Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


La querelle entre Jibril Rajoub, chef des services de la sécurité préventive en Cisjordanie, et Mohammed Dahlan, chef des mêmes services dans la bande de Gaza, semblait s’être calmée à la fin de la semaine dernière. Les deux hommes sont considérés comme les plus importants de l’appareil militaire de l’Autorité palestinienne, et la lutte entre eux est devenue le sujet de toutes les conversations dans les territoires, ces dernières semaines.

Rajoub, parti depuis 10 jours vers l’Egypte et les émirats du Golfe, a déclaré dans une interview à un journal d’Abu Dhabi, qu’il n’y avait aucune querelle entre lui et Dahlan, et qu’il ferait son possible pour que ce sujet n’apparaisse plus dans les médias. Dahlan, lui aussi interviewé, a insisté sur le fait que son travail consistait à diriger les services de la sécurité préventive à Gaza, c’est-à-dire, rien de plus, rien de moins.

Beaucoup ont vu dans cette réponse une indication qu’il abandonnait, pour le
moment, l’ambition de devenir commandant en chef des services de sécurité
palestiniens. Neanmoins, il est clair que les luttes de pouvoir entre Rajoub et Dahlan ne sont pas terminées. Les deux hommes ont une ambition politique, qu’ils ne cachent pas, et leurs entourages continuent à échanger menaces et humiliations mutuelles.

Les animosités personnelles exprimées à travers des diffamations publiques
sont extrêmement rares dans la vie politique palestinienne, Yasser Arafat se
dépêchant en général d’apaiser les querelles dès qu’elles apparaissent. Cette fois, les choses sont différentes. L’opposition entre Dahlan et Rajoub a aussi fait remonter à la surface toute une série de vieilles tensions entre une population de Gaza extrêmement pauvre, dont la plupart vient de camps de réfugiés, et les habitants de Cisjordanie, bien plus à l’aise. « Nous ne laisserons pas celui de Gaza (Dahlan) et son copain kurde (Mohammed Rashid, un des conseillers d’Arafat) nous dominer », ont dit des jeunes gens de Ramallah à des journalistes étrangers.

L’un d’entre eux a même souhaité envoyer un avertissement à Dahlan : s’il osait se montrer à Ramallah, ils lui règleraient son compte. L’histoire de l’opposition entre les deux hommes est bien connue. Elle a commencé en pleine opération Rempart, quand Tsahal a bombardé les modernes installations construites par Radjoub pour les membres de ses services de sécurité, dans la ville de Betounia, près de Ramallah. Avec la reddition des hommes de Rajoub et la prise de contrôle par Tsahal des installations militaires, plusieurs membres importants du Hamas, qui se trouvaient prisonniers là, tombèrent entre les mains de Tsahal.

Dans ce contexte, une campagne contre Rajoub commença, dans les territoires
en général, et à Gaza en particulier. Ses accusateurs disaient qu’il avait partie liée avec les Américains et le Shin Bet, afin de faire tomber ces membres du Hamas entre les mains d’Israël. A Gaza, des tracts furent distribués, qualifiant Rajoub d’agent américain et de collaborateur (avec Israël).

Message reçu

Rajoub se défendit en disant qu’il avait reçu des Américains un message
clair, via Dahlan et Saeb Erekat, membre du cabinet d’Arafat, selon lequel
Israël s’était engagé à ne pas attaquer les installations de Betounia, et que donc, il ne pouvait etre accusé d’avoir extradé les hommes du Hamas. Dahlan confirma qu’il avait bien transmis un tel message à Rajoub, mais en ajoutant : « Quand j’ai transmis le message à Rajoub, il m’a dit qu’il ne croyait pas les Américains » (en d’autres termes, pourquoi Rajoub attire-t-il soudain l’attention sur ce message?).

Mohammed Rashid, conseiller d’Arafat et ami de Dahlan, a dit publiquement
que la décision de Rajoub de se rendre (entraînant ainsi l’extradition des
hommes du Hamas) « n’avait pas été coordonnée avec les autorités politiques ».
Ce qui faisait plus que suggérer qu’Arafat n’avait pas approuvé la décision
de Rajoub. Cette déclaration de Rashid a mis le feu aux poudres, et Rajoub, très en colère, a répondu à la télévision : « Mohammed Rashid n’est qu’un bébé-éprouvette » (ce qui dans le lexique des injures arabes, signifie que Rashid est un enfant anormal).

Des actions ont suivi la phase des insultes. Une nuit, il y a une quinzaine de jours, Hassan Asfour, membre du cabinet d’Arafat, fut attaqué près de son domicile, à Ramallah. Cinq hommes masqués l’ont roué de coups, le blessant gravement, et il fut hospitalisé dans la ville. Asfour, ancien membre du Parti communiste, est devenu un allié politique de Dahlan.

