Les relations entre Israéliens arabes et juifs se détériorent sensiblement — le contraire eut été surprenant dans un pays en état de guerre prolongé et dans un contexte politique dénué de perspectives de résolution du conflit israélo-palestinien.


Synthèse et chape par Ilan Rozenkier par LPM

Notes et édition par Tal Aronzon pour LPM

Grâce aux Ong’s, le vivre-ensemble s’affiche. ©Buma Inba  [DR]

D’après le compte-rendu d’Ahiya Raved de L’Index des relations entre Juifs et Arabes dans les sondages d’opinion publique en Israël 2017 [*] publié sur ynetnews.com le 7 mars 2018  >

https://www.ynetnews.com/articles/0,7340,L-5148927,00.html


La synthèse d’Ilan Rozenkier

L’enquête d’opinion conduite par le professeur Sammy Smoo’ha  aboutit à des résultats non univoques. Certes, moins de 60% des Arabes reconnaissent le droit à l’existence d’Israël (-7% en deux ans) et moins de la moitié son caractère juif et démocratique [1] (-4,5% entre 2015 et 2017). Cependant, 77,4% d’entre eux ne quitteraient pas le pays pour s’installer dans un éventuel État palestinien (+5,2%) ; et 2/3 des Juifs considèrent que les citoyens arabes devraient jouir de droits égaux. Pour le chercheur, la détérioration est avérée mais, à ses yeux, les fondements de la coexistence entre Juifs et Arabes demeurent puissants.

La baisse la plus forte parmi les Arabes porte sur l’adhésion [au concept de] majorité juive, qui régresse de 60,3% en 2015 à 44,6% seulement en 2017. Le consentement à la loi du Retour [2] passe de 39% à 25,5% durant la même période et moins de la moitié d’entre eux (45,6%) agréent dorénavant un Israël qui serait uniquement de culture hébraïque [3], ce qu’en 2015 ils étaient 56,2% à accepter. Sans surprise, l’approbation du Shabbat en tant que jour de repos ne recueille plus que 46% des suffrages arabes contre 60,7% en 2015.

Ceci dit, il n’en demeure pas moins que la proportion des Arabes qui voient Israël comme un endroit où il fait bon vivre reste relativement stable (régression de 2%) et que le pourcentage de ceux qui préfèrent y vivre plutôt que n’importe où ailleurs croît de 2% (64% en 2017). Rappelons en outre, nous l’avons déjà signalée, la progression du nombre d’Arabes (+5%) n’envisageant pas de s’installer dans le futur État palestinien [4].

Parallèlement à ce recul de l’acceptation de la légitimité du caractère [juif] d’Israël, on note également une détérioration de la reconnaissance de la légitimité de la minorité arabe. Les Juifs admettant leur droit à vivre dans le pays en tant que minorité avec des droits de citoyenneté à part entière ont diminué (79,7% en 2015 à 73,8% aujourd’hui). Ceux qui consentent à leur accorder la plénitude des droits civiques [5] dans un État juif et démocratique chutent de 74,9 à 68,1%. Seuls 28,9% des Juifs ne témoignent pas d’une propension à avoir des amis arabes contre 24,3% en 2015. Ce qui signifie donc que la majorité d’entre eux ne s’y refusent pas… explicitement.

Le nombre de Juifs trouvant bonne la présence d’élèves arabes dans les écoles de leurs enfants a chuté de 57,5% à 51,6% [6]. Le pourcentage de Juifs refusant d’avoir des voisins arabes [7] est monté de 41% à 48%. La proportion de Juifs qui évitent d’entrer dans les localités arabes a augmenté, passant de 59,3% à 63,7%.

