« Lieberman est l’un des politiciens les plus racistes d’Israël, et probablement le plus cynique et manipulateur de tous. Aux dernières élections, il a réussi à se positionner idéalement pour pratiquer l’extorsion : l’avenir d’Israël dépend maintenant de sa décision. »


Traduction : Bernard Bohbot pour LPM

Tomer Appelbaum

Auteur : Zehava Gal-On pour Haaretz, 7 novembre 2019

https://www.haaretz.com/israel-news/elections/.premium-lieberman-is-no-knight-on-a-white-horse-1.8091757


Tzvia Greenfield* s’est jointe au chœur de commentateurs et de journalistes qui fondent leurs espoirs sur ce caméléon politique Avigdor Lieberman (cf. Haaretz en hébreu, 4 novembre).

C’est lui qui décidera si Benjamin Netanyahu quittera son poste ; c’est lui qui peut, dit-elle, défaire le nœud politique dans lequel Israël est empêtré et permettre à Benny Gantz de former un gouvernement. L’homme du jour, le qualifie-t-elle.

La tentation de le faire est certainement grande. Les résultats des élections signifient que Gantz a une mission redoutable, celle de former une coalition qui lui permettrait de tenir sa promesse de remplacer Netanyahu. Cependant, il continue de débiter tous les beaux clichés sur la nécessité de « l’unité » et de la « réconciliation » et sur l’objectif de former un gouvernement d’unité avec le Likoud.

Certes, l’opinion publique grince des dents, et à juste titre, à l’idée d’une troisième élection. C’est évidemment une raison suffisante pour s’accrocher à chaque lueur d’espoir et être tenté de miser sur quelqu’un d’aussi peu fiable que Lieberman. Mais de là à lui prodiguer le genre d’éloges dont Greenfield l’a couvert, il y a loin.

La semaine dernière, lors de l’émission de Dekel Segal sur la station de radio Kan Bet, Lieberman a dit : « Bien sûr, la Liste commune est une cinquième colonne, non pas entre guillemets, mais littéralement… il est impensable d’essayer de faire accepter ce qui est ignoble. Malheureusement, la Liste commune ne représente pas les Arabes israéliens. »

Ce n’est pas une déclaration surprenante de la part de quelqu’un qui a construit sa carrière politique sur la provocation fasciste à l’encontre des citoyens arabes d’Israël en appelant à subordonner leur citoyenneté à un serment de loyauté, au transfert de Wadi Ara** et au relèvement du seuil électoral afin d’éliminer les partis arabes.

Pourtant, Greenfield refuse d’entendre, de voir, de croire ou de comprendre. Elle appelle Lieberman à former un gouvernement minoritaire qui s’appuierait sur la Liste commune : « Lieberman est capable d’apporter des changements drastiques. Il l’a déjà prouvé en empêchant Netanyahu de rester Premier ministre. »

Décrire Lieberman comme un chevalier sur le cheval blanc de la laïcité israélienne, c’est aisément faire fi de son propre passif. Il a fait partie de gouvernements qui se sont pliés au chantage des Haredim, à la coercition religieuse, et il sera encore prêt à siéger avec de tels partenaires à l’avenir.

Par conséquent, malgré tout, il vaut mieux rester sceptique à l’égard de l’une des figures les plus douteuses de la politique israélienne – qui a réussi de justesse à échapper au procès, tandis que des témoins disparaissaient mystérieusement et que l’ambassadeur d’Israël au Bélarus lui transmettait des informations sur cette enquête.

Il faut aussi tenir compte de la possibilité très réelle qu’au moment de vérité, Lieberman puisse prendre les sièges supplémentaires qu’il a gagnés à la Knesset grâce aux électeurs du camp anti-Bibi pour les mettre dans la poche de Netanyahu. Un accord de rotation entre eux permettrait à Lieberman d’entrer dans un gouvernement Netanyahu avec un plus grand pouvoir de négociation, et la possibilité de remplacer le Premier ministre si Netanyahu est inculpé.

Lieberman est l’un des politiciens les plus racistes d’Israël, et probablement le plus cynique et manipulateur de tous. Aux dernières élections, il a réussi à se positionner idéalement pour pratiquer l’extorsion : l’avenir d’Israël dépend maintenant de sa décision.

La gauche et le centre ignorent consciemment ses attributs peu recommandables tandis que la droite espère qu’à la fin, il se rangera avec eux.

Tout cela montre à quel point la crise politique est devenue profonde. Pour remplacer un personnage corrompu, nous en courtisons un autre. Même en supposant qu’on n’ait pas le choix, on devrait se rappeler à qui l’on a affaire. Si Lieberman doit être notre sauveur, alors nous avons atteint le fond.

* Tzvia Greenfield : Ex-membre de la Knesset au sein du Meretz, elle a été la première femme haredi à être élue députée.

** Wadi Ara est une zone d’Israël principalement habitée par des Arabes israéliens. Wadi Ara se situe au nord-ouest de la ligne verte, et donc à proximité immédiate de la Cisjordanie, dans le district de Haïfa.