Les trois hommes, Dahlan, Rashid et Asfour, sont depuis quelques mois les
conseillers les plus proches d’Arafat. Bien que leur lieu de résidence permanent soit Gaza, ils viennent à Ramallah, et occupent la plus grande partie de leur temps aux côtés d’Arafat. Les coups portés a Asfour étaient donc destinés à envoyer un message à Dahlan. La querelle publique entre Rajoub et Dahlan accompagne un débat public passionné, qui a commencé avec les plus hauts dirigeants de l’Autorité palestinienne, après la levée du siège du QG d’Arafat, concernant la necessité d’éliminer la corruption au sein des instirutions de l’Autorité, et de faire cesser la gabegie.

Une grande partie du débat a été consacrée à la question des services de sécurité palestiniens, dont les chefs les plus importants sont Rajoub et Dahlan. Des dizaines d’articles ont paru dans la presse palestinienne, demandant la réduction de la taille de ces services, et faisant des propositions pour les rendre plus efficaces. Tout le monde parle d’une fusion des services, et de la nécessité de nommer un commandant unique.

Même les Américains, et les autres conseillers, ont expliqué à la direction
palestinienne que c’était la meilleure solution pour lutter contre le Hamas et les autres mouvements d’opposition, et pour mettre un terme aux attentats terroristes.

Qui est le meiileur candidat pour occuper une sorte de ministère palestinien de la Défense, ou pour être une sorte de chef d’état-major? Rajoub étant soupçonné d’être un collaborateur ayant extradé des hommes du Hamas, les regards se tournent vers Dahlan. Des journalistes lui ont demandé si le job l’intéressait, et sa reponse fut : « si on me le demande, j’y réfléchirai ».

Mission secrète

Puis, Dahlan est parti en mission secrète pour Arafat au Caire, et est retourné à Ramallah accompagné d’Omar Suleiman, chef des services de renseignement égyptiens. Son ami Rashid, à la demande d’Arafat, a mené les négociations sur la levée du siège de l’église de la Nativité à Bethléem, et s’est rendu en Europe et aux Etats-Unis pour une série de rencontres politiques. L’image qui circule dans l’opinion publique palestinienne est celle d’un Dahlan et de ses alliés prenant progressivement le contrôle de l’Autorité palestinienne, alors qu’en Israël et partout dans le monde, il est question qu’Arafat prenne sa retraite, ou soit cantonné à une position symbolique, et que d’autres le remplacent.

Dahlan et ses hommes de Gaza ont-ils un plan pour s’emparer des centres de
pouvoir du gouvernement palestinien? C’est l’impression que veulent donner
certains militants palestiniens – probablement des partisans de Rajoub. Il existe des tensions très anciennes, souvent de nature politique, entre les habitants de Cisjordanie et ceux de la bande de Gaza. Le niveau de vie et d’éducation en Cisjordanie est bien plus élevé qu’à Gaza, les dialectes parlés dans les deux régions sont assez différents, et il existe egalement des differences de mode de vie.

Dans la mosaïque des communautés palestiniennes, les gens de Gaza, hommes de la plaine côtière, sont considérés comme ayant un caractère doux et soumis, comparé a celui, plus dur, des hommes des montagnes. Dans le folklore
palestinien, la forte poésie des hommes s’appelle la « poesie Jebal (montagne) ». Même les femmes des plaines de Jaffa et de Gaza sont plutot considérées comme un peu tête-en-l’air, comparées à celles des zones des collines de Judée et de Samarie. On a coutume de dire que cette croyance a son origine dans l’origine égyptienne de nombreux habitants de Gaza, y compris les membres de familles de refugiés venus à Gaza des regions d’Ashdod, d’Ashkelon et de Jaffa.

Une partie de la population palestinienne de la plaine côtière arrivée en Palestine au milieu du 19ème siècle était constituée de mercenaires d’Ibrahim Basha (files de Mohammed Ali), qui ont conquis le pays des mains des Turcs en 1831 et l’ont dominé pendant 10 ans. Même après des dizaines d’années de développement d’un nationalisme palestinien commun, on détecte encore des différences entre les gens de Gaza, Mohammed Dahlan et Hassan Asfour, et Djibril Radjoub, originaire des collines de Hebron. Ils parlent un dialecte différent.

A cet égard, l’un des avantages d’Arafat est son origine mixte : sa mère Zahwa est la fille d’une grande famille de Jérusalem, les Abou-Saoud, tandis que son père, Abdel Raouf al Qudwa, est le fils d’une grandee famille de Gaza et de Khan Younis. Il s’agit d’un avantage, parce qu’au moins à cet égard, Arafat représente et unit ce qui est commun à Gaza et à la Cisjordanie, et il est accepté de la même manière dans les deux régions. Dans la galerie des candidats possibles à la succession d’Arafat, personne ne bénéficie de cet avantage.