En ce qui concerne le projet de loi sur l’État-nation juif, 67,3% des participants juifs à cette enquête ont estimé qu’« une loi est nécessaire pour assurer la démocratie en Israël à la seule condition de ne pas nuire à l’État juif. »[8]

Inventeur du concept de démocratie ethnique, le professeur Smoo’ha [9] n’approuve pas la politique officielle envers la minorité arabe, reprochant au gouvernement de poursuivre des politiques qui donnent aux citoyens arabes le sentiment d’être « persécutés politiquement » ; Il fait référence au projet de loi sur les muezzins et à des pratiques telles que la démolition de maisons [construites illégalement] dans des villages [bédouins] non reconnus dans le Néguev [10].

Le sondage a montré une baisse de la légitimité de l’État aux yeux des Arabes et de la légitimité de la minorité arabe aux yeux des Juifs.

L’universitaire estime par ailleurs que l’impasse diplomatique avec les Palestiniens, les accusations de responsabilité concernant une série de feux de forêt portées contre les Arabes, la vague de violence arabe en 2015 et l’absence d’impact palpable des mesures économiques du gouvernement ont toutes contribué à ces résultats.

« L’impasse diplomatique et les actions des députés arabes comme le boycott des  funérailles de Shimon Pérès et la tentative de [l’Arabe chrétien né à Nazareth, membre de la Knesseth au titre de la Liste arabe unie, le docteur Basel] Ghattas de faire passer des téléphones portables à des détenus incarcérés pour raisons de sécurité [11] ont concouru à durcir les attitudes juives. […] Les Juifs ont le sentiment que les Arabes n’agissent pas en citoyens loyaux », a affirmé le professeur Smoo’ha.

Malgré une détérioration incontestable et sur la base des pourcentages de citoyens favorables au vivre ensemble restés importants quoique non majoritaires — dans une situation sécuritaire et politique où ils auraient pu s’effondrer — il évalue qu’existent des fondements solides pour une coexistence judéo-arabe.

La majorité tant chez les Juifs que chez les Arabes croit en une société partagée et accepte que le pays dans ses frontières — celles de la Ligne verte [12] — soit le cadre de leurs rapports ; considère qu’il fait bon vivre en Israël ; est attachée à la démocratie et aux mécanismes de régulation des relations ; et pense qu’une citoyenneté de qualité est la base de la coexistence et un objectif important pour le pays.

« Nul ne souhaite quitter la table. La minorité arabe continue à accrocher ses wagons à l’État d’Israël et se bat pour y améliorer son niveau de vie. Les Arabes israéliens ne se détachent ni d’Israël ni de la majorité juive ; ils ne s’identifient pas non plus aux spécificités palestiniennes plutôt qu’israéliennes et ne se laissent pas entraîner dans des heurts massifs. »

« De même les Juifs et l’État n’ont-ils aucun intérêt à fomenter des crises avec la minorité arabe et réalisent-ils [que ses membres] diffèrent des Palestiniens sous occupation ; ils continueront à faire partie du peuple israélien et il n’est d’autre choix que de s’en accommoder », conclut le professeur Smoo’ha.


Notes & Références

[1]  L’alliance de ces deux concepts accompagne la définition de l’État idéal rêvé des la fin du 19e siècle par le sionisme politique et mis fermement en place par David Ben-Gourion déclarant l’Indépendance, 

[2] La loi du Retour permet à tout Juif/Juive né(e) de mère juive ou converti(e) d’immigrer en Israël et d’en obtenir immédiatement la citoyenneté. Depuis la grande vague russe, les exigences se sont considérablement assouplies, les dispositions sur la réunion des familles ayant permis d’intégrer des conjoints non-juifs, leurs parents, oncles et tantes, etc.

[3] Le bi-linguisme officiel hébreu-arabe — très visible sur les panneaux indicateurs et plaques de rue où l’anglais conservé depuis la période mandataire fait usage de langue internationale — est théoriquement obligatoire dans l’enseignement public qui voit coexister du primaire au collège trois réseaux, dont l’un où l’arabe est la langue et culture de référence… hélas de plus en plus menacée aujourd’hui pour ne pas dire qu’on la met en jachère ! 

