Le président américain Joe Biden devrait se souvenir des scènes de la conférence d’extrême droite de dimanche qui appelait à la réinstallation à Gaza, la prochaine fois qu’il parlera à Benjamin Netanyahou d’un Moyen-Orient reconfiguré.


 

Auteur : Alon Pinkas, Haaretz, Israel News, le 29 janvier 2024

Traduction : Sylvie Lidgi pour LPM

https://www.haaretz.com/israel-news/2024-01-29/ty-article/.premium/an-orgy-of-jewish-supremacy-and-antidemocratic-euphoria-encouraged-by-netanyahu/0000018d-556b-d0fc-a9bd-5f7f8b540000

Photo : Les ministres israéliens Bezalel Smotrich, Haim Katz et Itamar Ben-Gvir lors de la « Conférence pour la victoire d’Israël » à Jérusalem le 28 janvier 2024. © : Olivier Fitoussi

Mis en ligne le 2 février 2024


Jérusalem a accueilli dimanche la « Conférence pour la victoire d’Israël – La colonisation apporte la sécurité : Retour dans la bande de Gaza et le nord de la Samarie« . Ce que vous avez vu là, c’est une secte religieuse nationaliste en état de transe.

Même si vous en avez déjà vu, ce n’est pas la même chose. Il ne s’agissait pas d’un groupe d’opposition marginal : c’était le gouvernement d’Israël dans toute sa splendeur politique, affichant sans complexe ses vraies couleurs. C’était la coalition gouvernementale dans une orgie d’euphorie antiétatique et antidémocratique.

Mais bien sûr – et je m’adresse ici au président américain Joe Biden et au secrétaire d’État Antony Blinken – vous pouvez continuer à prétendre que vous engagez le Premier ministre Benjamin Netanyahou dans un dialogue géopolitique sur un Moyen-Orient reconfiguré. Voyons comment cela fonctionne pour vous.

Ce que vous avez vu dimanche n’était pas la « Startup Nation » d’Israël. Ce n’était pas « 13 prix Nobel » Israël. Ce n’était pas l’Israël de l' »Institut scientifique Weizmann », ni l’Israël de la « technologie du Dôme de fer ». Ce n’était pas l’Israël libéral et démocratique.

Ce que vous avez vu, c’est une extase messianique et une ferveur religieuse dans une position de pouvoir. Ce que vous avez vu, ce n’est pas seulement une tendance théocratique-fasciste dans la société et la politique israéliennes, mais près de la moitié de la coalition de M. Netanyahou (27 législateurs), dont cinq ministres de son gouvernement.

Ce que vous avez vu, ce n’est pas un souhait abstrait de réinstaller des Juifs à Gaza mais un appel à l’expulsion et au déplacement des Palestiniens. Ce que vous avez vu concerne davantage la Cisjordanie – la Judée et la Samarie bibliques – que Gaza.

Enfin, ce que vous avez vu n’était pas seulement les éléments d’extrême droite du gouvernement de Netanyahou essayant de se faire valoir en démontrant qu’ils le contrôlent complètement sur le plan politique. C’est lui. Un Netanyahou pur et dur, qui tente de prendre ses distances avec la débâcle du massacre du 7 octobre.

Cette tendance à la suprématie juive religieuse et nationaliste a été normalisée, légitimée, généralisée et encouragée par Netanyahou. Alors, Monsieur le Président Biden, la prochaine fois que vous lui parlerez de « du jour d’après à Gaza », d’un « État palestinien » ou d’un « Moyen-Orient reconfiguré », revoyez les images du spectacle de dimanche. Écoutez l’exultation, la vocifération et le ravissement qui s’en dégagent. Et ne vous donnez pas la peine de chercher la réponse de Netanyahu. Vous ne la trouverez pas. Israël est votre allié ; M. Netanyahu est un boulet pour vos intérêts.

