Ha’aretz, 22 juin 2007

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Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Le coeur qui saigne du poète national palestinien Mahmoud Darwish a touché cette semaine tout le Moyen-Orient, et ses sentiments se sont étalés en première page du journal Al Hayat : « Devions-nous tomber de ces nobles hauteurs, devions-nous voir le sang couler de nos mains pour comprendre que nous n’étions pas les anges que nous pensions être? Devions-nous exposer notre nudité en public pour ne pas demeurer vierges? Oh, combien nous nous sommes menti à nous-mêmes quand nous disions : Nous sommes quelque chose de particulier. Il est pire de se mentir à soi-même qu’à autrui. »

« Ce mois de juin a assailli notre mémoire de 40 années de défaites. Car, si nous n’avons trouvé personne pour nous défaire une seconde fois, nous nous sommes débrouillés pour le faire de nos propres mains, ne l’oublions pas. Ce ne sont pas les fanatiques religieux qui me mettent en colère, après tout, ils croient en leur voie, quelque étrange qu’elle soit. Ce sont leurs partisans laïques qui me mettent en colère, les infidèles parmi leurs partisans qui ne croient qu’en une religion : celle de leur image à la télévision. »

Ce profond examen de conscience de la part de Darwish constitue l’essence raffinée d’une lamentation nationale palestinienne qui s’exprime dans des dizaines d’articles, de forums et de prêches dans les mosquées. Elle rappelle par certains côtés l’auto-flagellation chiite (en mémoire du Jour de la Ashura, le jour de deuil qui trouve ses racines dans le martyre du petit-fils du Prophète au VIIe siècle). « Les sociétés arabes ont souvent connu des jours difficiles, mais celui-ci est le pire dans l’histoire arabe », écrit l’éminent éditorialiste Abdel Rahman Al-Rashed dans Asharq Al-Awsat [Nous avons traduit et diffusé cet article sous le titre (d’origine) « Félicitations au Hamas ». Pour le lire dans son intégralité : [ ]]

Le jour le plus difficile? Sur le forum du journal, Al-Rashed est habillé pour l’hiver par un lecteur qui se présente sous le nom de Muhammad Abda et qui lui rappelle que le Hamas n’est pas plus un agent de l’Iran, comme l’en accuse Al-Rashed, que l’Irak. Et le lecteur lui demande : « Pourquoi ne voir que la paille dans l’oeil du Hamas et non la poutre dans celui de l’Irak? Et puis, qui dit que le Hamas et Haniyeh sont la cause de la guerre civile? Pas du tout. Le siège de la communauté internationale et le complot arabe sont la seule raison de l’échec du gouvernement d’union nationale. Après tout, c’est le ministre palestinien de l’information Mustafa Barghouti [un indépendant] qui l’a dit lui-même. »

Un Hamas aux bonnes manières?

Cette réponse est typique d’un discours autour de la trahison et du complot qui a démarré dès que la prise du pouvoir du Hamas à Gaza a été connue. Mais en réalité, ce discours suscite surtout les analogies : peut-on comparer ce qui se passe en Palestine à ce qui se passe en Irak? Le Hamas est-il comme le gouvernement irakien? Et peut-être est-ce le Liban en particulier qui devrait tirer les leçons du Hamas et se poser la question : « Que se serait-il passé si Beyrouth s’était réveillée un beau matin et s’était retrouvée dans la situation de Gaza? », titrait un article du journal libanais Al-Nahar.

Mais les Arabes devraient peut-être comparer le Hamas au Hezbollah, comme le suggère Abd al-Bari Atwan, rédacteur en chef de Al Quds Al Arabi, dans un éditorial paru cette semaine : « Nous aimerions penser que le Hamas se drapera de la même culture que le Hezbollah. Après la campagne extrêmement difficile qu’il a menée contre Israël l’été dernier, cette organisation n’a pas même tué un seul de ses opposants, ni pillé aucune maison, ni forcé aucun bureau du gouvernement, ni remplacé le drapeau libanais, ni essuyé ses bottes sur l’effigie d’un adversaire. Ce comportement tient à une éducation aux principes élevés de la religion, chose que nous aurions espéré voir à Gaza. »

Le Hamas a-t-il de bonnes manières? Est-il exempt de tout péché? Abd al-Bari Atwan aurait pu lire ce qu’a écrit son collègue Zuheir Kseibati dans une tribune parue dans Al-Hayat, s’il avait voulu avoir une idée de la peur qui saisit les Libanais à l’idée qu’un phénomène Hamas apparaisse au Liban, par l’intermédiaire du Hezbollah. « Le Liban est menacé par un deuxième Gaza », écrit-il. « Les gens à Gaza se demandent qui a fichu en l’air l’accord de La Mecque [accord sur un gouvernement d’union nationale, ndt], et au Liban la question se pose de savoir si le moment n’est pas venu de la désintégration de l’accord de Taïf (de 1989, qui a mais fin à la guerre civile, note de l’auteur)… Exactement comme à Gaza, les citoyens libanais sont menacés par une lutte entre deux gouvernements (celui de Siniora et celui que le Hezbollah aimerait voir naître, note de l’auteur), et par la désintégration de l’unité nationale. »