[4]  Comme Avigdor Lieberman les y encourage vivement, sous couleur de cohérence démographique — quand il n’envisage pas carrément de les « transférer » le plus loin possible.

[5]  Droits civiques auxquels les Arabes israéliens musulmans ou chrétiens, les Bahaïs, les Druzes ou les Bédouins sont attitrés au nom de l’une des Lois fondamentale qui tiennent lieu de constitution à l’État depuis son avènement.

[6]  Comme on peut le lire plus haut (cf. supra note 3), trois réseaux se partagent l’enseignement public primaire et secondaire (collège), dont l’un principalement de langue et culture arabe, l’autre hébraïque, le troisième étant religieux. Les programmes du premier font une large place à l »hébreu, et ceux du second sont censés former leurs élèves à l’arabe, comme nous déjà signalé. La répartition des élèves est automatique, du fait de la sectorisation… à ceci près que le niveau de l’enseignement et le faible apprentissage de l’anglais comme  de l’hébreu dans le réseau arabe pousse les parents qui en ont les moyens à domicilier leurs enfants hors de leur localité, voire de leur région, de façon à les inscrire dans des écoles dont la qualité leur donnera de meilleures chances pour l’avenir. Écoles où ils sont amenés à côtoyer des élèves d’origine juive (ou dits tels, cf. supra note 2)..

[7]  En 2010, le nouveau grand-rabbin de Safed — petite cité de Haute-Galilée aux confins du Liban, l’une des quatre villes saintes du judaïsme et le haut-lieu de la Kabbalah depuis que ses maîtres s’y réfugièrent pour fuir les persécutions de l’Inquisition dans la péninsule ibérique — promulgua lors d’un conseil municipal un édit interdisant de vendre ou louer des appartements aux 1 300 étudiants palestiniens de l’université de Safed qu!il accuse de vouloir reprendre la ville à ses 49 000 habitants juifs. Une mesure qui lui valut le titre de « ville la plus raciste du pays» décerné par le Ha’Aretz. Fidèle à son plan de cohérence démographique et à son rêve de se débarrasser des Arabes en Cisjordanie comme en Israël, Avigdor Lieberman, promoteur de la judaïsation de la Galilée où les agglomérations arabes restent nombreuses malgré les expulsions de 1948 (dont Ma’moud Abbas enfant et sa famille, originaires de Safed), appuie cette discrimination bientôt officiellement adoptée sous couleur de sécurité. Lrs localités sont désormais libres d’accepter ou refuser des résidents arabes. Exit la coexistence…

[8]  Présenté pour la première fois en 2014 par le député Likoud Avi Dichter le projet de loi fondamentale (tenant lieu de Constitution, cf. note 5) sur l’État-nation juif, serpent de mer refaisant régulièrement surface dans la vie politique israélienne depuis sa proposition controversée, a vu le vote à son propos en séance plénière renvoyé aux calendes grecques… ou au moins à l’année parlementaire suivante La commission intra-coalition chargée de trouver la formule miracle satisfaisant l’ensemble des partis qui en sont membres a dû déclarer forfait après s’être déchirée sur le délicat équilibre entre démocratie et religion. Fortement soutenu par le Premier ministre, ce projet voué à changer la nature démocratique de l’État d’Israël et le statut de la langue et des citoyens arabes est passé en première lecture en mai dernier. Très controversé tant à l’étranger qu’en Israël ou dans la diaspora, il n’est pas vraiment fait pour apaiser les tensions de tous ordres. Nous renvoyons le lecteur au compte-rendu de Blandine Le-Roy pour La Paix Maintenant, citant amplement l’écrivain, ex-membre de la Knesseth et militant associatif par la coexistence judéo-arabe Uri Avnery. Celui-ci revient sur la définition du peuple juif, qui « dans le langage général se compose de tous les Juifs du monde, dont plus de la moitié vivent en dehors d’Israël et sont citoyens d’autres États. On leur demande s’ils veulent que l’État d’Israël les représente. […] Qu’en est-il des citoyens arabes d’Israël, qui constituent plus de 20% de la population ? Eh bien, ils restent citoyens, mais l’État ne leur appartient pas ».   >  Compte-Rendu

