Une alliance politique entre la gauche israélienne et les partis arabes pourrait renverser Benjamin Netanyahu. Il faudrait pour cela … qu’elle réponde à leurs désirs communs de combattre l’aile droite qui attaque la démocratie israélienne, qu’elle contienne la solution à deux États, et qu’elle crée une société plus juste et plus égalitaire.


Traduction : Jacqueline London pour LPM

Le Premier Ministre Benjamin Netanyahu s’entretient avec Ayman Odeh, chef de la Liste d’union des partis arabes israéliens, lors d’une discussion sur le vote de la dissolution du Parlement israélien à la Knesset le 26 décembre 2018. (Lior Mizrahi/Getty Images)

foreignpolicy.com, le 21 janvier 2019

https://foreignpolicy.com/2019/01/21/netanyahu-left-palestinian-parties-elections/?


Environ quatre ans après d’un gouvernement de droite qui a affaibli la démocratie en Israël, augmenté les tensions raciales, consolidé l’emprise sur la rive ouest du Jourdain et le contrôle sur Gaza, Israël a l’opportunité de créer un futur différent. En décembre dernier, le Premier Ministre Netanyahu a appelé à des élections le 9 avril 2019, suite au refus de sa coalition actuelle de voter le budget nécessaire pour que les hommes ultra-orthodoxes fassent leur service militaire (dont ils sont aujourd’hui exemptés).

Mais cela ne signifie pas qu’il y ait du changement à l’horizon. Trois partis au moins (le Parti travailliste, Yesh Atid et le nouveau Hosen LeYisrael (Israel Resilience) contestent le Likoud de Netanyahu, mais il n’est pas sûr que l’un d’entre eux soit capable de créer la majorité parlementaire nécessaire pour renverser le gouvernement de Bibi. (Ndlr : cet article a été écrit avant le dépôt des listes électorales et la fusion entre Yesh Atid et Hosen)

Plus important encore, on ne sait si un nouveau gouvernement présenterait une alternative idéologique qui chercherait à mettre fin à l’occupation et à renforcer la démocratie en Israël. Cette faiblesse tient en grande partie à l’échec des efforts de la gauche israélienne au cours des quinze dernières années pour créer des coalitions suffisamment fortes pour défier la droite. La coalition de centre-gauche d’Yitzhak Rabin des années 90 n’est plus qu’un vague souvenir pour la gauche israélienne. Mais il existe une autre approche qui changerait radicalement la direction idéologique vers laquelle Israël s’oriente : une nouvelle alliance politique entre la gauche juive (Parti travailliste et Meretz) et les partis arabes palestiniens en Israël.

Depuis qu’Ehud Barak, à la tête du gouvernement dominé par le Parti travailliste, a perdu le pouvoir en 2001, la croyance répandue à la gauche de l’éventail politique israélien était que, pour revenir au pouvoir, il fallait des négociations et des relations renforcées avec les partis centristes du pays. L’idée était de constituer un bloc modéré qui chevauche le centre et emprunte des voix tant à gauche qu’à droite. Mais cette stratégie a toujours échoué pour une raison : les partis centristes n’ont pas coopéré et ont choisi de siéger avec les partis de droite plutôt qu’avec la gauche. La Troisième Voie en 1996, Shinui en 2003, Yesh Atid en 2013 et Kulanu en 2015, tous ont rejoint une coalition de centre-droite ou de droite au lieu de s’engager dans une coalition de centre-gauche.

Yair Lapid, chef du parti centriste Yesh Atid et candidat au poste de Premier ministre par exemple, a toujours affirmé qu’il ne souhaitait pas faire partie d’un bloc du centre-gauche et considérait le centre comme une alternative aux partis de gauche comme de droite.

Seul Kadima, le parti du Premier ministre décédé Ariel Sharon, puis d’Ehud Olmert et Tzipi Livni, a fait le choix opposé en 2006. Mais ces politiciens sont venus de la droite et ont pris la décision explicite et publique de quitter la droite afin de poursuivre la solution à deux Etats et le désengagement de Gaza.

