« La faible faisabilité d’une solution à deux États découle de l’absence de faisabilité politique, principalement du côté israélien. Il suffit de noter la déclaration signée l’année dernière par plus de 40 ministres et législateurs de droite ; ils se sont engagés à bloquer une solution à deux États et à créer un État pour un peuple en Terre d’Israël. »


Traduction : Bernard Bohbot pour LPM

Auteur : Shaul Arieli, membre d’Israel Policy Forum, pour Haaretz, 24 juillet 2020

https://www.haaretz.com/opinion/.premium-beinart-doesn-t-realize-that-the-israeli-palestinian-divide-is-too-wide-to-bridge-1.9016379

Photo : Des manifestants palestiniens se confrontent aux forces israéliennes à Assira al-Shamaliya, Cisjordanie,le 17 juillet 2020. © : JAAFAR ASHTIYEH / AFP

Mis en ligne le 20 août 2020 


La semaine dernière, Gideon Levy a fait l’éloge de l’article de Peter Beinart publié par le New York Times, dans lequel le chroniqueur américain écrit que la solution des deux États était morte en raison du nombre irréversible de colons en Cisjordanie. Les deux experts concluent qu’un seul État devrait être créé puisque, comme le dit Beinart, « l’objectif d’égalité est maintenant plus réaliste que l’objectif de séparation« .

La contribution des journalistes du calibre de Beinart s’exprime souvent sous la forme d’une simple description d’une réalité complexe. Mais, dans ce cas, sa déclaration équivaut à une tentative d’expliquer pourquoi les gens de l’autre côté de la terre ne tombent pas, en utilisant l’argument que le monde est plat. C’est accrocheur, simple, mais cela ne reflète en aucun cas la réalité, qui devrait inclure une meilleure connaissance de la situation sur le terrain plutôt que l’adoption de données officielles.

L’argumentation de M. Beinart comprend deux arguments complémentaires. Le premier est que le nombre de colons a rendu impossible la solution à deux États. Le second est qu’un seul État est la solution souhaitable. En ce qui concerne la première affirmation, voici quelques faits.

Premièrement, les colonies israéliennes ne sont pas intégrées à la population de la Cisjordanie. Soixante-deux pour cent des colons travaillent en Israël, et 25 % travaillent dans le système scolaire de leur propre communauté, qui est subventionné de manière disproportionnée. Seuls quelques % sont employés dans l’agriculture et l’industrie, où 99% de la main-d’œuvre est fournie par les Palestiniens ; le système routier desservant les colons est presque séparé, manquant de toute logique en termes de planification.

Il n’existe pas de réseau commun d’interactions entre les colonies adjacentes, à quelques exceptions près, sans interaction sociale ou culturelle entre Palestiniens et Juifs.

Deuxièmement, il y a la réalité démographique et spatiale. La bande de Gaza, avec une population de 2,1 millions de Palestiniens, n’a pas un seul résident israélien. En d’autres termes, il y a une séparation totale. Depuis 20 ans, le nombre d’Israéliens en Cisjordanie constitue 18 % de la population, ce qui est similaire au pourcentage de la minorité arabe en Israël à la veille de la création de l’État.

Avec une solution à deux États, les Israéliens qui le souhaitent pourraient avoir le choix de rester sur place en tant que résidents palestiniens. Dans le sud de la Cisjordanie, au sud du bloc de colonies de Gush Etzion, et dans le nord, au nord de Naplouse, le rapport démographique entre les Arabes et les Juifs est de 40 pour 1. En d’autres termes, ils sont séparés dans ces zones.

Quatre-vingt-dix-neuf pour cent des terres privées en Cisjordanie appartiennent à des Palestiniens. La zone bâtie de toutes les colonies n’atteint pas 2 % de la Cisjordanie. La moitié des colons vivent dans trois grandes villes qui longent la frontière de 1967, la Ligne verte ou Jérusalem. Avec un échange de terres de moins de 4 % de la superficie totale, on pourrait laisser 80 % des Israéliens vivant actuellement au-delà de la Ligne verte sous souveraineté israélienne, à l’exclusion de la ville d’Ariel.

