A Jérusalem-Est, deux populations ont perdu des biens pendant la guerre en 1948, mais seulement les Juifs ont le droit de les récupérer, au contraire des Palestiniens. Ce mécanisme de ségrégation est actionné aujourd’hui pour déposséder et évacuer des centaines de Palestiniens de leur maison.


Traducteur : (de l’hébreu) Marco Sarrabia pour LPM

Auteur : Hagit Ofran, responsable de l’Observatoire des colonies de Shalom Akhshav, qui assure le suivi et la documentation du développement des implantations dans les territoires occupés ; pour Mekomit, 25 novembre 2020

Photo : Une famille de colons prend possession d’une maison à Sheikh Jarrah après que la Cour suprême a autorisé l’expulsion de ses résidents palestiniens (2/8/2009).

© Photo Avir Sultan, Flash 90

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Mis en ligne le 23 décembre 2020


 

Le saviez-vous? Il y a en Israël une loi qui reconnaît le droit du Retour. Selon cette même loi, les propriétaires de biens qui ont été perdus pendant la guerre en 1948 ont le droit de les récupérer. Sur la base de la loi du retour pour les Juifs, les juges du tribunal administratif de Jérusalem ont rejeté cette semaine deux appels de huit familles du quartier de Silwan contre la décision de justice de les évacuer de leur maison au profit de colons. Un mois auparavant, le tribunal a ordonné l’expulsion de quatre familles palestiniennes du quartier de Sheikh Jarrah et trois semaines avant, une décision de justice a été rendue pour l’évacuation de trois familles supplémentaires. Petit à petit, les juges du tribunal de Jérusalem rendent des jugements qui destinent des dizaines de familles à être jetées à la rue.

En fait, des communautés entières à Silwan et à Sheikh Jarrah se trouvent sous la menace de plus en plus réelle d’expulsion. Depuis le début de l’année, les tribunaux de Jérusalem ont ordonné l’évacuation de 22 familles palestiniennes (en tout 139 personnes) des quartiers de Sheikh Jarrah et de Batan El-Hawa, en faveurs de colons. Des dizaines de familles supplémentaires, plus de mille personnes, se trouvent à différentes étapes de procédures d’expulsion intentées par des colons.

Toutes ces actions en justice sont basées sur le principe du droit de retour et la loi qui le permet. Dans toutes ces procédures, on affirme que la terre avant 1948 appartenait à des Juifs, et maintenant en leur nom, les colons ont le droit de la récupérer. Mais ce droit ne concerne que les Juifs. Il ne s’applique pas aux Palestiniens.

En 1948, une guerre sanglante entre Juifs et Arabes a eu lieu en Israël, au cours de laquelle des centaines de milliers de personnes ont été déplacées de leurs foyers. Pendant la guerre, le gouvernement israélien a décidé de ne pas permettre aux réfugiés palestiniens de revenir chez eux.

Par la suite, en 1950, la Knesset a promulgué la loi sur la propriété des absents (1950), qui stipule que les biens des réfugiés palestiniens ne seront pas restitués à leurs propriétaires et que le gouvernement peut les utiliser et les vendre au profit du développement du pays. Dans la région de Jérusalem, environ 35000 Palestiniens ont perdu leurs maisons pendant la guerre (dans les quartiers de Talbiyeh, Katamon, Bakaa, Dir Yassine et plus, selon le site Web Zochrot – « Elles se souviennent »), et environ 2000 Juifs ont perdu leurs maisons (principalement dans la Vieille Ville et à Sheikh Jarrah). Les Palestiniens sont tous devenus des réfugiés, n’ont reçu aucun dédommagement et ont été placés dans des camps de réfugiés. En revanche, tous les Juifs ont reçu une compensation immédiate des institutions de l’État sous la forme d’un logement alternatif et se sont installés à l’intérieur des frontières de l’État d’Israël.

En 1967, après la guerre des Six jours, le gouvernement israélien a décidé d’annexer environ 70 kilomètres carrés dans la région de Jérusalem, incluant 70 000 Palestiniens qui sont devenus des résidents permanents en Israël. L’annexion de Jérusalem-Est a créé des questions juridiques qui demandaient à être résolues, et entre autres la question des propriétés juives d’avant 1948 qui pendant 19 ans étaient sous contrôle jordanien. A cette fin, la loi des arrangements juridiques et administratifs a été votée en 1970. Elle traitait les questions telles que l’agrément des comptables à Jérusalem-Est et le statut des sociétés enregistrées en Jordanie et les sujets corollaires, ainsi que la question des biens juifs restants à Jérusalem-Est. La loi stipulait que ces biens seraient restitués à leurs propriétaires.

