« Cet article, publié sous le titre « La nouvelle aide visant à promouvoir les efforts de paix israélo-palestiniens n’élude pas les enjeux sous-jacents à la sécurité » rend compte de la loi « Nita M. Lowey sur le partenariat pour la paix au Moyen-Orient », incluse dans la loi budgétaire de décembre 2020, qui permettra un financement sans précédent de l’économie palestinienne et des programmes de paix et de réconciliation dans la région. »


Traduction : Bernard Bohbot pour LPM

Auteur : David Harary, 29 janvier 2021, pour www.justsecurity.org

https://www.justsecurity.org/74387/new-aid-for-israeli-palestinian-peacebuilding-aims-at-issues-underlying-security/

Photo : Des femmes israéliennes et palestiniennes, membres du Parents Circle Families Forum qui compte plus de 600 familles dont un membre est mort dans le conflit, participent à la destruction d’un mur symbolique représentant la barrière de sécurité israélienne, le 10 mars 2017, à Neit Jala, près de Bethléem.

Mis en ligne le 4 mars 2021


Les efforts déployés par les États-Unis au cours des dernières décennies pour diriger le processus de paix entre Israël et la Palestine ont échoué. La tentative de l’administration Trump d’essayer une approche différente, largement biaisée, a malheureusement fini par miner la crédibilité des États-Unis auprès des Palestiniens. Dans une tentative pour rétablir cette crédibilité, l’administration Biden a annoncé son intention de rétablir des relations officielles avec les dirigeants palestiniens. Cette action immédiate pour reconstruire la légitimité des États-Unis en tant que médiateur principal intervient peu après l’adoption d’un texte de loi historique au Congrès qui changera la manière dont les États-Unis fournissent l’aide étrangère aux Palestiniens et soutiennent la consolidation de la paix avec Israël.

La loi Nita M. Lowey sur le partenariat pour la paix au Moyen-Orient, qui fait partie de la loi budgétaire de décembre et qui contient également la dernière série de mesures de lutte contre le coronavirus, permettra d’atteindre des niveaux de financement sans précédent en faveur de la consolidation de la paix non gouvernementale en Israël et en Palestine. Cette mesure jettera probablement les bases d’une sécurité durable entre Israéliens et Palestiniens.

Nommée en l’honneur de la présidente du Comité des crédits parlementaires, Nita Lowey (D-NY), fraîchement retraitée, la loi prévoit 250 millions de dollars sur cinq ans pour mettre en place deux nouveaux programmes qui seront administrés par l’Agence américaine pour le développement international (USAID) et la Société financière américaine pour le développement international. Le but de cette initiative est de soutenir des projets qui contribuent à renforcer l’économie palestinienne et à développer les programmes de paix et de réconciliation dans la région. Le premier programme est le « Fonds de partenariat pour la paix de peuple à peuple » qui aidera à financer des projets qui soutiennent la coexistence entre Israéliens et Palestiniens. Le second est « l’Initiative d’investissement conjoint pour la paix », qui donne la priorité au soutien de projets qui développent le secteur privé palestinien tout en renforçant la coopération entre Israéliens et Palestiniens.

Commencer par le bas

Ces 50 millions de dollars par an marquent un nouvel engagement des États-Unis en faveur des efforts populaires pour consolider la paix au niveau local. Avant la crise, les dépenses américaines pour la consolidation de la paix ont atteint un sommet d’environ 12 millions de dollars et, au cours des quatre dernières années, elles sont tombées à 5 millions de dollars sans qu’aucun financement soit accordé aux organisations des territoires palestiniens.

En outre, des économies importantes peuvent être pleinement réalisées puisque d’autres pays peuvent soutenir le fonds. Cela suit le modèle multilatéral du Fonds international pour l’Irlande, que l’ONG Alliance for Middle East Peace (ALLMEP) a utilisé pour défendre la loi en citant sa contribution à  la paix en Irlande du Nord. Lors d’un débat au Parlement britannique sur le concept d’un Fonds international pour la paix israélo-palestinienne en novembre dernier, tous les ministres qui ont pris la parole ont salué la législation américaine et ont exhorté le Royaume-Uni à y adhérer. Beaucoup ont recommandé que le Royaume-Uni occupe l’un des sièges du conseil d’administration international prévu dans la loi promulguée, qui stipule que « l’administrateur [de l’USAID] … est encouragé à travailler avec les gouvernements étrangers et les organisations internationales afin d’exploiter au maximum l’impact des ressources des États-Unis et réaliser les objectifs de [la loi]. »

Ce qui est d’autant plus remarquable, est qu’aucun des fonds américains ne peut être donné à un gouvernement étranger, y compris l’Autorité palestinienne, l’Organisation de libération de la Palestine ou Israël. Au lieu de cela, ces fonds seront alloués à des organisations non gouvernementales et de la société civile ainsi qu’à des start-ups qui aident à construire une base capable d’édifier une sécurité durable, la réconciliation politique, la confiance, le partenariat et la coopération économique entre les deux peuples. Comme l’indiquent les conclusions de la loi, « Alors que les États-Unis et leurs partenaires internationaux continuent à soutenir les négociations diplomatiques et politiques entre les représentants des parties au conflit israélo-palestinien, de tels efforts nécessitent un large soutien populaire parmi les personnes sur le terrain pour réussir. La conclusion d’accords durables et de haut niveau pour une paix durable au Moyen-Orient doit se faire à travers et avec le soutien des populations qui y vivent« .