Du point de vue des participants, le timing de l’événement était impeccable. En fait, la question du timing ne fait pas partie de leurs préoccupations. Deux jours après que la Cour internationale de justice de La Haye a réprimandé Israël et repris la rhétorique incendiaire anti-israélienne qui frise l’appel au génocide, certains des coupables ont récidivé avec force.

Le jour même où le chef du Mossad rencontrait à Paris le Premier ministre qatari, le ministre égyptien du renseignement et le directeur de la CIA pour discuter d’un éventuel accord concernant le retour  des otages, ils scandaient « Retour à Gaza ». À l’heure où les États-Unis — après l’aide extrêmement généreuse qu’ils ont apportée à Israël, et encouragés par les ouvertures saoudiennes et qataries — façonnent un axe de stabilité, la coalition de Netanyahou s’est lancée dans une démonstration itinérante pour prouver qu’elle n’est pas de « l’après-guerre », quel qu’il soit.

Mais il y a un revers à ce spectacle d’horreur politique. Paradoxalement, il s’agit d’un spectacle nécessaire parce que, peut-être, juste peut-être, il obligera Israël à prendre une décision. Il y a une majorité libérale-démocrate en Israël. Les ultranationalistes, les juifs orthodoxes extrémistes et les colons constituent la minorité. Oui, Netanyahou les a mis au pouvoir parce qu’ils servent sa survie juridique et politique. Oui, ils ont été et restent ses partenaires volontaires dans une tentative obscène de provoquer un coup d’État constitutionnel qui aurait transformé Israël d’une démocratie en une semi-théocratie antidémocratique et illibérale.

Maintenant que la majorité des Israéliens ont eu un aperçu clair de l’avenir et se rendent compte de ce qui les attend, ils devront peut-être faire un choix. Les masques sont tombés et la mascarade est terminée. L’éruption messianique est inextricablement liée à l’occupation et à l’incertitude quant à l’avenir des territoires, ainsi qu’au coup d’État constitutionnel que M. Netanyahou a tenté d’imposer à Israël. Ce sont des vases communicants et ils sont propices à l’existence de l’un et de l’autre.

L’idée de « at’halta de’geulah » – qui signifie en araméen le début de la rédemption, avant la venue du Messie – est aussi ancienne que le sionisme religieux. Il a été développé par le rabbin Zvi Yehuda Kook et nourri après la guerre des Six Jours de 1967, qui, pour un nombre croissant de sionistes religieux, était un signe de la venue du Messie. À partir de là, le mouvement des colons s’est développé et a exercé une influence considérable sur les politiques des gouvernements de droite. Les colons ont cherché à créer une réalité irréversible et ont conçu l’hypothèse que les Palestiniens y consentiraient ou s’enfuiraient. Le sionisme religieux a cherché à s’intégrer aux élites israéliennes, y parvenant en partie, et a acquis un certain pouvoir politique.

Un processus culturel, religieux et politique parallèle a vu les sionistes religieux devenir plus ultra-orthodoxes, tandis que la communauté ultra-orthodoxe, recluse et méfiante à l’égard de l’État, est devenue de plus en plus nationaliste, xénophobe et raciste.

C’était la coalition idéale dont Netanyahou avait besoin pour échapper à ses problèmes juridiques et au procès en cours pour corruption. Mais le coup d’État constitutionnel et le massacre du 7 octobre (et la guerre qui s’en est suivie) ayant révélé ses faiblesses et sa vulnérabilité, le bloc messianique estime qu’il doit affirmer son pouvoir autant que faire se peut.

Cent quinze jours après la mort de 1 200 Israéliens, dont certains ont été mutilés et violés, et alors que les soldats de Tsahal combattent à Gaza, une secte de fanatiques religieux a organisé un spectacle de foire avec des chants, des danses et des psalmodies. Alors, Monsieur le Président Biden, la prochaine fois que vous discuterez de « l’architecture de la sécurité au Proche-Orient » avec le Premier ministre israélien, gardez à l’esprit les scènes de dimanche. Elles n’étaient pas seulement messianiques. Il s’agissait de M. Netanyahou lui-même.