Il s’est avéré que dans la même ville, à la suite d’une guerre, il y a deux populations qui ont perdu des biens, mais un seul groupe national a le droit de les récupérer (bien qu’il ait déjà reçu des dédommagements), et l’autre population, vivant parfois à quelques centaines de mètres de ses propriétés à l’ouest de la ville, ne peut les reprendre. C’est le péché originel de cette loi sur les arrangements judiciaires et administratifs.

Mais l’injustice créée par la loi ne réside pas seulement dans la loi différente qui s’applique à différentes populations. Elle est également liée à la manière dont elle est mise en œuvre et à l’interprétation que les tribunaux en Israël lui donnent – et au fait qu’ils s’éloignent des objectifs des législateurs. Un examen des protocoles du processus législatif indique que les législateurs prévoyaient une situation dans laquelle les Juifs pourraient récupérer les propriétés vacantes, tandis que, dans les cas où les biens étaient occupés, ils recevraient une compensation monétaire. Les législateurs ont donné leur avis sur le lien personnel d’une personne avec sa propriété, mais en pratique, la loi et le mécanisme appliqués par le Juge des Tutelles et des successions (qui tient aussi le rôle de dépositaire général – NDT) sont exploités par des colons qui n’ont aucun point commun entre eux et les propriétaires d’origine.

Les résidents palestiniens dans le quartier de Batan Al-Hawa ont acheté légalement leurs terres pendant la période jordanienne, certains même après 1967, et y ont établi leur résidence. Pendant des décennies, personne n’a remis en cause leur propriété. Même le Juge des Tutelles et des successions, qui est censé gérer la propriété juive de Jérusalem-Est, n’a rien dit.

Cependant, à la fin du 19ème siècle, une fondation a été créée à Jérusalem sous le nom de « Hekdesh Benvenisti », qui construisit pour les juifs pauvres yéménites deux bâtiments allongés avec des dizaines d’appartements sur le même terrain. Dans les années 1930, à cause des tensions entre Juifs et Arabes, le gouvernement britannique a ordonné aux résidents juifs de Silwan de quitter le quartier et la fondation a été abandonnée.

70 ans plus tard, Ateret Cohanim (association religieuse juive – NDT) s’est présentée au tribunal et s’est portée « volontaire » pour administrer la fondation abandonnée. Le tribunal l’a nommée administrateur et, au nom de la fondation, elle s’est tournée vers le Juge des tutelles pour qu’il remette en sa possession la propriété, qui était déjà habitée par des centaines de Palestiniens. Le Juge n’a pas posé de questions ni vérifié, ni informé les résidents – et a donné aux colons ce qu’ils voulaient. Munie de documents du dépositaire général, Ateret Cohanim a commencé à exiger l’évacuation des familles palestiniennes.

Au tribunal, l’audience se déroule comme si il s’agissait d’un litige immobilier entre deux parties égales revendiquant des droits de propriété. Mais en vérité, il s’agit d’un mécanisme de dépossession complet mû par des motifs idéologiques, sans aucun rapport avec les objectifs initiaux de la loi.

Face à des associations bien organisées et bien financées, les familles palestiniennes démunies sont confrontées à des procédures quotidiennes difficiles et épuisantes. Et il n’y a pas de place ici pour décrire en détail les méthodes cruelles utilisées par les gens d’Ateret Cohanim pour briser et ruiner les familles palestiniennes.

En fin de compte, les tribunaux ne font pas d’efforts pour empêcher cette criante injustice. Il leur est facile de se dissimuler derrière l’interprétation à la lettre de la loi et de considérer la situation de manière étroite, en dehors du contexte réel. Et c’est sans doute tout le problème : quand la base est bancale, tout l’édifice est de travers, ainsi quand la loi est une loi discriminatoire, l’injustice ne pourra être empêchée que si les juges font vraiment tout leur possible.

Mais l’arène juridique n’est pas le seul aspect du problème. Il s’agit d’une initiative qui a des conséquences à long terme sur la perspective de paix, la stabilité à Jérusalem et la vie de milliers d’habitants. Le gouvernement a le droit et l’obligation d’intervenir et il peut empêcher l’évacuation.

Dans l’immédiat, la police peut s’abstenir d’envoyer des policiers pour évacuer les familles (ce qui avait déjà été fait par le passé et approuvé par le procureur général). À long terme, le gouvernement peut confisquer les biens qui se trouvent entre les mains des colons et les restituer aux Palestiniens.