Council on Foreign Relations, 1er février 2008

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Traduction : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Inteview réalisée par Bernard Gwertzman, rédacteur en chef de la revue.

Khalil Shikaki, politologue palestinien de premier plan et expert ès sondages, affirme que le Hamas a perdu une grande partie de sa popularité auprès des Palestiniens après son coup de force à Gaza en juin dernier. Toutefois, plus récemment, les sanctions israéliennes à l’encontre de Gaza en représailles aux tirs de roquettes, et la destruction par le Hamas le mur de séparation avec l’Egypte ont fait redécoller sa popularité. Le Fatah ne peut aujourd’hui compter sur une victoire électorale face au Hamas.

Q. Comment se passent les pourparlers entre l’Autorité palestinienne et le Hamas qui ont lieu actuellement au Caire au sujet du contrôle de la frontière Gaza-Egypte ?

Khalil Shikaki : Il ne semble pas y avoir beaucoup de progrès. L’Autorité palestinienne souhaite avoir le contrôle total sur les passages frontaliers, mais le Hamas en revendique une partie. Les Egyptiens accepteront tout accord entre les deux parties, parce qu’ils veulent être sûrs qu’Israël reste responsable de la bande de Gaza, qu’elle ne devienne pas un problème égyptien. Aussi longtemps qu’il n’y a pas d’accord, les Egyptiens craignent de se retrouver en charge du problème de Gaza.

Q. Parle-t-on de nouvelles élections palestiniennes ?

Non, je ne pense pas. Je ne crois pas à l’éventualité de nouvelles élections dans un futur proche. Pour Abbas, le problème fondamental est qu’il est impossible d’organiser de nouvelles élections sans l’assentiment du Hamas. Et, parce que le Hamas contrôle la bande de Gaza, il est peu probable que Mahmoud Abbas organise des élections dans la seule Cisjordanie. De son côté, il est peu probable que le Hamas organise des élections, car il pense avoir perdu une partie de sa popularité après son coup de force. Mais il souhaite en même temps pouvoir discuter de la question de nouvelles élections dans le cadre d’un dialogue avec Abbas qui restaurerait un semblant d’unité nationale. Peut-être iront-ils jusqu’à retourner au gouvernement d’union nationale qui existait jusqu’à l’été dernier. Mais pour le, moment, les conditions posées par Abbas sont inacceptables pour les idéologues du Hamas, ceux qui ont orchestré le coup d’Etat du Hamas. Il est peu probable que ce groupe accepte les conditions d’Abbas : retour à la situation qui prévalait avant leur coup, avant même qu’Abbas n’accepte de négocier avec eux.

Q. Ce retour au statu quo ante signifie-t-il la restauration des forces de sécurité de l’Autorité palestinienne à Gaza ?

Cela signifie que le Hamas devrait renoncer au contrôle total, au monopole des forces de sécurité dont ils jouissent à l’heure actuelle. Cela signifierait que le Hamas renonce à sa domination armée sur Gaza.

Q. Au même moment, avec toute cette confusion et ce chaos à Gaza, il y a toujours la question des pourparlers de paix entre Israël et l’Autorité palestinienne, relancés lors de la réunion d’Annapolis il y a deux mois. Au sein de l’opinion palestinienne, y a-t-il le sentiment que ces pourparlers mènent quelque part ?

L’opinion publique n’a pas vu d’un bon œil les résultats de la conférence d’Annapolis. Dans le sondage que nous avons effectué en décembre dernier, seules 11% des personnes interrogées ont estimé que le processus était une réussite. Une majorité écrasante ne croit pas que les négociations lancées par Annapolis puissent mener à un accord israélo-palestinien. Les Palestiniens ne croient pas que les Israéliens envisagent sérieusement d’appliquer les mesures qui leur incombent dans le cadre de la Feuille de route, et ils ne pensent pas qu’Olmert soit capable de parvenir à un règlement définitif. Plus grave encore, l’opinion palestinienne ne croit pas Abbas capable de parvenir à un règlement définitif avec Olmert. Le seul élément d’espoir dans tout cela est que l’opinion pense que si Israël applique pleinement les accords, alors ils croient en la capacité d’Abbas et de l’Autorité palestinienne de tenir leurs promesses de changement (pour le mieux). Mais, de façon générale, les Palestiniens ne croient pas que les Israéliens rempliront leurs engagements.

Q. Simultanément, votre institut a publié en décembre dernier un sondage auprès de l’opinion israélienne, tout aussi pessimiste. Est-ce exact ?

Oui. Les Israéliens sont tout aussi pessimistes que les Palestiniens, et pour les mêmes raisons, ils ne pensent pas qu’Annapolis ait été un succès. Ils ne croient ni à la capacité de leurs dirigeants, ni à celle des dirigeants palestiniens, à appliquer les accords existants ou à parvenir à un accord définitif. L’opinion ne considère pas les dirigeants des deux côtés assez forts pour avancer. Notre sondage de décembre montre que des deux côtés, l’opinion est pratiquement divisée en deux sur la question de savoir si les deux parties parviendront à un compromis ou souhaitent parvenir à un compromis sur les principes des paramètres Clinton (plan de paix détaillé présenté par le président Clinton à Taba en décembre 2000, plan refusé par les Palestiniens).

Q. Bien sûr, la situation est que tant que le Hamas contrôle Gaza, et l’Autorité palestinienne la Cisjordanie, il semble peu probable qu’un accord intervienne du côté palestinien. Est-ce exact ?

