La rencontre de dimanche apres-midi entre Colin Powell et Abou Mazen doit
avoir lieu a l’Intercontinental Hotel a Jericho. Il semble qu’elle ait ete
deplacee a Jericho pour eloigner Powell du QG de la Muqata d’Arafat a
Ramallah, et pour ne pas embarrasser Arafat, qui est toujours boycotte par
Washington.

L’opinion palestinienne, comme les dirigeants palestiniens, sait que la
decision des Americains d’ignorer Arafat pendant la visite de Colin Powell
constitue un acte destine a humilier Arafat, surtout si l’on considere
l’intention de Powell de rencontrer le president (israelien) Moshe Katsav,
dont le role est purement symbolique. Ces dernieres semaines, Arafat a
rencontre de nombreuses fois un grand nombre de diplomates de second rang,
comme les consuls etrangers a Jerusalem Est et des emissaires europeens
comme Miguel Moratinos. Mais, en dehors de Joshka Fisher, ministre allemand
des Affaires etrangeres, il n’a rencontre aucun diplomate important, et le
fait d’etre rejete par Colin Powell lui cause un certain dommage.

Selon des sources palestiniennes, certains dirigeants de l’Autorite
palestinienne ont suggere a Abou Mazen d’annoncer qu’il ne rencontrerait pas
Powell sans Arafat, et d’autres ont propose que l’Autorite palestinienne
declare une greve de protestation ce dimanche. Mais au bout du compte, la
direction palestinienne a decide de ne pas creer de crise a ce propos. Apres
tout, les dirigeants palestiniens se rendent compte que le monde considere
la nomination d’Abou Mazen comme une tentative d’eloigner Arafat des centres
de decision, et meme de le deposer, meme si les medias palestiniens ont
tendance a minorer le phenomene.

Les porte-parole palestiniens, a commencer par Abou Mazen lui-meme,
declarent souvent que la liberation d’Arafat de la Muqata et sa liberte de
mouvement figurent au premier rang des preoccupations du nouveau
gouvernement. Il ne fait aucun doute qu’Abou Mazen presentera ces exigences
a Powell.

De son cote, Arafat reagit a l’humiliation avec beaucoup de retenue. Il
n’ennuie Abou Mazen qu’a propos du statut et des responsabilites de Dahlan
dans le nouveau gouvernement. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un probleme
mineur, Arafat aurait pu faire bien davantage pour faire echouer Abou Mazen,
dont la nomination est une epine dans son pied. Pourquoi Arafat se
comporte-t-il ainsi?

D’abord, Arafat s’inquiete du fait que si Abou Mazen perd patience et
demissionne, et si le gouvernement s’effondre, tout le monde blame Arafat.
« Arafat craint que le gouvernement ne s’effondre sur sa tete », a dit l’un
des ministres palestiniens il y a quelques jours.

Ensuite, Arafat est conscient que le prestige d’Abou Mazen aux yeux de la
rue palestinienne, et du monde arabe en general, a ete serieusement affecte
par la pression americaine (et israelienne) en faveur de sa nomination. Un
journaliste palestinien, de retour d’une visite en Jordanie, a dit avoir
entendu critiquer Abou Mazen en differents endroits. De nombreuses personnes
lui ont dit etre surprises qu’un vieux combattant et diplomate comme Abou
Mazen ne comprenne pas que la rue commencait a le percevoir comme un
collaborateur.

En sus de ces raisons, certains faits indiquent qu’Arafat est pratiquement
sur que la « feuille de route » est vouee a l’echec, et qu’il ne se formalise
donc pas d’etre boycotte et mis a l’ecart du jeu diplomatique. Arafat pense
qu’Ariel Sharon et son gouvernement, pour differentes raisons, ne prendra
pas les mesures requises par la feuille de route : Tsahal ne se retirera pas
des territoires envahis pendant l’Intifada, la plupart des barrages routiers
ne seront pas leves, la colonisation ne sera pas gelee, et tres peu
d’avant-postes seront evacues. Arafat se tient sur la touche, pour ne pas
porter de responsabilite en cas d’echec du plan.

C’est la raison pour laquelle Arafat ressemble au messager qui dit : « vous
dites que je suis l’obstacle causant l’echec de tout, alors voila, je me
tiens sur la touche et je ne fais rien, et on verra si vous reussirez. »

Arafat a une grande experience politique. Les Americains l’ont deja boycotte
par le passe (alors que les Europeens l’acceptaient), et aujourd’hui, on
assiste au meme phenomene. Les porte-parole d’Arafat ont insiste dimanche
sur la visite prevue de Dominique de Villepin, qui doit rencontrer Arafat au
cours de son voyage au Moyen-Orient, dans une quinzaine de jours. Arafat
attend donc que tout le monde se rende compte que la feuille de route est
dans l’impasse, et alors, comme cela s’est deja produit en 1993, les
Americains n’auront d’autre choix que de se tourner vers lui encore une
fois, pour qu’il sauve la situation.