Les festivités du Jour de l’Indépendance sont derrière nous mais la satisfaction reste vive. Au plan conjoncturel tout d’abord, marqué par la sortie progressive mais incontestable de la crise sanitaire qui a permis la tenue de réjouissances dont l’ampleur n’était pas celle « habituelle » mais qui tranchait cependant par rapport à l’an passé. A un plan plus fondamental, perdurent un ébahissement renouvelé quant aux acquis, au chemin parcouru en – somme toute – peu de temps à l’échelle de l’histoire, ainsi qu’un attachement inconditionnel à l’existence de cet Etat et à ce qu’il représente. 
Pour autant, on ne peut éluder les profondes inquiétudes qui nous taraudent encore et toujours, du fait des menaces qui continuent de peser sur Israël mais aussi des chemins empruntés – par choix ou par inertie – et qui, pour certains d’entre eux, mènent à une impasse à l’avis même d’une fraction non négligeable de la société israélienne.
L’imbroglio politique actuel, une actualité qui dure depuis deux ans et qui risque de se prolonger par une cinquième consultation électorale, est l’une d’entre elle. Inquiétude face au constat qu’un homme dont le parti est certes en première position mais auquel les électeurs ont refusé à quatre reprises de lui permettre de constituer le gouvernement qu’il entendait, dont on connaît la force mais aussi les faiblesses et les « casseroles », s’accroche au pouvoir au-delà de toute raison, plus précisément pour la seule raison de se sortir des poursuites judiciaires. On peut certes incriminer le système électoral mais il n’empêche que celui-ci a fonctionné, imparfaitement sans doute, depuis des décennies durant lesquelles les hommes politiques ont accepté les règles du jeu. Quand on veut les changer en cours de match, ce n’est pas le match qu’il faut interrompre mais plutôt « sortir » le (mauvais) joueur.
Cette situation donne un pouvoir disproportionné à toutes sortes d’acteurs et permet l’acceptation par adhésion ou par lassitude de l’inacceptable. Inacceptable, telle est la possible participation à une coalition gouvernementale d’extrémistes, racistes, homophobes, sexistes. Telles sont les caractéristiques du parti des « sionistes religieux » qui entachent de manière indélébile les deux termes de son intitulé : il déshonore le sionisme et défigure la religion. Ou inversement…
Ne pas avoir de gouvernement, c’est indubitablement grave, mais la question essentielle est :  en avoir pour quelle politique? Là encore, les inquiétudes sont vives. Même si une majorité plus ou moins importante souhaite ou bien est disposée à tourner la page Netanyahu, il n’en demeure pas moins que la droite reste majoritaire et que sa prégnance est profondément inscrite dans les mentalités. Cette droite est sans doute moins homogène qu’on le croit. Un tiers d’entre elle, selon l’Institut israélien de la démocratie n’était pas favorable, par exemple, au projet d’annexion l’an passé des colonies en zone C, projet qui finalement a été abandonné, ce qui ne veut pas dire qu’il ne ressurgira pas à l’avenir.
La société israélienne sera-t-elle en mesure de revenir sur la loi Etat-nation, sur le développement des colonies, sur la judaïsation des quartiers arabes de Jérusalem-Est, sur l’impunité des nervis qui dans un silence quasi général, quotidiennement, agressent des Palestiniens en Cisjordanie, que ce soit les personnes, les récoltes, les biens ainsi que les Juifs qui cherchent à les protéger? Le  gouvernement à venir sera-t-il à même de dynamiser la politique permettant aux Arabes israéliens d’être pleinement des citoyens acceptés et acceptant Israël non moins pleinement? Ne se satisfera-t-il plus du gel des relations avec les Palestiniens, gel dont la responsabilité n’incombe pas seulement à Israël?  Voudra-t-il stopper la dérive du JNF/KKL alors qu’aujourd’hui même, au moment où ces lignes sont écrites, son conseil d’administration est supposé se prononcer sur la possibilité d’acheter des terres palestiniennes pour étendre les colonies en Cisjordanie, c’est-à-dire promouvoir l’annexion unilatérale de millions de Palestiniens qui compromettrait le caractère juif et démocratique d’Israël!
« Rien n’est jamais acquis » comme  dit le poète, ni dans un sens ni dans l’autre. La crise sanitaire a permis une prise de conscience par une grande partie de la population israélienne de la place qu’occupe la population arabe et de la nécessité d’une ouverture à son égard. S’agissant du JNF/KKL, dossier sur lequel nous aurons l’occasion de revenir, une large opposition se dessine contre ce déshonneur qui regroupe des partis politiques israéliens, des communautés de la diaspora, des grandes associations rattachées à des courants non orthodoxes du judaïsme.
On le voit, si la question « Israël, quo vadis? » a bien lieu d’être, la réponse, elle, reste ouverte.
P.S. : Nous venons d’apprendre que suite à l’opposition croissante à ce funeste projet au sein même du conseil d’administration du KKL,la prise de décision a été repoussée à une date ultérieure. 15 membres sur les 37 que compte le CA  étaient déjà opposés à l’achat de terres en Cisjordanie par le KKL. Le jour même du vote, le président de la Confédération mondiale des sionistes unis, membre de l’Organisation sioniste mondiale, a pris position contre le projet  empêchant ainsi  une majorité favorable.
Comme quoi, c’est une fois encore le poète qui a raison… L’action porte ses fruits!
Ilan Rozenkier
Illustration :  « Ne détruisez pas le sionisme » – T. Hertzl s’arrache les cheveux quant à la possible décision du KKL d’élargir son action dans les territoires
Mis en ligne le 23 avril 2021