Traduction : Bernard Bohbot pour LPM

Auteur : Shaul Arieli, Haaretz, 19 août 2021

https://www.haaretz.co.il/opinions/.premium-1.10132723?fbclid=IwAR3aEo-XgQ3deXGnwHDQ_J3oIzPayWmaRQXYBuZuH-4bLk2A8a93KuKGTmk

Illustration : Pour la première fois depuis 1967, solde migratoire négatif dans les 46 colonies les plus importantes. Le public israélien le comprend : pas d’avenir dans les colonies.
Rappel des données pour Modi’in Illit, Beitar Illit, Ma’ale Adumim et Ariel.

Mis en ligne le 22 /09/2021 


Cette réalité est claire depuis des années, même pour les partisans des colonies. Depuis très longtemps, la majorité de la droite politique sait qu’il n’est plus possible de parler d’annexion et d’application du droit. « Dans l’état actuel des choses, une telle aspiration n’est pas du domaine du possible« , écrivait en 1992 dans un article le professeur Vered Noam, lauréat du prix Israël en études talmudiques (« La fin du temps jaune », « dot » 61). Ceci, poursuit Noam dans l’article, en raison du prix à payer pour « accorder un statut civil défini à près de deux millions d’Arabes« , ce qui menace la majorité juive et l’identité juive de l’État d’Israël.

Ainsi, dès 1978, le Premier ministre de l’époque, Menachem Begin, a conçu le plan d’autonomie, afin de gagner une « dot » (la majeure partie des territoires) sans la « mariée » (les Palestiniens), pour reprendre la formule de l’ancien Premier ministre Levi Eshkol. Naftali Bennett et Ayelet Shaked ont poursuivi dans cette voie, et ont lancé en 2012 « l’Initiative de stabilité » qui prévoit l’annexion de la zone C, où vivent peu de Palestiniens. Benjamin Netanyahou, qui a servi d’architecte de la  » Vision de la paix  » du président Donald Trump lancée en 2020, a de nouveau tenté d’établir une autonomie palestinienne limitée.

Cette vérité sur l’impossibilité d’annexer la Cisjordanie semble encore plus réelle aujourd’hui. La reconnaissance mutuelle entre Israël et l’OLP, les accords d’Oslo et la création de l’Autorité palestinienne en 1993-1994, ainsi que la large reconnaissance internationale de la Palestine en tant qu’État observateur à l’ONU en 2012, et la position de l’administration de Joe Biden – tout cela ne le permettra pas. Une fois de plus, Israël a deux options pour préserver l’hégémonie juive : contrôler les territoires et maintenir un régime d’apartheid ou s’en séparer et créer deux États.

L’opinion publique israélienne, consciente du choix qui s’offre à elle, soutient à une faible majorité la solution des deux États, mais depuis plus d’une décennie, elle ne croit plus en sa faisabilité en raison de ce qu’elle perçoit comme deux obstacles : d’une part, l’absence d’un « partenaire » palestinien (une question que j’ai traitée en détail dans d’autres articles), et d’autre part, la perception que l’expansion des colonies a changé la situation en Cisjordanie de manière irréversible.

Le public, dont la grande majorité ne prend pas la peine de franchir la Ligne verte, est depuis de nombreuses années bombardé de fausses nouvelles par la droite des colons, qui ignore les données publiées chaque année par le Bureau central des statistiques (CBS). Ce mois-ci, les données démographiques de la région pour la fin 2020 ont été publiées, et elles ruinent une fois de plus l’illusion selon laquelle la colonisation est une entreprise prospère. Les dirigeants des colons eux-mêmes et la droite politique ne croient plus à cette chimère, mais ils continuent à l’entretenir par des gestes désespérés de législation antidémocratique, par le silence face à la violence contre les Palestiniens, et par des tentatives futiles de faire croître des colonies isolées, dépourvues de toute influence démographique et spatiale.

Une fois de plus, le CBS a montré la poursuite des tendances de la dernière décennie dans les 46 grandes colonies de Cisjordanie, celles qui comptent plus de 2 000 habitants. Pour la première fois depuis 1967, nous assistons à un solde migratoire général négatif dans ces colonies. Le nombre d’Israéliens qui ont quitté ces colonies en 2020 est supérieur de 1 040 au nombre de ceux qui s’y sont installés. Dans les quatre villes juives, où 44 % de la population juive vit dans le district de Judée et Samarie, le solde migratoire est négatif : à Modi’in Illit, la plus grande ville avec une population ultra-orthodoxe – moins 815. Dans sa consœur ultra-orthodoxe, Beitar Illit, la deuxième plus grande ville de Judée et Samarie – moins 442. La troisième plus grande ville, Ma’ale Adumim, avec une population mixte, détient le record – moins 853. Ariel, la plus petite ville – moins 327. Il convient de noter que la population d’Ariel ne comprend pas moins de 573 Arabes, suivie de Ma’ale Adumim avec 73 Arabes.