L’objectif de la loi est d’encourager les petits et moyens entrepreneurs palestiniens afin de promouvoir, d’une part, des emplois à long terme et bien rémunérés et, d’autre part, de soutenir les organisations à but non lucratif qui rassemblent les Palestiniens et les Israéliens afin de faire progresser les efforts visant la réconciliation. Pour ce faire, le fonds exige que l’argent soit destiné en priorité aux partenariats entre Israéliens et Palestiniens ou entre citoyens arabes et juifs d’Israël.

Sécurité fondamentale

Dans un rapport de 2017 intitulé « La sécurité d’abord », plus de 200 généraux, agents de renseignement et fonctionnaires de police israéliens à la retraite ont plaidé en faveur de l’amélioration du bien-être et de la vitalité économique des Palestiniens comme moyen d’apaiser les tensions et les troubles sociaux. Les racines des conflits et de la violence entre les groupes se trouvent souvent dans les conflits économiques et sociaux. Le conflit israélo-palestinien ne fait pas exception à la règle.

En soutenant les entrepreneurs, les fonds sont destinés à faire croître l’économie palestinienne de manière durable. Si, dans la pratique, cela peut prendre un temps considérable, une telle aide dans les zones de conflit a eu un impact considérable ailleurs. Par exemple, des entrepreneurs syriens ont créé plus de 7 000 entreprises en Turquie, une dynamique qui a favorisé la coopération entre les réfugiés syriens et les communautés d’accueil, tout en stimulant l’économie. À Singapour, la nation insulaire est devenue une puissance financière régionale après avoir obtenu son indépendance en 1965, en partie grâce à des politiques de soutien à l’entreprenariat qui, à leur tour, ont créé une abondance d’emplois et de prospérité économique.

Consolidation de la paix de peuple à peuple

Si la croissance économique peut contribuer à stabiliser les situations de conflit, la deuxième partie de la loi Lowey n’en est pas moins importante. En juillet 2016, le Bureau du Quartet, qui soutient la collaboration de longue date des Nations unies, de l’Union européenne, des États-Unis et de la Russie en matière de rétablissement de la paix au Moyen-Orient, a pour la première fois fait référence à la consolidation de la paix par la société civile. Le Quartet a recommandé aux parties de « favoriser un climat de tolérance, notamment en augmentant l’interaction et la coopération dans divers domaines – économique, professionnel, éducatif, culturel – qui renforcent les bases de la paix« .

Les recherches montrent que les cadres de gestion des conflits qui utilisent une approche de personne à personne peuvent être efficaces en favorisant une meilleure compréhension, une confiance mutuelle et une coopération entre des communautés divisées. Une étude réalisée en 2019 à la demande de l’USAID et préparée par la Notre Dame Initiative for Global Development a révélé que, trois à cinq ans après leur engagement, les participants à de tels programmes continuaient à faire état d’un changement d’attitude positif, notamment une croyance accrue en la paix et une plus grande priorité accordée à celle-ci.

Si certains s’inquiètent que les programmes de personne à personne risquent de normaliser le statu quo, ces initiatives cherchent plutôt à remettre en question et à en inverser la tendance. La gestion des conflits exige un engagement avec l’adversaire. Bien que les déséquilibres de pouvoir entre les Israéliens et les Palestiniens soient très réels, les organisations qui mènent des programmes interpersonnels ont adopté des approches qui en atténuent les effets et appliquent une norme d’égalité. Dans ces espaces, les participants peuvent discuter sans crainte de leurs expériences vécues. En outre, les Palestiniens ont tendance à mieux connaître la réalité quotidienne des conflits violents, car ils la vivent de manière plus viscérale que la plupart des Israéliens. En réduisant les rapports de pouvoir d’une manière qui contribue à la durabilité et à la résilience personnelles et individuelles, les voix palestiniennes et israéliennes sont entendues comme étant d’égale importance les unes pour les autres.

