Ha’aretz, 28 février 2007

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Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


« Talabani veut faire du Kurdistan une nation arabe. Ne le laissez pas faire », avertissait
début février un blogueur kurde. Sa rage venait d’une rumeur selon laquelle le président irakien avait approuvé un plan qui consistait à permettre aux Palestiniens [d’Irak] de vivre au Kurdistan. Des dizaines de courriers de lecteurs à la presse kurde démontraient clairement que les Kurdes refusent la présence de résidents « arabes » dans leur région, homogène du point de vue ethnique. Le terme « arabes » recouvre indifféremment tous ceux qui ne sont pas kurdes, Egyptiens, Jordaniens, Saoudiens et Irakiens, mais la plus grosse partie de la colère actuelle s’adresse aux Palestiniens.

Le dernier tollé en date a commencé quand Jibril Rajoub, ancien chef de la Sécurité préventive palestinienne en Cisjordanie, a rencontré Talal Talabani début février. Rajoub a demandé à Talabani de protéger les Palestiniens persécutés au Kurdistan, ce qui a déclenché les protestations kurdes. Quelques jours plus tard, une annonce officielle était publiée au nom de Talabani, qui précisait qu’aucune promesse n’avait été faite aux Palestiniens.

« Ils sont évidemment invités à visiter la région kurde, mais nous ne les laisserons pas s’y installer, a expliqué Talabani. Aucun chiffre n’est disponible concernant le nombre de Palestiniens qui vivent en Irak. Certains estiment qu’environ 35.000 réfugiés palestiniens vivaient en Irak avant la guerre. On estime aujourd’hui leur nombre à 15.000 – 25.000.

Les Palestiniens ne constituent pas la minorité la plus importante en Irak, mais c’est très certainement la plus persécutée. Les témoignages de réfugiés palestiniens aux journalistes et aux organisations humanitaires dépeignent une situation très grave : des gangs irakiens s’introduisent la nuit dans les logements de Palestiniens et leur intiment de vider les lieux dans les 24 heures. Dans certains cas isolés, des Palestiniens ont été enlevés dans la rue ou sur leur lieu de travail, et leur corps a été retrouvé plusieurs jours plus tard, dans des caniveaux ou dans des poubelles.

Le ministère irakien de l’intérieur laisse peu de répit aux Palestiniens. Des informations indiquent que le harcèlement de familles palestiniennes est devenu de la routine.

Contrairement aux 2 millions de réfugiés irakiens qui ont quitté leur pays, les Palestiniens ne disposent en général d’aucun document qui prouve leur citoyenneté irakienne ni de rien d’autre qui leur permette d’entrer dans un pays arabe voisin, comme la Jordanie ou la Syrie.

Saddam Hussein avait accueilli les réfugiés palestiniens et leur avait offert d’excellentes conditions, éducation et soins médicaux gratuits, un large éventail d’emplois et, surtout, un logement quasi gratuit dans d’anciennes habitations de chiites, expulsés du centre de Bagdad, ou de Juifs, qui habitaient le quartier de Batawin (les Palestiniens y payaient un loyer de 2 $). Mais en même temps, il leur a refusé la citoyenneté ou tout autre document de résidence permanente. Pour lui, l’abri qu’il offrait se faisait oralement, et cela lui suffisait bien.

Objets de haine

Ces bienfaits de Saddam Hussein ont fait de la communauté palestinienne un objet de haine, et le retour de bâton est arrivé rapidement après la fin de la guerre. D’abord, les propriétaires chiites sont venus expulser les Palestiniens de leurs maisons. Plus tard, lorsque les gros attentats terroristes sont devenus quasi quotidiens, les Palestiniens ont été accusés de collaborer avec les organisations terroristes opérant en Irak, en particulier al-Qaïda. Ce mois-ci, Sheikh Nasser al-Saidi, un mollah chiite qui habite le quartier de Sadr City, à Bagdad, a appelé à l’expulsion des Palestiniens d’Irak : « Retournez dans votre Palestine. Combattez-y l’occupation. »

Le ministre irakien chargé des personnes déplacées et de l’immigration n’a pas non plus rassuré les Palestiniens, en expliquant dans une interview : « Aujourd’hui, les Palestiniens ne sont plus les bienvenus en Irak, car on les soupçonne de commettre des actes terroristes. »

