Et si Natalie Portman n’avait pas tort… ? Couverte de boue, insultée à n’en plus finir suite à sa décision de ne pas assister à la cérémonie du prix Genesis afin de ne pas paraître soutenir Benyamin Nétanyahou, qui devait y prononcer un discours, l’actrice a dû faire front aux violentes attaques des ultra-nationalistes.

À titre personnel, j’eus sans doute préféré qu’elle vienne et dise ce qu’elle a sur le cœur — mais alors les mêmes lui auraient reproché cette conduite : « Que n’est-elle restée chez elle ? » aurait-on entendu. En fait, le seul choix « qu’ils » lui laissent (ceux qui n’ont que l’insulte et la calomnie à la bouche dès qu’on n’est pas d’accord avec eux) c’est de venir, se taire et cautionner “l’incautionnable”.

C’est ce qu’ils veulent de tout Israélien, de tout Juif de la diaspora. Et si elle n’avait pas tort ? On peut en discuter sans s’insulter, souligner que le prix n’est pas exempt d’arrière-pensée. On dit que la juge de la Cour suprême des USA, R. B. Ginsburg, devait en être lauréate, mais que Bibi refusait d’apparaître aux côtés de cette ardente critique de Trump. Lui peut donc éviter de s’afficher près de R.B. Ginsburg mais Natalie Portman, elle, n’aurait pas le choix…


Chapô : Ilan Rozenkier pour LPM

Photo : Natalie Portman à Paris le 22 mai 2015 © Dominique Faget/AFP  [DR]


L’Article de Guillaume Gendron

Sur le papier, c’était le choix le plus consensuel imaginable. Oscarisée, binationale, diplômée de Harvard, les pieds en Amérique mais les racines en Israël, “libérale” dans le sens anglo-saxon du terme, sioniste bon teint à la pointe du combat féministe… Les organisateurs du prix Genesis pensaient être à l’abri de la controverse. Pour le jury de ce “prix Nobel juif” (terme un brin abusif : Michael Douglas l’a reçu), fondé en 2012 par des philanthropes liés au gouvernement pour raviver les liens distendus entre la Terre sainte et des représentants exemplaires de la diaspora, la star de Black Swan était tout à la fois « une actrice aux grands accomplissements, une activiste dévouée aux causes sociales et un être humain formidable ».

Mais voilà : Natalie Portman, qui a accepté le prix il y a cinq mois, a finalement décidé de ne pas se rendre à Jérusalem fin juin. Dans un premier temps, elle a cité, sans évoquer clairement la situation à Gaza ou le sort des réfugiés africains, des « événements récents extrêmement éprouvants » l’empêchant de « prendre part la conscience libre » au raout en son honneur. La cérémonie a donc été annulée. La comédienne devrait tout de même recevoir un chèque de 2 millions de dollars (1,6 million d’euros) destiné à des associations de son choix. L’annonce, tombée en pleines cérémonies des 70 ans de l’État, a déclenché l’ire de l’ultra-patriotique ministre de la Culture, Miri Regev. L’icône serait ainsi tombée « comme un fruit mûr dans les mains du BDS [Boycott, désinvestissement, sanctions, ndlr] », ce mouvement international qui prône le boycott politique, économique et culturel d’Israël. Une accusation synonyme de haute trahison. Jamais en reste, le sulfureux député du Likoud Oren Hazan a demandé que la star hollywoodienne soit déchue de sa nationalité.

Le “BibiDS” est né…

Au bout de vingt-quatre heures d’hystérie médiatique et politique, Natalie Portman a tenu à s’expliquer sur Instagram. Non, elle n’a pas rejoint le BDS. Elle aime toujours « la gastronomie, les livres, l’art et le cinéma » israéliens. Ce qu’elle boycotte, c’est le Premier ministre, Benyamin Nétanyahou, dit “Bibi”, qui devait faire un discours lors de la cérémonie. « Le mauvais traitement de ceux qui souffrent des atrocités d’aujourd’hui n’est simplement pas en accord avec mes valeurs juives. Parce qu’Israël m’est cher, je dois m’opposer à la violence, à la corruption, aux inégalités et à l’abus de pouvoir. » Et d’ajouter : « Comme beaucoup d’Israéliens et de juifs dans le monde, je peux critiquer la direction israélienne sans pour autant vouloir boycotter l’ensemble du pays. » Pour le quotidien de gauche Ha’Aretz, Portman a inventé le « BibiDS ». Pas de quoi calmer les nerfs de la coalition d’ultra-droite au pouvoir, au contraire. Dimanche, Yuval Steinitz, ministre des Infrastructures intime de “Bibi”, l’a accusée « d’avoir une relation à Israël proche de l’antisémitisme » et de « collaborer avec ceux qui nous haïssent ». La même Natalie Portman qui, trois ans plus tôt, adaptait pour ses premiers pas derrière la caméra un roman d’Amos Oz décrivant la genèse douloureuse de l’État hébreu après l’Holocauste… Dans une laborieuse métaphore la renvoyant à son rôle dans Star Wars, Gilad Erdan, autre ministre estampillé Likoud, l’accuse d’avoir rejoint le côté obscur de la Force.

Un « cinéma de gauchistes »

« Franchement, elle aurait pu être bien plus critique, parler de tirs à balles réelles sur des manifestants désarmés [à la frontière avec Gaza], remarque le réalisateur israélien Amos Gitaï, qui l’a fait tourner en 2005 dans Free Zone. Je pense que ça a dû être douloureux pour elle. On sent qu’elle a choisi ses mots, son communiqué est très mesuré. Mais je ne suis pas étonné par la violence de la réaction : ce gouvernement n’est pas rationnel, il tire à vue sans poser de question. Alors que le rôle de l’artiste, s’il tient à son pays, c’est d’avoir un rapport critique à celui-ci. Ou alors on fait des relations publiques… »

Ces dernières années, le septième art israélien s’est constitué en contre-pouvoir et est entré en guerre ouverte avec la ministre Miri Regev, décidée à mettre au pas ce « cinéma de gauchistes ». Quitte à appeler – comble de l’ironie – au boycott de celui-ci, comme ce fut le cas lors du festival du film israélien à Paris le mois dernier. De fait, Israël a surinvesti dans ses exportations les [vedettes] les plus glamour : Portman donc, et Gal Gadot, la Wonder Woman de DC Comics (qui avait soutenu Tsa’hal sur Instagram lors de la guerre à Gaza en 2014). Pour la droite quasi hégémonique, le sentiment de trahison n’en est que plus grand. Gitaï se dit surpris du « retournement de veste » de l’opinion envers une personnalité aussi adulée. En soutien, le mouvement La Paix maintenant a lancé le slogan « I’m with her ». Il n’y a cependant pas de consensus dans l’opposition. Certains font remarquer que l’écrivain et virulent opposant David Grossman (lire Libération du 20 avril) a accepté sans se dédire de recevoir jeudi dernier le prix Israël des mains du leader des nationalistes-religieux, Naftali Bennett. Ce qui reste de la gauche israélienne réplique en citant la sénatrice Amidala dans Star Wars : « C’est donc comme ça que la liberté meurt… Sous les applaudissements. »


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L’Auteur

Guillaume Gendron est le correspondant de Libération à Tel-Aviv.