Si la plupart des participants à ces activités viennent traditionnellement du « camp de la paix », les organisateurs s’efforcent de mieux recruter ceux qui se trouvent dans les rangs des partisans du centre ou même de la droite. Par exemple, Siach Shalom (Talking Peace) travaille avec des rabbins du parti religieux national sioniste ainsi qu’avec des imams islamistes pour désamorcer des problèmes épineux en temps réel, car ils créent des coalitions surprenantes de personnes qui donnent la priorité à la paix. Roots est un groupe de colons israéliens et de Palestiniens qui se sont opposés à l’annexion de parties de la Cisjordanie l’été dernier, mais qui, en raison de leur identité unique, ont pu faire part de leurs préoccupations directement à ceux qui y sont le plus attachés sur le plan idéologique. Les Combattants pour la paix sont composés d’anciens soldats et combattants. Le Parents Circle-Families Forum est une organisation conjointe israélo-palestinienne composée de parents et de membres de la famille endeuillés, qui s’appuie sur cette autorité morale de manière à pénétrer des parties des deux sociétés que ce type d’activisme atteint trop rarement. Olive Oil Across Borders travaille avec des agriculteurs issus de communautés et de milieux qui ne seraient pas normalement inclus dans de telles activités.

Les organisations environnementales à but non lucratif engagées dans des programmes de personne à personne, comme EcoPeace Middle East et l’Arava Institute for Environmental Studies, sont également le type d’organisations qui peuvent recevoir des fonds du Lowey Act. EcoPeace Middle East a servi d’exemple pour ce qui peut être réalisé en réunissant Israéliens et Palestiniens pour travailler ensemble sur des projets de protection de l’environnement et d’infrastructures. De même, l’Institut Arava a créé un forum régional pour les leaders émergents afin de traiter ensemble, sur un pied d’égalité, les menaces environnementales au Moyen-Orient.

Mettre les jeunes sur la voie de l’activisme et de la consolidation de la paix est une priorité absolue des programmes de relations interpersonnelles. C’est pourquoi les groupes ciblent souvent des participants qui sont en phase de formation d’opinion, entre 15 et 30 ans. Au cours des dix premières années de Seeds of Peace, par exemple, 17,5 % de ses anciens élèves ont poursuivi leur carrière dans le domaine de la promotion de lapaix. Parmi les anciens élèves, on compte maintenant des ministres de la Knesset israélienne, tels que Stav Shaffir et Ayman Oudeh, et des leaders des droits de l’homme comme Lior Amihai. Dans les deux sociétés, les personnalités publiques favorables à la paix sont généralement d’anciens élèves ou des dirigeants laïcs appartenant à des groupes de personnes. L’extension de ces programmes permettra d’encourager bien davantage une nouvelle génération de dirigeants dont la mission et l’identité tournent autour de la gestion de conflits.

Nombre de ces groupes appliquent également des mesures de suivi et d’évaluation à leurs méthodes, que l’Initiative Notre Dame a décrites dans son rapport de 2019 pour l’USAID et a recommandé d’étendre à des études à plus long terme. Les organisations de personnes à personnes ont des projets ambitieux et gourmands en ressources sur le papier qui sont prêts à être mis en œuvre. Jusqu’à présent, elles ne disposaient pas d’une source de financement à la hauteur de leurs ambitions. Le nouveau programme d’aide permettra d’étendre et d’accélérer ces efforts.

Aller de l’avant

Cette nouvelle loi est un tremplin vers le financement d’organisations qui peuvent favoriser la paix au niveau local dans une zone de conflit. Il a été démontré que le fait de fournir une aide directement aux personnes sur le terrain, plutôt que de la fournir du haut vers le bas par l’intermédiaire des gouvernements, permet d’accroître la stabilité économique, d’établir la confiance entre des communautés divisées et de réduire les tensions.

L’administration Biden devrait choisir un cadre multilatéral lorsqu’elle mettra en œuvre la loi Lowey – un mécanisme, tel que prévu par la loi, qui permettrait à d’autres pays de contribuer au même fonds – comme dans le cas du Fonds international pour l’Irlande, qui a été créé conjointement par la Grande-Bretagne et l’Irlande et a reçu des contributions des États-Unis, de l’Union européenne, du Canada, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande. Dans le cas de la loi Lowey, les contributions des États européens et arabes pourraient notamment renforcer la légitimité de ces initiatives et, par leur ampleur, multiplier leur impact sur le terrain.

Ce programme d’aide sans précédent, qui finance enfin la consolidation de la paix à une échelle susceptible de faire une réelle différence, ne manquera pas de susciter la coopération et la confiance d’une partie des Israéliens et des Palestiniens, et probablement au-delà. Grâce à une évaluation et un apprentissage rigoureux, l’initiative pourrait également permettre de tirer des enseignements précieux pour mobiliser l’esprit d’entreprise du secteur privé et les partenariats entre les peuples dans d’autres environnements de conflit afin de favoriser la paix et la réconciliation à long terme.