Les Palestiniens qui veulent échapper à cette accusation se retrouvent piégés entre le gouvernement et les groupes terroristes sunnites. La semaine dernière, une organisation qui se fait appeler l’Etat musulman d’Irak, et qui, semble-t-il, comprend un certain nombre d’organisations terroristes et des représentants d’al-Qaïda, publiait un appel aux Palestiniens : « Vu les souffrances actuelles qu’endurent nos frères palestiniens en Irak, nous les appelons à venir s’installer dans les villes de l’Etat musulman d’Irak, où ils seront protégés… Dans les villes d’Anbar, Diyala et Salah al-Din, des maisons les attendent, entourées de rivières et préparées tout spécialement pour eux par les membres de l’Etat musulman. Ces maisons ont été, avec l’aide d’Allah, prises aux chiites. Réjouissez-vous, chers frères. Allah remplacera vos souffrances par une vie aisée, avec l’aide de sa puissance et du sang des martyrs. »

Plus loin, le groupe promet de venger le sang de tout Palestinien tué. C’était vraiment le dernier des encouragements dont les Palestiniens avaient besoin. Non seulement elle est la « preuve » de la collusion entre Palestiniens et groupes terroristes, mais cette proclamation donne aux bandes chiites et au gouvernement un excellent prétexte pour promouvoir l’expulsion des Palestiniens.

Signes avant-coureurs

Le statut des Palestiniens n’a pas changé du jour au lendemain. Dans le camp de tentes d’al-Awda, aux portes de Bagdad, qui abrite de nombreux Palestiniens expulsés de Batawin, un réfugié m’a dit redouter une vengeance des chiites contre lui et sa famille pour avoir habité une maison chiite. « Connaissiez-vous la famille dont vous occupiez la maison? », lui demandai-je. « Non, non. Mais on m’a dit qu’après l’expulsion des propriétaires, le père de famille a été assassiné – apparemment par des hommes de Saddam Hussein. »

Le directeur du camp, Mohammed Salah, avait naguère sur son mur une photo de Saddam Hussein, mais il l’a remplacée par une photo de la Vieille Ville de Jérusalem et de ses mosquées saintes. Il n’avait pas peur de parler de l’aide de Saddam aux réfugiés palestiniens. Le rêve de Salah est de « rentrer chez lui. » En Palestine? « Non, non, dans le quartier de Batawin. » Mais pour lui, la vengeance chiite n’est qu’une question de temps.

Les Palestiniens savent que l’Irak n’est pas la seule nation où ils sont indésirables. Il y a aujourd’hui 700 réfugiés bloqués sur la frontière syrienne, interdits de pénétrer dans le pays, et 200 autre vivent dans un camp misérable sur la frontière jordanienne. Pourtant, la Syrie et la Jordanie accueillent bien des réfugiés. En Jordanie vivent environ 700.000 réfugiés irakiens, et en Syrie environ un million. Des bus et des taxis font quotidiennement le trajet entre l’Irak et la Syrie, et les passagers paient 40 $ pour un trajet en bus, et 80 $ pour un taxi de luxe. Mais les Palestiniens sont abandonnés sur la frontière, à cause de leurs papiers qui posent problème. Les autorités syriennes refusent de les laisser entrer par crainte de ne pas pouvoir surveiller leurs déplacements.

L’UNWRA (United Nations Relief and Works Agency), agence qui vient en aide aux Palestiniens, ne peut pas faire grand-chose. Non seulement l’UNWRA aurait besoin de 60 millions de $ de plus pour aider les réfugiés palestiniens en Irak (soit l’équivalent de 5 heures de combat), mais l’agence des Nations Unies n’a pas le pouvoir de changer les réglementations jordaniennes ou syriennes concernant le statut de réfugié. La Jordanie n’a toujours pas accédé aux demandes de l’agence d’accorder le statut de réfugiés aux Irakiens, et ses lois sont particulièrement strictes à l’égard des Palestiniens, dont certains se retrouvent dans un camp de réfugiés, pour la deuxième ou troisième fois de leur vie. Eux, probablement, ne pourront pas exercer leur « droit au retour » dans leurs foyers de Bagdad.

Les réfugiés palestiniens ont commencé à acheter des pendentifs portant la carte d’Irak, symbole de leur loyauté envers leur pays, soit pour exprimer leur solidarité avec la nation, soit pour convaincre les « autres » de leur loyauté. Mais cet effort ne semble pas améliorer leur sort.

« Les gangs remarquent notre accent, et non ce que nous portons au cou », disait récemment un Palestinien à un journaliste du quotidien Al-Hayat. « Dès qu’ils remarquent qu’un accent n’est pas irakien, ou, pire, palestinien, la victime n’a pas d’autre choix que de quitter sa maison – enfin, s’ils la laissent partir saine et sauve. »