Tel est le sentiment éprouvé présentement par nombre d’Israéliens et de Juifs de par le monde. Certes le défi qu’Israël s’était fixé à lui même, être un État  juif et démocratique, s’est trouvé dès l’origine en bute à de graves difficultés. Discrimination et inégalités entre Juifs et entre Juifs et Arabes ont toujours existé. Mais l’objectif était défini et, au regard de cet objectif, les différents gouvernements se sont plus ou moins efforcés de ne pas franchir le point de non retour.
Comme Denis Charbit l’a exprimé dans un dialogue avec Camille de Tolédo autour de son roman graphique Herzl, une histoire européenne : « …avec les Palestiniens d’Israël (…) je partage une citoyenneté commune. Cette coexistence est encore tendue, mais je la préfère à la perspective d’une société homogène… ».

Cette loi est un changement d’horizon même si elle est de peu d’effets concrets dans un premier temps. Comme nous l’avions dit, elle crée une fracture au sein de la société israélienne et entre Israël et une large fraction des Juifs de diaspora sans oublier l’éloignement du « monde » démocratique.
Les initiatives d’associations juives religieuse et laïques, attachées viscéralement à Israël, qui l’ont soutenu et ont contribué à son développement, ont été patentes. La communauté druze n’entend pas accepter sans broncher ce « coup de poignard ». Même Naftali Bennett a reconnu qu’il fallait « panser la blessure » qui lui a été infligée.
Un député arabe d’un parti « juif » vient de démissionner de la Knesset. Zouheir Bahloul (Union sioniste) a indiqué qu’il ne voulait pas avoir à dire à son petit-fils qu’il était resté membre du Parlement après le vote la semaine dernière de cette loi qui, a-t-il déclaré, « retire officiellement, constitutionnellement la population arabe du chemin d’égalité en Israël ». 180 intellectuels israéliens, écrivains, universitaires, artistes parmi lesquels Amos Oz, David Grossman, A. B. Yehoshua, Eshkol Nevo, Orly Castel-Bloom, Etgar Keret, Zeruya Shalev, Yael Dayan … viennent il y a peu d’appeler les députés à « effacer ce pêché ». (lire l’appel en anglais).

Les opposants de longue date trépignent de joie. « Nous vous l’avions bien dit! Le sionisme se révèle sans fard et montre enfin son  vrai visage! ».

Non, il se fourvoie et renonce à ses valeurs!

La mobilisation contre cette loi scélérate dont on perçoit les premiers signes y compris dans l’armée dont nombre d’officiers supérieurs issus des unités d’élite viennent d’exprimer leur solidarité à leurs frères d’armes druzes, débouchera-telle sur un recul ou bien au contraire, sur un raidissement de ceux qui pensent avoir le vent en poupe avec la montée des populismes et des démocratures, surfant sur le soutien a priori indéfectible de Donald Trump?
Il est encore trop tôt pour le savoir mais une fois de plus la société civile fait preuve d’une opposition plus ferme que celle des « politiques ». Plusieurs intervenants, les larmes aux yeux, la voix tremblante de honte et de désespoir, ont mis en avant l’effet destructeur de cette loi, le délitement qu’elle induit.
Certes, les Druzes bénéficient de plus d’empathie que les Arabes, la perception du rôle de l’occupation qui perdure depuis 50 ans est loin encore d’être largement appréhendée. Mais ce qui n’est pas aujourd’hui peut l’être demain.
Chacun là où il est doit se faire entendre et, s’appuyant sur ceux qui en Israël refusent que leur rêve ne devienne chimère, doit s’efforcer d’obtenir un soutien ferme aux valeurs qui sont celles de la déclaration d’Indépendance, tant des institutions juives que des instances politiques de leur pays.

Une rentrée difficile nous attend…Nous saurons y faire face.
Ilan Rozenkier

 

photo : manifestation à Tel Aviv contre la loi de l’État-nation