Depuis toujours membre du camp de la paix, Ze’ev Sternhell se fonde dans cet article sur deux hypothèses dont lui comme nous ne pouvons qu’espérer qu’elles seront démenties par les faits: au soir du 17 mars, Benyamin Nétanyahu, à la tête du Likoud, sera le mieux à même de rassembler une nouvelle coalition gouvernementale ; à celle-ci se joindra le Camp sioniste, qui unit le Parti travailliste d’Isaac Herzog et le parti centriste HaTnouah de Tzipi Livni.

Notons cependant que Tzipi Livni affirme n’être plus prête à siéger dans un gouvernement dirigé par Nétanyahu ; et que la question de savoir qui, du Likoud ou du Camp sioniste, sortira premier des urnes, reste ouverte du fait des marges d’incertitude des sondages. Lesquels montrent, dans un ordre de comptabilité différent, que l’addition du Likoud et des partis d’extrême-droite est largement supérieure à celle de la gauche et du centre-gauche… D’autant que du côté des 20% d’Arabes israéliens, le H’adash communiste, isolé de tout accord avec le centre et ou la gauche, s’est trouvé nonens volens acculé à faire liste commune avec les ultra-nationalistes et les intégristes. Démarcation ethnique préoccupante, qui risque de favoriser un abstentionnisme déjà élevé en secteur arabe. On comprend l’appel de Ze’ev Sternhell aux électeurs du Meretz à ne pas délaisser leur parti pour venir à la rescousse du Camp sioniste, dont il n’est pas sûr que la victoire changerait la donne.

Reste que nous ne pouvons partager son ultime et désespérante conclusion: l’attente du pire – une coalition abandonnée aux habituels chantages de l’extrême-droite. Ce qui pourrait selon lui conduire enfin à des pressions internationales suffisantes pour débloquer le processus de paix. Souhaitons l’urgent réveil d’une opinion israélienne trop peu secouée, semble-t-il, par la gestion aventureuse de la sécurité du pays, les effets sur la société d’une politique néo-libérale et des privilèges économiques accordés aux résidents des Territoires, comme par les scandales touchant les partis au pouvoir et jusqu’au Premier ministre et sa dame.


Même si le Premier ministre Benyamin Nétanyahu sort affaibli des prochaines élections, nous ne connaîtrons pas de bouleversement dans la répartition globale des forces en présence. Dès le lendemain du scrutin, on découvrira que Moshé Kahlon n’est jamais qu’un membre parfaitement discipliné du Likoud: il nous promet d’ores et déjà de garder Jérusalem “unie” – locution bien connue en tant qu’allusion codée à la poursuite de l’occupation. Qui plus est, à en juger par son passage au gouvernement, ses positions en matière d’économie ne diffèrent guère de celles de Nétanyahu.

L’autre porteur de masque, Yaïr Lapid, est un comédien de premier ordre – mais un démagogue hyperbolique en tant que politicien, dépourvu d’idéologie et postulant naturel à toute manœuvre. Après un passage de deux ans au pouvoir, tout le monde devrait le savoir. Il est vrai qu’il peut rester aux côtés du leader du parti travailliste, Isaac (Booggie) Herzog, tout comme continuer avec Nétanyahu, ou avec les deux à la fois.

Les vues politiques d’Herzog sont assez vagues pour qu’il puisse s’arranger avec à peu près n’importe qui. Ses communicants eux-mêmes n’évoquent plus de nouveau message. Pour ce qu’on en sait, son plan [de paix] promet un gel de plusieurs années, ce qui fait qu’il convient à tous. En outre, à l’heure du choix, Herzog et Lapid préfèreront une coalition avec le Likoud à une alliance avec la Liste arabe unie. En d’autres termes, la société israélienne est profondément engluée dans la vase, et n’a pas la force de s’en extraire toute seule.

On peut penser que la décision de Nétanyahu d’appeler à des élections anticipées s’est fondée là-dessus, dans la mesure où une coalition comprenant le parti travailliste, Lapid et Kahlon – avec ou sans les H’aredim [les “Craignants-Dieu”] – est, en ce qui le concerne, de très loin préférable à un gouvernement comptant le chef du Foyer juif, Naftali Bennett, et celui d’Israël notre Maison, Avigdor Lieberman.

Un gouvernement de centre-droite lui donnera l’opportunité de reprendre et faire traîner sans fin les pourparlers de paix: avec Herzog aux Affaires étrangères, Israël jouira d’un crédit renouvelé sur la scène internationale, Tzipi Livni et lui-même conquerront les écrans télévisés des cinq continents, la campagne électorale débutera aux États-Unis et, dans l’intervalle, les choses iront leur train usuel dans les Territoires – sur un rythme plus lent et avec, peut-être, une violence moindre. Contrairement aux espoirs cultivés par le centre, Nétanyahu n’a pas encore dit son dernier mot et son parti n’a pas perdu sa base traditionnelle.

Dans ce contexte, il est absurde de demander au Meretz de se suicider pour faire monter les chances du couple Booggie-Tzipi face à Nétanyahu. De fait, le glissement d’électeurs de la gauche vers le centre – s’il se produisait – signifierait dans la pratique l’élimination du seul courant juif clairement de gauche à la Knesseth. Le Meretz prête sa voix aux principales organisations de défense des droits de l’homme, sans lesquelles il ne resterait pas grand chose de la démocratie israélienne.

Les sièges perdus par le Meretz ne feront pas de Herzog un héroïque Premier ministre mais, dans le meilleur des cas, un ministre au sein d’un gouvernement conservateur de plus porteur de tel ou tel nom boursoufflé, et pourtant incapable de changer en profondeur la situation présente. Cela vaut-il la peine d’éliminer la gauche de la Knesseth?

Aucun changement radical n’interviendra aussi longtemps que le pouvoir actuel ne nous aura pas conduits à une crise nationale majeure. Un échec tel que celui de l’opération “Barrière de protection”, dont seuls les Palestiniens ont payé le prix fort, n’y a pas suffi. Aussi la véritable alternative se cache-t-elle dans une intervention extérieure massive, nécessaire pour bousculer la sérénité et le confort de la belle vie des Israéliens.

Ce n’est que lorsque nous tous, et chacun autour de nous, sentirons le prix de l’occupation dans notre chair que viendra la fin du colonialisme et de l’apartheid bleus-blancs. Ce n’est que lorsque l’économie sera frappée de telle sorte que le niveau de vie général en sera affecté, ou quand la sécurité [du pays] sera sapée du fait de la terrible menace portée aux intérêts américains dans la région, que nous commencerons à nous soucier vraiment d’en finir avec l’occupation et d’assurer notre avenir.