Au lieu de se tourner uniquement vers les partis centristes juifs, la gauche devrait se tourner vers les partis palestiniens en Israël.

Quinze pour cent de l’électorat israélien sont des citoyens arabes palestiniens d’Israël. Lors de l’élection de 2015, quatre partis arabes se sont été réunis dans la «Liste d’union», qui est devenue la troisième alliance du pays. Le chef de la Liste d’union, Ayman Odeh, a toujours recherché un partenariat avec la gauche israélienne. « Je m’engage à faire tout ce qui est en mon pouvoir pour mettre un terme à l’occupation, promouvoir la pleine égalité des citoyens arabes et promouvoir la démocratie. La première étape de la réalisation de ces objectifs consiste à renverser le gouvernement de droite » a déclaré Odeh en 2017. « Je n’ai pas l’intention de rester à l’écart et de laisser une coalition Netanyahu-Bennett continuer à nous guider sur la voie de l’annexion, l’apartheid, la discrimination et la provocation. »

Mais malgré les avantages politiques évidents de s’associer à un camp aussi important, la gauche juive demeure réticente. Les raisons sont multiples.

Tout d’abord, la résistance vient de la part de certains dirigeants de la gauche juive. Dans une interview en 2017, Avi Gabbay, chef du parti travailliste, a déclaré : « Nous ne siégerons pas avec eux sans équivoque… Je ne vois rien qui nous rassemble [avec les partis politiques arabes] ou qui nous permette de faire partie d’un même gouvernement ». L’ancien dirigeant travailliste Yitzhak Herzog a déclaré en 2016 que le centre prenait des voix au Parti travailliste parce qu’il a affirmé entendre « lors de rencontres interminables avec le public israélien » que « nous sommes toujours des amoureux des Arabes. »

Il y a aussi un manque de confiance au sein de la direction arabe. Lors des élections de 2015, la Liste d’union a refusé dans son ensemble de signer un accord de partage du vote avec le parti libéral Meretz, ce qui a porté préjudice au bloc de gauche et à la perspective d’une alliance de gauche arabo-juive. Même si le président de la Liste d’union, Odeh, a déclaré publiquement par la suite qu’il regrettait cette décision, d’autres voix du parti se méfiaient d’une éventuelle alliance.

Mais la distance entre les deux camps n’est pas simplement tactique ; il y a une différence plus profonde. De nombreux membres de la gauche juive croient qu’Israël peut (et doit) manœuvrer entre ses désirs d’être à la fois juif et démocratique. En août dernier, Livni, qui dirigeait alors le parti libéral Hatnuah, a expliqué sa vision d’un État démocratique juif comme étant «l’État-nation du peuple juif, qui offre des droits égaux à tous ses citoyens, sans discrimination». Si un Etat juif peut théoriquement traiter sa minorité arabe comme des citoyens égaux, une solide majorité d’Israéliens arabes palestiniens ne croient pas que le modèle juif et démocratique puisse être assez inclusif. En bref, de nombreux Juifs se contentent de l’appartenance ethnique de l’État aussi longtemps qu’il accorde l’égalité aux Arabes. Mais les Arabes voient dans la citoyenneté démocratique une citoyenneté où tout le monde possède l’État, en théorie comme en pratique. Et ce sentiment d’exclusion est renforcé par le fait que même les comités soutenus par l’État soulignent la manière dont le racisme institutionnalisé et la négligence à l’égard des Arabes existent depuis la création de l’État.

