Quatre jours d’affilée, en mars dernier, les sirènes ont retenti pour avertir les habitants de Beer-Sheva, l’une des plus grandes cités israéliennes à proximité de Gaza, d’avoir à s’abriter de tirs de roquettes.

Lorsqu’elles se sont déclenchées pour la première fois, mon fils n’était pas à la maison. Prise de panique, j’ai fait sonner son portable. Pas de réponse. Priant Allah, j’entrai en méditation afin de me calmer, de vaincre la peur pour la vie de mon enfant qui allait me submergeant. Je pénétrai dans la chambre sécurisée destinée à nous servir d’abri, mais ne pus me contraindre à en fermer la porte sans qu’il soit à l’intérieur.

Peu après, il fit irruption, suivi par deux amis juifs. Je les poussai dans la pièce et claquai la porte blindée derrière eux, m’adressant spontanément à mon fils en arabe, notre langue maternelle. En hébreu, je dis aux garçons d’appeler chez eux pour rassurer leurs mères. Je jetai une couverture sur notre chien. Les deux jeunes Juifs avaient assez peur comme cela ; je pouvais au moins leur épargner de se faire mordre.

Quand l’un d’eux refusa d’appeler la maison, mes sentiments de mère furent relégués au second plan par la conscience de nos identités nationales. Yossi ne me connaissait pas. Quelque chose dans son immobilité me rappela que cela pouvait l’effrayer de se trouver avec des Arabes, fussent-ils de sa cité, pendant une attaque. Peut-être se refusait-il à appeler pour que sa mère ne le sache pas en compagnie de Palestiniens.

Mes pensées et ma sympathie allaient à cette mère juive qui ignorait où son fils se trouvait. Je pouvais éprouver son angoisse, semblable à la mienne quelques instants plus tôt à peine. J’insistai pour que le garçon envoie à sa mère un texto lui disant qu’il se trouvait dans un abri, sain et sauf. Il ne laisserait ainsi filtrer aucune information sensible.

Je me mis dans sa peau d’adolescent, assis en un lieu inconnu avec une famille palestinienne au moment même où des Palestiniens le bombardaient. Je me sentis envahie par sa peur d’être pris au piège dans une pièce peuplée d’« ennemis ». Si peu naturel qu’il me fût de parler hébreu avec les miens, je me contraignis à le faire pour le mettre un peu plus à l’aise.

Le lendemain, l’école de mon fils et ses amis resta fermée en prévision d’autres attaques de roquettes. Bien que nous soyons musulmans, je décidai d’envoyer notre fils dans une école juive voisine. De retour à la maison après le travail, je ne l’y vis pas. Le cherchant, j’appelai la mère de l’autre jeune Juif abrité la veille, une femme que je connaissais mieux, et appris qu’on les avait conduits à une piscine des environs.

Proposant de les récupérer et de les ramener, j’obtins l’adresse d’un club d’anciens combattants, dont le père de l’un des enfants était membre. Je me figeai, trouvant insultant un tel manque de tact. Par solidarité avec les Palestiniens innocents qui enduraient des représailles de l’autre côté de la frontière gazéenne, je n’avais aucune envie que mon fils fréquente un club lié à l’armée.

Je me demandai alors : « Quel est le problème ? Quand ces femmes l’ont emmené à la piscine, elles ne nous voyaient pas comme des Arabes. Nous ne faisons que veiller sur nos enfants mutuels. »

Tant Yossi que moi-même devons usons de raison pour vaincre la crainte que nous inspire l’espace de l’autre et ce que l’habiter signifie pour chacun de nous en termes d’identité. Cette avancée et ce recul incessants de la focale entre plans arrière et premier sont essentiels au maintien de relations authentiques. Pour Yossi, il était difficile de distinguer entre ceux qui le menaçaient et ceux qui le protégeaient ; pour moi, il était aussi naturel de protéger Yossi que mon propre fils.

Je compatis à la terreur des enfants de Gaza comme à celle des enfants israéliens ; et au désespoir des parents cherchant à sauver leurs enfants d’un côté de la frontière comme de l’autre. Pour qui exclut l’opposition tranchée entre « nous » et « eux » en termes d’identité, c’est l’aspect tragique de ce schéma destructeur qui se dessine le plus nettement.

Ce n’est qu’en admettant que nul n’a rien à gagner à terrifier l’autre que nous comprendrons que la victoire par les armes n’est pas une solution – et que les deux parties seront gagnantes si nous choisissons tous de vivre dans la liberté et la dignité.