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Bitterlemons, 19 juin 2006

Trad. : Gérard pour La Paix Maintenant


Ce que l’on appelle le « Document des prisonniers » est actuellement au centre d’une crise politique palestinienne. Ce document a été publié il y a un mois environ dans la prison de Hadarim (Tel Mond), signé par cinq détenus connus par le public palestinien pour leurs activités politiques : Marwan Barghouti, secrétaire général du Fatah et député au parlement ; Sheikh Abd al-Halak Natsche, l’un des leaders les plus importants du Hamas ; Abd el-Rakhim Malouh, membre du comité central de l’OLP au nom du FPLP ; Mustafa Badarneh, du FDLP, et Sheikh Basam al-Saadi, du Jihad islamique (qui a posé une réserve concernant l’une des clauses).

Le contenu se ce document a été discuté en long et en large. En bref, il comprend 18 clauses, dont la plus importante parle de la création d’un Etat palestinien dans les frontières de 1967, de l’acceptation des décisions internationales et de la reconnaissance de la « légitimité arabe » – clauses dont l’interprétation pratique revient à reconnaître Israël. La plupart des autres clauses parlent de l’importance de l’unité palestinienne et du besoin de changement au sein de l’OLP. Une clause importante parle de continuer à négocier avec Israël, et souligne que tout accord obtenu sera soumis à l’approbation du peuple par référendum.

En apparence, on pourrait douter de la confiance que suscite un document rédigé par des détenus dans une prison israélienne. Après tout, ces détenus sont sous le contrôle strict des autorités pénitentiaires. Tout contact entre eux ou avec des gens du dehors s’effectue sous la surveillance et avec l’accord d’Israël, qui peut les empêcher ou les autoriser. Dans ces conditions, il est à noter que pratiquement aucune voix ne s’est élevée dans l’opinion palestinienne pour mettre en doute la crédibilité du document, du moins pas en public.

Seul le premier ministre palestinien, Ismail Haniyeh (Hamas), a demandé à l’opinion de ne pas oublier que le document émane de détenus d’une seule prison, et non de toutes les prisons. Ses remarques reflètent le malaise, pour le moins, que suscite le document chez la plupart des dirigeants du Hamas. Pourtant, ils hésitent à le critiquer, compte tenu de l’immense sympathie dont jouissent ces prisonniers dans tous les secteurs de l’opinion, en Cisjordanie comme à Gaza. Et, en particulier, Marwan Barghouti, leader de la jeune génération du Fatah, souvent appelé « l’ingénieur de l’Intifada ».

L’opinion palestinienne attribue à Barghouti l’initiative d’opérations lancées contre Israël au début de l’Intifada. Israël l’a condamné à cinq peines de perpétuité. Cela explique peut-être pourquoi son leadership est accepté non seulement par les membres du Fatah, mais aussi par les militants d’autres factions. On lui attribue aussi du courage politique, car il a osé plusieurs fois d’élever contre Yasser Arafat. Et il est considéré comme relativement non corrompu, comparé à d’autres dirigeants du Fatah. Le prestige de Barghouti a été quelque peu atteint quand la plupart de ses jeunes partisans ont été battus par les candidats du Hamas aux élections. Mais le Fatah ne peut aligner aucun autre candidat de la jeune génération capable de rivaliser avec lui pour prendre la tête du mouvement dans les années à venir.

La réputation de Barghouti, ajoutée à celle des autres signataires, a garanti une publicité maximum au document. Le président de l’OLP [et de l’Autorité palestinienne], Mahmoud Abbas, notant l’hésitation du Hamas à y souscrire, s’est hâté de mettre le gouvernement de Haniyeh dans l’embarras en déclarant qu’il le soumettrait à un référendum le 26 juillet à moins que les deux parties ne parviennent auparavant à un compromis.

Le document des prisonniers ne fera probablement pas plaisir à la plupart des Israéliens. Il parle des frontières de 1967 et de la reconnaissance du droit au retour des réfugiés palestiniens. Cela n’empêche que du côté palestinien, il a créé un certain remous. Il a permis à Mahmoud Abbas de s’affirmer. Lui qui depuis longtemps était accusé de faiblesse par ses partisans comme par ses rivaux, a su prendre l’initiative. De fait, le document des prisonniers lui a fourni une occasion en or pour exercer une pression sur le Hamas afin que celui-ci change de position politique. Du même coup, il fournit au Hamas, qui est affaibli dans l’opinion suite à son refus idéologique de reconnaître Israël, un moyen confortable de descendre de l’arbre où il était perché.

Au bout du compte, le Hamas peut-il accepter ce document ? Malgré leurs réserves, les porte-parole du Hamas ne se sont pas hâtés de le rejeter d’office. Le député Adnan Asfour a déclaré qu’en fait, 90% du document était acceptable pour le Hamas. Et le premier ministre Haniyeh a annoncé qu’avec quelques modifications, il serait acceptable pour tous. Ce qui met le Hamas en colère, c’est le ton agressif de Mahmoud Abbas, et en particulier son ultimatum et l’idée du référendum. Du point de vue du Hamas, un référendum constituerait un moyen de contourner, ou même d’annuler le résultat des élections tenues il y a à peine 4 mois, élections largement remportées par le Hamas.

Ainsi, les réserves du Hamas ont trait principalement au style d’Abbas davantage qu’au contenu du document. Le détenu leader du Hamas qui l’a signé a d’ailleurs retiré sa signature, bien plus à cause de son exploitation politique par Abbas que pour des raisons de contenu.

Au bout du compte, il est probable que les deux parties parviendront à un compromis. Le Hamas acceptera de nommer un gouvernement technocratique au-dessus des partis, et Abbas renoncera au référendum. Quant au document lui-même, le Hamas et le Fatah se mettront probablement d’accord pour effacer certaines des déclarations les plus claires et les remplacer par des formulations plus ambiguës.