Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Moria Shlomot, présidente de Shalom Akhshav (La Paix Maintenant), avait 14 ans quand son professeur de littérature est entré dans sa classe d’école, au kibboutz, et a dit : « aujourd’hui, c’est la fin de l’Etat d’Israël, ils ont tué un militant de Shalom Akhshav dans une manifestation ».

Le souvenir de cette soirée de février 1983, lorsque l’etudiant Emil Grunzweig fut tué par une grenade devant le bureau du Premier ministre à Jérusalem, lors d’une manifestation contre la guerre du Liban et pour la démission du ministre de la Défense de l’époque, Ariel Sharon, a marqué Moria Shlomot à jamais, elle et de nombreux autres de sa génération, qui ont garni les rangs des mouvements pour la paix, entre la mort d’Emil Grunzweig et l’assassinat d’Yitzhak Rabin.

Davantage encore que ceux qui manifestaient ce soir-là, les jeunes gens qui ont pris le meurtre en plein fouet ont constitué l’âme même d’un mouvement de fond, transformant les cérémonies annuelles à la mémoire de Grunzweig en événements politiques. « C’est devenu une partie intégrante de la culture du mouvement », dit Moria Shlomot, « qui a façonné pour une grande part notre culture de la manifestation, notre peur des dangers venant de la droite, et c’était la preuve du prix que nous etions susceptibles de payer pour nos actions ».

La libération conditionnelle obtenue aujourd’hui par Yona Avrushmi, un voyou de Jérusalem qui a prétendu durant son procès avoir été influencé par le discours de l’extrême-droite au point de lancer une grenade sur un groupe de manifestants de Shalom Akhshav qui chantaient la « Hatikva » (hymne national, ndt), tuant Grunzweig et blessant neuf autres personnes, a ravivé les souvenirs de cette soirée, et provoqué un sentiment de colère et de résignation devant l’évolution de ce pays depuis l’émergence de la violence politique, ce fameux soir.

Shalom Akhshav a publié une déclaration selon laquelle « la libération anticipée de Yona Avrushmi est un signe supplémentaire de la faiblesse des instances chargées de faire respecter la loi face à la violence politique de la société israélienne. Aujourd’hui, comme hier, les militants de La Paix Maintenant sont victimes de violences physiques et verbales de la part de militants d’extrême-droite, sans aucune réaction de la part des instances chargées de faire respecter la loi, à commencer par le procureur général.
Aucune commission ne pourra dégager la responsabilité de ceux qui incitent à la violence comme de ceux qui ferment les yeux, quand le prochain assassinat aura lieu ».

Il y a 19 ans, en une nuit froide, humide et venteuse, à Jérusalem, Amiram
Goldblum, alors étudiant à l’Université Hebraïque de Jérusalem et aujourd’hui professeur d’université, marchait aux côtés d’Emil Grunzweig, tout comme Avraham Burg, aujourd’hui président de la Knesset. A l’epoque, Goldblum était le porte-parole du mouvement, et aujourd’hui, il dit : « la décision de la commission des libérations est l’occasion d’un examen de conscience pour ceux qui se sont servis d’Avrushmi. A commencer par le ministre de la Défense de l’epoque, Ariel Sharon, qui a incité à la violence contre les opposants à la guerre du Liban, et Tsahi Hanegbi, qui était l’exécuteur des basses oeuvres de Sharon et devenu plus tard ministre. Ce sont eux qui ont mené la campagne qui a conduit à ce que cette grenade soit lancée. Ils devraient être interrogés sur ce qu’ils pensent de ce qu’ils ont fait alors. L’un d’eux, Hanegbi, a versé des larmes de crocodile a posteriori, mais il est resté un incitateur à la violence professionnel, pendant des années, y compris pendant les semaines qui ont précédé l’assassinat de Rabin ».

Goldblum, pour qui l’assassinat de Grunzweig a été un catalyseur de son action politique, dit qu’on ne peut pas comparer l’état d’esprit de la rue de l’époque avec celui d’aujourd’hui. « Non seulement l’opinion ne perçoit pas la situation actuelle comme une guerre, mais, ce qui est peut-être encore plus important, il n’existe pas d’opposition réelle », dit-il.
(…)

Peut-être le plus affecte de tous par cette liberation anticipee, à part Avrushmi lui-même, est-il Eliezer Grunzweig, le frère d’Emil. « J’espère encore que l’Etat fera appel de cette décision, mais j’ai quand même l’impression que c’est définitif. Mais ma douleur personnelle est mon problème, et celui de mes amis. Le vrai problème est que cette décision est terrible sur le plan de la conscience du public ». Pour Eliezer Grunzweig, la libération anticipée de l’assassin de son frère « est une gifle pour la démocratie, qui pourrait encourager un autre assassinat politique lorsque le débat public s’échauffera à nouverau ».

Grunzweig est particulièrement révolté par la déclaration de « remords » d’Avrushmi. « Toute personne sensée qui la lit peut voir qu’elle n’a été écrite qu’avec la libération pour objectif, et qu’elle n’est pas sincère ».