[9]  Inventeur du concept de démocratie ethnique, qu’il développa dans un livre publié en 1997, Ethnic democracy: Israel as an archetype, et qui lui valut la plus haute distinction du pays, le prix d’Israël en Sciences sociales, le professeur Sammy Smoo’ha, né en 1941, mène ses recherches à l’université de Haïfa. Spécialiste de l’étude comparée des relations ethniques, il s’est penché sur les divisions internes de la société israélienne. Engagé dans l’épanouissement des relations inter-communautaires, en particulier entre citoyens arabes et juifs de l’État, il publie outre l’Index annuel (cf. infra) ; Israel: Pluralism and Conflict (London, Routledge and Kegan Paul / Berkeley & Los Angeles, U. of California Press, 1978) ; The Orientation and Politicization of the Arab Minority in Israel  (Haïfa, The Jewish-Arab Center, U. of Haifa, 1984) ;.2 volumes d’études sur les Arabes et les Juifs en Israël — Vol. 1 : Conflicting and Shared Attitudes in a Divided Society / Vol. 2 : Change and Continuity in Mutual Intolerance (Boulder & London, Westview Press, 1989 et 1992) ; un plaidoyer en hébreu pour l’autonomie des Arabes en Israël (Beit Berl, The Institute for Israeli Arab Studies, 1999, 143 pp.) ; The Citizens’ Accord Forum between Jews and Arabs in Israel (Tel-Aviv, Friedrich Ebert Stiftung, 2005).

[10] Le professeur Smoo’ha évoque ici les destructions récurrentes d’agglomérations bédouines construites sans permis, refusés au prétexte que ces tribus semi-sédentarisées, déplacées lors de la guerre d’Indépendance loin d’un désert frontalier et difficilement contrôlable, ne disposaient pas des titres de propriété exigés. Beaucoup n’eurent cependant de cesse de revenir sur leurs lieux de campement et de pâturage ancestraux, identifiés dans cette culture jusque-là exclusivement orale par des tessons de poterie enterrés reconnus par l’ensemble des tribus. La suite fait la une des médias…

[11]  Hérité du mandat britannique, le système des détentions administratives subi par la population du Yishouv et inutilisé en Israël une fois l’Indépendance proclamée est réactualisé dans les Territoires occupés après juin 67. Arme coloniale par excellence, cela permet d’arrêter et de détenir, souvent au secret, quelque gêneur que ce soit pour une période de trois mois… renouvelable à l’envi. Israël en fait aujourd’hui usage à outrance en Cisjordanie, gardant ainsi sous le boisseau des députés palestiniens parfois prêts à négocier ! Crime suprême, puisque menaçant l’annexion rampante en cours. C’est dans ce contexte que l »affaire des portables passés de député arabe israélien à député palestinien intervient.

[12]  La seule mention de la ligne Verte, ou frontière internationalement reconnue de l’Etat d’Israël, donne une indication de la position des professeur Smoo’ha concernant l’issue de conflit : la solution à 2 Peuples, 2 États.

[*] L’Index des relations entre Juifs et Arabes dans les sondages d’opinion publique en Israël a été établi chaque année depuis 1976. L’enquête dont il est rendu compte ici a eu lieu de mai à août 2017 parmi 700 Juifs et 700 Arabes formant un échantillon représentatif de la population adulte de chacun des deux groupes.


L’Auteur

Sociologue et membre fondateur des Amis de Shalom Akhshav, devenus La Paix Maintenant, Ilan Rozenkier a été élu président de l’association en 2014.