Ainsi, il y a déjà séparation. Israël a certainement la capacité d’absorber le reste en termes de logement et d’emploi.

Concernant l’argument selon lequel une solution à un seul État est souhaitable, j’aimerais poser plusieurs questions. Comment un pays avec un PIB par habitant de 40 000 dollars peut-il absorber une population moins d’un dixième aussi riche ? La population juive accepterait-elle la baisse intolérable qui se produirait dans les services de santé, de bien-être et d’éducation avec l’absorption d’une population égale en nombre composée à 98 % de gens qui font partie de couches socio-économiques les plus basses ? Ou assisterions-nous, plutôt, à une fuite des cerveaux et à une émigration des jeunes ?

Les Palestiniens serviraient-ils dans l’armée d' »Israstine » ? Que se passerait-il avec les réfugiés palestiniens – retourneraient-ils en « Israstine », donnant au pays une majorité arabe substantielle ? Qui assumerait la charge financière de leur absorption et de leur réhabilitation ?

M. Beinart a-t-il pris connaissance des résultats d’une enquête de l’Institut d’études de Sécurité nationale montrant que 78 % des Israéliens ne sont pas disposés à accorder des droits résidentiels ou civils aux Palestiniens vivant dans des zones qu’Israël pourrait annexer ? Ces personnes soutiennent l’apartheid et s’opposent à tout abandon du pouvoir par les Juifs.

Plus de 70 ans après que le rapport de 1947 d’un comité de l’ONU sur la partition a déterminé que la Palestine contenait des Juifs et des Arabes différents par leur mode de vie et leurs intérêts politiques, cette déclaration est toujours valable. Ces différences alimentent la lutte entre deux mouvements nationaux, qui ont tous deux des revendications valables et inconciliables autrement que par la partition, comme l’a déclaré en 1937 la Commission Peel.

Oui, les chances de mettre en oeuvre la solution à deux États est actuellement très faible, mais pas en raison du nombre de colons. Au cours des deux dernières décennies, l’entreprise de colonisation a connu une baisse spectaculaire du nombre d’Israéliens qui se sont installés en Cisjordanie ; l’augmentation du nombre de colons est due en grande partie à la croissance naturelle de la communauté ultra-orthodoxe dans deux villes situées le long de la ligne verte. En même temps, le classement socio-économique de la communauté juive de Cisjordanie a progressivement diminué. Tout cela montre que cette entreprise n’est pas assez puissante pour étouffer la solution à deux États.

Comme je l’ai montré à maintes reprises dans le passé, il existe une faisabilité physique-spatiale pour une telle solution en ce qui concerne les quatre questions centrales de ce conflit : les frontières, Jérusalem, la sécurité et les réfugiés.

La faible faisabilité d’une solution à deux États découle de l’absence de faisabilité politique, principalement du côté israélien. Il suffit de noter la déclaration signée l’année dernière par plus de 40 ministres et législateurs de droite ; ils se sont engagés à bloquer une solution à deux États et à créer un État pour un peuple en Terre d’Israël.

Le manque de familiarité de Beinart avec la réalité spatiale-démographique-sociale et l’aspiration sincère de Levy à l’égalité les ont amenés à conclure qu’un seul État est possible sans examiner les aspects diplomatiques, culturels, sécuritaires et économiques.

Levy doit savoir qu’il est impossible d’imposer une existence commune à des peuples qui ne le désirent pas et ne se respectent pas. Beinart, en tant que politologue, devrait s’attacher à expliquer l’absence de faisabilité politique, car c’est là que réside sa force. Qu’il propose des mesures qui entraîneraient un changement.

Nous publierons prochainement l’article de M.Beinart