Alors que l’Égypte et la Syrie tentent de renverser leurs dirigeants, les Israéliens se soucient surtout du train-train quotidien. Cela doit changer avant qu’il ne soit trop tard. Good morning, Israël, la paix ne se fera pas sans descendre dans la rue.


L’aube, et les derniers moustiques mourant dans la chambre. Les camions d’éboueurs concluent leur ronde. Les bulletins d’information annoncent la météo (temps chaud et humide), les derniers accidents de la route, et la mort d’une fillette abandonnée dans le véhicule familial.

Tel-Aviv s’éveille, prête à la routine d’une nouvelle journée, et ses habitants descendent à l’épicerie ou au supermarché du coin faire provision de pain et de cottage – [le fromage frais] devenu symbole du mouvement social.

Dans le bus, les conversations tournent autour de la hausse du prix de l’arak, tandis que les marchands de poisson séché de la rue Levinski mettent à l’étal la bonite et le hareng salé importés de Turquie.

Les Israéliens représentent le doux rêve d’un régime qui gouverne une nation servile, tout juste capable de réagir à titre exceptionnel contre les décrets officiels. Sur le chemin de la manif ou celui du retour, ils s’arrangeront pour faire halte au bistrot le plus proche et y prendre “un petit quelque chose dans une pita”. Quand on voit ce qui se passe en Égypte et en Syrie, nos protestations contre ceci ou cela ne sont que manière de bâiller à la face du pouvoir.

Une fois tous les quatre ans, les Israéliens remplissent leur devoir civique en jetant leur bulletin dans l’urne lors des législatives. Après quoi, ils retombent dans le coma et célèbrent ce havre de paix et de stabilité qu’est leur pays.

En 1973, nous chantions l’excellence de notre situation. Dans trois mois, nous marquerons le 40e anniversaire de la guerre de Kippour, survenue en octobre 1973. Et nous extirperons sans doute, des secrets recoins et lézardes de nos dépôts d’archives, des documents montrant combien nous étions près de manifestations du type de celles de la place Tahrir, et à quel point nous frôlions la destruction du Troisième Temple – pour citer Moshé Dayan, alors ministre de la Défense.

À l’époque, nos gouvernants de légende pensaient que l’Égypte voulait passer à l’attaque mais ne pourrait le faire sans l’aide de la Syrie. Nous n’avions pas la moindre idée que, juste sous le nez des chefs tant vantés de nos services de renseignements, ces deux pays mettaient au point des plans communs d’attaque. De même notre royaume est-il aujourd’hui certain que ce qui se passe en Égypte et en Syrie nous est, en fait, propice. Tandis que la terre brûle sous l’impact de bouleversements tectoniques, nous sommes, paraît-il, un havre de stabilité et de raison.

Les États voisins bouillonnent comme lave en fusion, et le monde entier se passionne pour la place Tahrir du Caire et la place Taksim d’Istanbul – mais pas pour la place Rabin de Tel-Aviv. L’apparente stabilité dont nous semblons jouir en ce moment reflète-t-elle notre situation réelle ?

La réponse est un non catégorique. Au mieux Israël bénéficie-t-il actuellement de ses liens avec les États-Unis – mais cela ne durera pas toujours. Si nous ne nous aidons pas nous-mêmes, nul ne le fera à notre place. Pas même le gouvernement américain. Et vu le talent que nous déployons à taper sur les nerfs des autres, même le plus puissant de nos amis pourrait bien à la fin se lasser de nous.

Ce qui arrive dans le monde de l’islam extrême pourrait croître en acuité et gagner notre sphère aussi. Une journaliste égyptienne parlant couramment hébreu fut interviewée par un confrère israélien au beau milieu des événements de la place Tahrir. Après avoir expliqué la situation du président Mohammed Morsi, maintenant déposé, elle entreprit de nous dire ce nous devrions faire sur le principe de la place Tahrir : « Si Nétanyahou et Lapid ne tiennent pas leurs promesses, renversez-les, tout simplement. Ne laissez pas tomber. »

Comment cela va s’appliquer en Égypte n’est pas clair. Quoi qu’il en soit, les problèmes y sont différents des nôtres. Au temps de la lune de miel entre le Premier ministre Mena’hem Begin et le président Anouar el-Sadate, dans les années 1970, Begin s’avisa de ce que le chef d’État égyptien regardait fréquemment sa montre et lui demanda s’il était pressé. La réplique de Sadate est révélatrice de ce que Morsi n’a pas su comprendre, et dont ses prédécesseurs avaient conscience : il répondit qu’à chaque minute des enfants naissaient, et qu’il fallait leur donner du pain.

Le principal souci d’Israël n’est ni le manque de pain, ni une misère abjecte. C’est l’échec de ses dirigeants à tenir leur promesse fondamentale – amener la paix. Le fait que les pays arabes soient pris aujourd’hui par leurs problèmes internes ne peut servir à démontrer la justesse de l’argument gouvernemental selon lequel, en de telles circonstances, rien ne menace la sécurité d’Israël. Bien au contraire : des événements comme les manifestations de la place Tahrir et ce qui se passe actuellement en Syrie, sans compter l’implication de l’Iran et du Hezbollah, pourraient en fait conduire à la guerre et à des attaques meurtrières à l’encontre d’Israël.

Les dirigeants israéliens – qui prétendent que la majorité des Israéliens ne sont pas prêts à des concessions territoriales en échange de la paix – n’en font pourtant qu’à leur tête.

Hé vous, la nation, bon réveil ! Vous avez mieux à faire que jeter un bulletin dans l’urne et partir en croisière en Grèce. La paix n’adviendra pas sans descendre dans la rue, imitant ici, en Israël, l’exemple de la place Tahrir.