Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Un drapeau israelien flotte sur le toit de l’une des maisons situees au bout
de la colonie de Rafah Yam, dans la Bande de Gaza. Ses proprietaires ont
sans aucun doute voulu afficher la souverainete d’Israel sur cette zone lointaine, situee entre le territoire de l’Autorite palestinienne et l’Egypte. Mais ce morceau de tissu bleu et blanc, depuis longtemps dechire par le vent et souille par les elements, est devenu comme le miroir de ce qui l’entoure. La colonie entiere est a l’abandon, et ses rues jonchees de detritus. Les habitants expliquent ce spectacle desole en disant que personne n’a plus le courage de prendre soin des maisons ni des terrains. Quelques-uns disent sans honte qu’ils aimeraient partir, mais n’en ont pas les moyens. Dans un nouveau quartier residentiel, les maisons restent vides, ne trouvant pas d’acquereur, pas plus que celles des colons.

Les familles sont arrivees a Rafah Yam dans les annees 80 et 90, dans le but
declare d’ameliorer leur qualite de vie. Il s’agit d’une colonie laique, dont les habitants cherchaient a realiser le reve d’une maison avec jardin, plutot que le reve du Grand Israel. Leur reve ne s’est pas realise. Il n’y a plus ici de qualite de vie. Pire, leur reve prive s’est transforme en cauchemar collectif. Recemment, l’eventualite que Tsahal reconquiere la Bande de Gaza pour proteger la poignee de colons installes dans la region devient plus concrete. Depuis quelques jours, des bulldozers demolissent des maisons et retournent des champs sur une grande echelle, pour « preparer » la zone a une possible invasion israelienne.

Israel investit des sommes prodigieuses et met en danger la vie de nombreux
soldats pour proteger quelques colons de la Bande de Gaza, dont un bon nombre aimerait de toute facon partir. Il est probable que si davantage d’Israeliens voyaient de leurs propres yeux le spectacle affolant des injustices et des folies perpetrees ici, ils seraient moins indifferents au fait que 6.500 colons imposent une tuerie inutile a Israel et aux Palestiniens.

Pour arriver a Rafah Yam, il faut faire 25 kilometres a travers la Bande de Gaza, par une route ouverte uniquement aux Juifs, et protegee davantage que toute autre route des territoires. Des clotures en fil de fer barbele, des murs de beton, des remparts de terre, des dizaines de tanks, un pont special, des centaines de soldats, des tours de guet, des barrages et des fortifications, tout cela accueille le colon sur le chemin vers chez lui. De temps en temps, des panneaux rappellent ceux qui se sont fait tuer. Bien sur, aucun ne mentionne les Palestiniens tues. D’ailleurs, on n’y voit que rarement des Palestiniens. Un etranger pourrait penser qu’il s’agit d’une zone entierement israelienne, et non de l’enclave d’une minorite negligeable au milieu d’un million de Palestiniens. Les seuls « locaux » autorises a
circuler sur cette route sont des fermiers de la region de Muassi, qui disposent de permis speciaux; tous les autres n’ont meme pas le droit d’approcher leur bord de mer, a cause de la presence des colonies.

Les habitants de Rafah Yam ne voient pas la souffrance que leur presence inflige a leurs voisins. Il est probable que le sujet ne les interesse meme pas. Des gens avec un sens moral plus developpe n’accepteraient surement pas cette situation, ni le fait que des soldats risquent leur vie pour qu’ils puissent continuer a vivre ici (un reserviste a ete tue, et cinq blesses sur le site).

Rafah, la ville voisine, visible par dela les barbeles et les sables dores, est l’un des endroits les plus ravages des territoires. D’apres l’UNRWA (United Nations Relief and Works Agency), Israel a demoli pas moins de 265 maisons a Rafah depuis le debut de la deuxieme intifada, et 2.185 personnes sont sans abri. Le directeur de l’UNWRA pour la region, Lionel Brisson, dit que ces chiffres ne comprennent pas les dizaines de maisons rasees sur la ligne de front, inaccessibles, ni les centaines de maisons partiellement endommagees. Et, des balcons de Rafah Yam, on ne voit pas les enfants de Rafah qui souffrent de malnutrition, ni le taux de chomage, qui atteint 80%.

Les enfants de Rafah Yam, eux, se rendent quotidiennement dans leurs ecoles,
dans le Neguev, a bord d’autobus blindes, qui chacun coute environ un million de shekels, escortes par des jeeps de l’armee. Difficile de comprendre comment des parents sont prets a elever leurs enfants dans ces conditions : prisonniers dans leur maison apres l’ecole, coupes de la plupart de leurs amis, qui n’habitent pas les colonies, grandissant dans une peur perpetuelle.

Il est temps de mettre fin a cette absurdite, en commencant par une aide
gouvernementale a ceux qui desirent partir. Au bout du compte, cette option
se revelera la moins couteuse de toutes. Et puis, tout de suite apres, il faudra arreter de proteger ces colons. Pratiquement tout le monde en Israel sait que cette malheureuse entreprise de colonisation est condamnee, mais pratiquement tout le monde continue a soutenir le projet de facon passive, en accomplissant son service de reserve, sans refuser ni protester.
Difficile de comprendre pourquoi.