«Il semble, hélas, qu’il n’y ait plus guère de chances de stopper la course destructrice du camp post-démocratique», écrit dans Ha’Aretz de cette fin de semaine B. Michael.

Et de citer le discours de l’un des chefs de file du sionisme-religieux en pointe dans la colonisation de la Cisjordanie, devant l’assemblée générale des Rabbins pour le peuple juif et la terre d’Israël, en octobre 2000: Rabbi Elyakim Levanon y appelait de ses vœux l’émergence « de rabbins-rois qui constitueront le vrai gouvernement du peuple juif».


Au début était le H’ardal (acronyme de H’AReDim Leumanim – les ultra-orthodoxes nationalistes), un mélange unique d’ultra-orthodoxie croissante, de racisme, de messianisme et de cupidité. Pourquoi unique? Parce que le camp religieux tout entier, y compris le parti national-religieux [PNR] du temps où il avait encore sa raison, fut un jour fidèle à la loi religieuse, la Halakha, qui interdit formellement aux Juifs l’ultra-nationalisme, le messianisme [1] et la belligérance. Ce n’est pas un hasard si le dirigeant du PNR à l’époque, feu Haïm-Moshé Shapira, fut l’un des plus vigoureux opposants à l’occupation [de la Vieille Ville et de la partie orientale] de Jérusalem. Dans un accès de lucidité prophétique, il vit ce que l’avenir nous réservait.

Et c’est, de fait, ce qui est arrivé. La guerre de 1967 a fait sortir le génie religieux de sa bouteille. Le judaïsme se trouva une fois de plus aux prises avec le fondamentalisme fou qui, en une occasion au moins, avait détruit la majeure partie du peuple juif. Goush Emounim (le Bloc de la Foi), le mouvement responsable des implantations, fut fondé. Déterminé, têtu et retors, ce phénomène politique, qui prit de la force, méritait une nouvelle appellation. En 1996, le surnom de “H’ardal” fut proposé. Et il prit.

Il y eut ceux qui étaient conscients que cela marquait le début d’une abomination dangereuse à l’extrême. Il y eut ceux qui réitérèrent les mises en garde, avertissant que ce monstre politique aspirait à la domination, à la prise de contrôle et à l’assujettissement du pays tout entier à sa philosophie.

Nul n’y prêta attention. Le gouvernement, en une remarquable démonstration d’inconscience et d’aveuglement, adopta, dorlota et nourrit le H’ardal et ses hallucinations, et celui-ci devint incroyablement fort. Il ne réussit pas à réaliser son rêve, «s’implanter dans le cœur des gens». Mais il réussit à s’implanter à peu près partout ailleurs – dans l’éducation, l’immobilier, les médias, l’armée, au cœur des budgets et aussi – à l’aide d’un idiot photogénique [2] – au gouvernement.

Ainsi le nom de H’ardal ne convient-il plus. Le camp s’est maintenant multiplié par sept. Il a franchi les frontières de la religion, du Grand Israël, du monde associatif. Il comprend maintenant des religieux et des laïques, des universitaires et les médias, l’élite et les classes inférieures, l’orient et l’occident, la droite et les indifférents, des élus et des électeurs, des voyous et des bloggeurs. Un camp énorme. Il mérite également un nom qui lui appartienne en propre, et voici celui que je propose: «Le camp post-démocratique.»

Tel est le camp qui aspire à se débarrasser de cette absurdité qu’est la démocratie; qui voit les droits civils comme nuisibles, et le racisme comme un trait positif; qui ne voit dans la démocratie qu’un exercice de haute voltige destiné à promulguer des lois malfaisantes et un outil fait pour prendre des décisions douteuses. Le camp post-démocratique est maintenant le plus fort des camps politiques d’Israël, et il monte en puissance.

Mais la post-démocratie n’est pas la fin de la route. Elle ne fait que marquer l’assomption de l’étape suivante. Il ne s’agira pas du fascisme traditionnel, habituel, mais d’une variation locale unique en son genre. Le produit quasi inévitable de deux phénomènes dont l’un est historique: l’erreur fatale commise par le Premier ministre David Ben-Gourion en ne séparant pas la religion de l’État; et l’autre sociologique: la perte de confiance en eux-mêmes des citoyens israéliens, qui sentent que la terre tremble sous leurs pieds, que les fondations de leur foyer national reposent sur du sable, que l’avenir va s’obscurcissant.

Angoissés, ces gens cherchent refuge dans le sein d’un dieu, dans le sein du despotisme, ou dans celui de ces deux malédictions à la fois.

Et l’avenir se dessine déjà. L’annonce en a été faite de façon quasi officielle. En octobre 2000, l’association des Rabbins pour le peuple juif et la terre d’Israël tint une conférence. Au nombre des orateurs se trouvait le rabbin Elyakim Levanon, l’un des chefs de file du “sionisme religieux” ainsi qu’eux-mêmes se définissent. Voici ses propos:

«L’heure est venue de prendre le bâton [du commandement]. De revenir à l’époque du roi David et d’être conscients que le rôle des rabbins n’est pas d’enseigner la Torah mais de fonder un corps de dirigeants; des “rois-rabbins” qui constitueront le vrai gouvernement du peuple juif.»

Voilà ce qui fut dit en public. Et c’est à cela, précisément, que tend le camp post-démocratique. naïvement, inconsidérément ou délibérément.

Il semble, hélas, qu’il n’y ait plus guère de chances de stopper la course destructrice du camp post-démocratique. Mais nous pouvons, et devons en fait, commencer à garder trace des noms de ses militants, leurs actes, leurs lieux de travail et leurs déclarations.

Pour l’histoire. Pour ceux qui étudieront ce qui s’est passé ici, pourquoi c’est arrivé, et à qui la faute.

NOTE

[1] Le messianisme, tel que la pensée traditionnelle du judaïsme l’entendait, correspondait plutôt à l’“ère messianique” de la fin des temps, une sorte de retour à la paix du jardin d’Eden, qu’à la venue à proprement parler d’un messie monté sur une ânesse blanche… Ce qui n’empêcha pas les masses juives désespérées entre famines et pogromes de suivre quelques “faux messies”. Raison de plus pour que les milieux religieux aient montré la plus grande méfiance face au sionisme, perçu comme une tentative de hâter par le retour à Sion, où seule une intervention divine eût dû ramener les Juifs, la venue des temps messianiques. Si certains groupes de H’aredim (de “Craignants” comme choisissent de se nommer les héritiers des H’assidim d’antan) continuent de vivre à l’écart de l’État d’Israël dans leurs quartiers, la divine surprise de la prise de Jérusalem et de la Judée et la Samarie de l’Antiquité a provoqué dans ces milieux un électrochoc.

[2] Devine qui pourra… Les procès en diffamation ne fouaillent pas encore le for intérieur du lecteur!