L’accroissement naturel dans l’ensemble de la Judée et de la Samarie, qui s’élève à 10 546 personnes, ainsi que l’immigration en provenance de l’étranger de 568 personnes, compensent le solde migratoire négatif et portent l’accroissement annuel à 10 074 personnes. Cependant, il s’agit d’une augmentation de seulement 2,46% – la plus faible depuis le début de la colonisation en 1967 ! Et l’unique source, pour la première fois, est l’accroissement naturel.

Les sources de l’accroissement naturel renforcent également l’image d’échec. En effet, 53% de l’accroissement naturel total dans ces 46 colonies a été réalisé dans les deux villes ultra-orthodoxes. Cela leur permet de compenser l’immigration négative et de continuer à bénéficier d’une croissance annuelle élevée – 3,1% à Modi’in Ilit et 3,4% à Beitar Illit. Ces deux villes, dont les résidents constituent déjà environ 35 % de l’ensemble des colons de Cisjordanie, se situent au bas du classement socio-économique et dépendent entièrement de l’aide gouvernementale. En revanche, dans les deux villes où le taux de natalité est beaucoup plus faible, Ariel et Ma’ale Adumim, le nombre de résidents a diminué en 2020 en raison d’une augmentation négative, de 4,7 %  et de 0,8 %, respectivement.

Les grandes villes ne sont pas les seules à figurer sur la liste des agglomérations dont le solde migratoire est négatif. Pas moins de 21 localités sont caractérisées par un solde migratoire négatif – soit 54% des grandes localités de Cisjordanie. Des localités telles que Neve Daniel et Mitzpe Jericho souffrent d’une augmentation annuelle de 0%. Dans les localités d’Elazar, Kfar Ha’oranim, Beit El et Alon Shvut, on constate une diminution du nombre de résidents.

Les données complètes sur toutes les localités, qui seront publiées prochainement, ne devraient pas changer ce sombre tableau car, dans les 46 grandes localités, vivent environ 88% de la population, et environ 12% dans les 82 localités restantes, petites et isolées, (dans quasi la moitié des localités,  moins de mille habitants vivent dans chacune).

Les données partielles qui ont déjà été publiées montrent que dans 25 colonies (20% de toutes les colonies), il y a eu une croissance négative en 2020. Dans la « stratégique » vallée du Jourdain et le nord de la mer Morte, qui couvrent un tiers de la Cisjordanie, seuls 7 618 Israéliens vivent dans 26 colonies, chacune ayant une population moyenne de moins de 300 habitants. Dans les montagnes d’Hébron, l’équilibre démographique entre Juifs et Arabes est de 50:1, et de Naplouse au nord à la vallée de Jezreel, seuls 5 634 Israéliens vivent dans huit petites colonies.

Contrairement aux données ci-dessus, le gouvernement Bennett-Lapid a approuvé cette semaine une réunion du Comité suprême de planification en Judée et Samarie, qui devrait confirmer la construction de 2 200 nouveaux appartements en Cisjordanie, dont beaucoup dans des localités isolées, au motif de la « croissance naturelle » (un concept peu clair). Le gouvernement doit comprendre et intérioriser que cette année encore, après une décennie de gouvernements de franche droite et de soutien de l’administration Trump, les données montrent que toutes les tentatives de relance des colonies, au prix de dizaines de milliards de dollars dont le public israélien a besoin à l’intérieur de la ligne verte, sont vouées à l’échec spatial et politique. Les colonies ne menacent pas démographiquement et spatialement la domination palestinienne, ni la solution à deux États ; elles deviennent l' »arrière-cour » de l’État d’Israël, dans laquelle est massée la population ultra-orthodoxe pauvre et soutenue et la population de colons messianiques-nationalistes. Ces deux populations constituent un fardeau sécuritaire, économique, moral et politique pour Israël, sans aucune perspective, sauf dans le cadre d’un règlement permanent, dans lequel Israël pourra conserver la plupart des colons sous sa souveraineté.