Cette fracture s’aggrave en raison du gouvernement de Netanyahu. Ces dernières années, la légitimité politique des Israéliens arabes palestiniens a été constamment remise en question par les politiciens de la droite israélienne, notamment par la loi de 2018 sur l’État-nation, qui privilégie formellement les citoyens juifs par rapport aux citoyens non juifs légalement, symboliquement et politiquement. La loi a codifié la pratique de longue date selon laquelle la participation des citoyens arabes au processus politique est un privilège que leur accorde la majorité juive. Et tandis que les partis arabes avaient appelé à abolir le projet de loi, les dirigeants de la gauche juive ont hésité, ne sachant pas s’il fallait essayer de modifier ou de combattre ce projet et cette indécision a eu des conséquences publiques. Lorsque la minorité arabe a manifesté contre le projet de loi et avait besoin surtout du soutien de la gauche juive, Livni, alors chef de l’opposition, a refusé d’assister à la manifestation, expliquant: « Nous n’avons pas participé car nous croyons qu’Israël doit être à la fois un Etat juif et démocratique… Il y a des gens – et malheureusement, les dirigeants de la Liste unique des partis arabes en font partie – qui ont du mal à accepter la définition d’Israël comme État-nation juif, même s’il assure la garantie de l’égalité. »

Les alliances entre la gauche israélienne et les partis politiques arabes palestiniens ne constituent pas une idée nouvelle.

Le gouvernement du précédent premier ministre Rabin n’a pu engager le processus de paix dans les années 1990 que grâce aux partis arabes israéliens. Deux partis arabes n’ayant que 5 sièges à la Knesset ont permis de maintenir la coalition nécessaire pour faire avancer les accords d’Oslo. Cette alliance s’est maintenue jusqu’à l’assassinat de Rabin en 1995 par un ultra-nationaliste. Mais les alliances entre la gauche israélienne et les partis politiques arabes palestiniens ne constituent pas une idée nouvelle.

C’est aussi le cas du précédent premier ministre Barak qui n’a dû sa victoire en 1999 que grâce aux 75 % des Arabes ayant voté dont 94% pour lui. Et pourtant Barak n’a pas fait un geste de courtoisie au cours des négociations de coalition. Et durant la seconde Intifada, la police israélienne a tué 13 manifestants arabes non armés (tous citoyens israéliens) sans qu’aucun policier n’ait été inquiété par la justice. La colère de la communauté arabe l’a poussée au boycott des élections générales conduisant ainsi à la victoire de la droite.
A court terme, la nécessité de gagner les élections implique une nouvelle approche de l’alliance politique entre la gauche israélienne et les partis arabes palestiniens. Dans le climat politique actuel, il est difficile d’imaginer une alliance forte. Cependant sans tenir trop compte des profondes différences idéologiques entre les deux groupes, même une alliance pragmatique pourrait être leur être bénéfique à condition :

 – qu’elle réponde à leurs désirs communs de combattre l’aile droite qui attaque la démocratie israélienne,

– qu’elle contienne la solution à deux États, – qu’elle crée une société plus juste et plus égalitaire.

A long terme, ceux qui veulent créer une réponse politique et idéologique à la peur alarmiste de Natanyahu doivent se poser des questions. Que signifie être libéral ou progressiste aujourd’hui en Israël. Nous avons besoin non seulement de demander la fin de l’occupation dans le cadre d’un plan à deux États mais nous devons poser la question des inégalités politiques fondamentales qui frappent la minorité arabe en Israël. La gauche juive et les partis arabes palestiniens en Israël doivent être capables de rechercher un socle commun politique et idéologique ; sans cela la présentation par Netanyahu des citoyens arabes comme menace politique de l’État juif restera sans alternative idéologique et politique.
Une alliance basée sur des intérêts politiques ne signifie pas cacher pour toujours un plus long échange sur l’identité politique et nationale. La nécessité de travailler ensemble, à cause de la faiblesse politique et pratique peut aussi être une première étape cruciale pour une compréhension mutuelle de ce que peut-être une société partagée. Si les Juifs et les Arabes à l’intérieur d’Israël veulent se présenter en position de leadership, le chemin réside en la création d’une identité civique commune plus forte et non à travers l’accroissement des différences.

Les auteurs

Mikhael Manekin est directeur de The Alliance for Israel’s Future en Israël.
Ameer Fakhoury dirige l’Ecole du Peace Research Center à Wahat al-Salam-Neve Shalom qui est le seul village judéo-arabe en Israël.