Absolument, cela fait partie du problème. D’un côté, cette division de la direction palestinienne est hautement problématique en termes de capacité de l’Autorité palestinienne à appliquer tout accord dans les zones qu’elle contrôle. Mais d’un autre côté, toute tentative par Mahmoud Abbas d’exercer un contrôle sur Gaza par le moyen de négociations avec le Hamas serait très probablement rejetée par Israël, et par les Américains, bien sûr. Le processus d’Annapolis n’a pu être mis en place que parce que le Hamas et Abbas ne font plus partie d’un gouvernement d’union nationale. Cela permet à Abbas de négocier avec Israël, car Israël ne négociera pas avec le Hamas tant qu’il ne reconnaîtra pas son droit à l’existence. Mais le fait qu’il n’y ait plus de gouvernement de coalition rend très douteuse l’application d’un accord, quel qu’il soit. Donc, pour le moment, Abbas peut négocier, mais sa capacité à réussir sans aucun dialogue avec le Hamas demeure un gros point d’interrogation. Il ne fait pas de doute dans mon esprit qu’à moins qu’il conclue un accord avec le Hamas sur Gaza, accord qui inclurait de nouvelles élections, il n’y aura aucun accord appliqué avec Israël.

Q. Vous avez dit que depuis la prise du pouvoir par le Hamas à Gaza l’été dernier, sa popularité avait chuté. Si de nouvelles élections avaient lieu à Gaza aujourd’hui, qui l’emporterait ?

Il est très important de savoir qu’au cours des 18 mois qui ont suivi sa victoire aux élections législatives, le Hamas perdait 1% tous les trois mois. Mais, après son coup de force à Gaza en juin dernier, il a perdu 6%. C’est une baisse très sérieuse en trois mois, si on la compare à 1%, moyenne de ce que le Hamas perdait pendant les 18 mois qui ont précédé son coup de force. Mais il faut comprendre que l’opinion n’a sanctionné le Hamas qu’après qu’il se soit emparé de Gaza par la force, en négligeant ce que les Palestiniens considèrent comme une valeur extrêmement importante, à savoir l’unité nationale. L’opinion a donc sanctionné le Hamas pour sa conduite, mais pas pour le fait que le Hamas a défié la communauté internationale, refusé de reconnaître Israël, etc. L’opinion n’a pas sanctionné le Hamas à cause des difficultés que la population a dû subir après son coup de force. Ce qui a réduit l’attrait du Hamas, ce sont des propres initiatives, ses propres actions, ils étaient contre d’autres Palestiniens, ce qui était inacceptable pour l’opinion.

Q. Que s’est-il passé récemment ?

Depuis notre sondage de décembre, les choses ont changé. Je ne pense pas que le Hamas perde encore en popularité. En fait, le sondage de décembre suggérait que sa popularité s’était stabilisée. C’est le résultat de la politique d’Israël de ces dernières semaines, avant que le Hamas n’ait détruit la barrière égyptienne la semaine dernière. Cela comprend les sanctions israéliennes, y compris les coupures d’approvisionnement en fioul et en électricité. Ces mesures ont probablement renversé la tendance que nous observions depuis juin. Je pense que, grâce aux sanctions qu’Israël a mises en place, le Hamas a pu restaurer une partie de sa popularité. Je ne peux pas vous donner les résultats exacts d’une élection si elle avait lieu aujourd’hui. Mais il est plus que probable que nous sommes revenus à la situation d’avant juin 2007, où, si l’on additionne la popularité du Hamas et le pourcentage des hésitants, ils l’emporteraient sur le Fatah.

Q. Ai-je raison de tirer la conclusion suivante : la politique dure menée par Israël contre Gaza en représailles des tirs de roquettes n’a fait que renforcer le Hamas et affaiblir Mahmoud Abbas, perçu comme négociant avec l’ennemi des Palestiniens à Gaza ?

En pratique, Israël a fait perdre au Fatah tous les gains qui ont résulté de la lourde erreur commise par le Hamas en juin. En ce qui concerne l’Autorité palestinienne, le Fatah n’a rien gagné. Il n’a gagné ni les cœurs ni les esprits entre janvier 2006, date des élections, et juin 2007. Après le coup de force du Hamas, le Fatah a gagné 6%, premier gain depuis les élections. Le Fatah pourra-t-il conserver ces gains ? J’en doute beaucoup, l’opinion voit qu’Abbas bloque autant que possible tout accord qui permettrait d’ouvrir la frontière [avec l’Egypte] sans faire de concessions à Israël. C’est la version du Hamas concernant la frontière. Le Hamas dit qu’ils doivent fermer la frontière avec Israël et, à la place, l’ouvrir avec l’Egypte et le reste du monde arabe. Mahmoud Abbas dit que noue devons laisser ouvertes les frontières avec Israël et donc que le passage frontalier de Rafah (entre Gaza et l’Egypte) demeure aux mains de l’Autorité palestinienne et de sa direction. Le problème est que, depuis huit mois, essentiellement depuis la prise du pouvoir du Hamas, Israël a bloqué toute circulation entre Gaza et la Cisjordanie, ce qui affecte une immense majorité de Palestiniens. Si tout le monde souhaite et soutient l’idée d’un lien continu entre la Cisjordanie et Gaza, personne, en réalité, ne la considère comme possible, compte tenu du comportement d’Israël.