’État d’Israël de 1999 à 2001.

Le Premier Ministre Netanyahu, et Ehud Barak, Ministre de la Défense. (photo credit: Ariel Harmoni / GPO)