Cette inquiétude ne concerne pas le sort des Palestiniens, comme pour Al-Rashed, mais il s’agit plutôt d’une peur libanaise, dans l’ombre de Gaza et de la complaisance d’Atwan envers le Hezbollah. Ce qui est arrivé aux Palestiniens n’intéresse ces auteurs que dans la mesure où cela reste sur le plan théorique. Ce qui arrivera aux Arabes, ou plus exactement au pays de chacun des auteurs, et les leçons que chaque pays peut tirer des événements en Palestine, sont des questions beaucoup plus intéressantes.

« Attardés et primitifs »

La Palestine produit peut-être des débats dans le monde arabe, mais le problème palestinien peut aller au diable. « Nous en avons assez de nous mentir en présentant le Palestinien comme quelqu’un de plus cultivé et qui en sait plus que nous. Après tout, le Palestinien que nous voyons sur nos écrans de télévision, quand il s’attaque à la chair de l’un de ses frères, est le symbole d’un phénomène attardé et primitif », écrit l’intellectuel égyptien Mamoun Fendi dans Asharq A-Awsat. Dans son article, il avertit les Arabes en général, et non les Palestiniens, des implications des développements à Gaza. Car les Palestiniens eux-mêmes, si l’on en croit Fendi, sont touchés par la lèpre. Et si, au Liban, on a peur de ce qui pourrait se passer, cela vaut encore bien davantage pour l’Egypte. Pour Abdullah Kamal, rédacteur en chef du journal pro-gouvernemental Rose el-Youssef, le Hamas est une question palestinienne qui n’affecte l’Egypte que dans la mesure où il a ridiculisé les efforts de médiation égyptiens. Mais le rôle le plus important du Hamas est de servir d’instrument pour s’attaquer au « vrai » problème égyptien : les Frères musulmans, parents du Hamas. Si Kamal réussit à prouver que le Hamas est traître et non fiable, qu’il représente le mal incarné, alors il s’ensuit que l’organisation mère égyptienne présente les mêmes caractéristiques.

Et comment prouve-t-on la traîtrise du Hamas ? La rhétorique est quelque peu nouvelle, mais les fondamentaux sont les mêmes : lier le Hamas à Israël et au sionisme en général.

« Je voudrais dire quelques mots des accusations du Hamas à l’égard du Fatah qui serait dans le camp sioniste, alors que le Hamas lui-même, comme des faits historiques l’ont prouvé, est une création d’Israël », écrit Kamal. Et les « faits »» sont bien connus : Israël s’est attaqué au régime d’Arafat, à son statut et à son influence, jusqu’à l’assiéger dans ses quartiers de Ramallah. Israël a favorisé Ahmed Qoreï (Abou Ala) aux dépens d’Arafat, créant ainsi un double leadership. Israël et les Etats-Unis ont fait pression sur Abbas pour qu’il avance la date des élections, précipitant ainsi la victoire du Hamas, etc.

Itzhak Rabin le bienfaiteur

Il y a pas mal d’histoires qui circulent sur l’aide financière offerte par Israël au Hamas, mais le soutien le plus important a été apporté par Itzhak Rabin, quand il a expulsé quelque 400 militants du Hamas au Liban en 1992. En agissant ainsi, il instituait le Hamas en tant que mouvement nationaliste. Mais les preuves de Kamal sont encore plus détaillées. La « tahadiya » officieuse, période d’accalmie temporaire entre Israël et le Hamas, a été voulue par Israël pour permettre au Hamas de prendre le contrôle de Gaza. Plus tard, la publication d’informations concernant des livraisons d’armes américaines ou israéliennes au Fatah a servi à nuire au Fatah et à améliorer une fois de plus le statut du Hamas.

Bref, le Hamas sert très bien les intérêts sionistes et il n’est donc pas étonnant que le gouvernement israélien l’ait aidé autant pendant des années, écrit Kamal, qui n’oublie pas d’accoler le titre de « courant confrériste » au Hamas pour bien souligner ses liens avec les Frères musulmans. Kamal n’est pas tant intéressé à prouver que le Hamas a été une création d’Israël qu’à établir le lien entre le Hamas et les Frères musulmans en Egypte. Ce qu’il laisse d’ailleurs voir quand il suggère, dans le même article, que les Taliban ne se trouvent pas seulement à la frontière de l’Egypte, mais carrément à l’intérieur, où ils agissent pour le compte des sionistes.