Let my people go…

Année après année depuis fort longtemps, quelles que soient les circonstances, au soir du Seder de Pessah (Pâque juive), quatre questions sont posées, généralement par des enfants, pour demander en quoi cette nuit est-elle différente des autres nuits. En rappelant ainsi la singularité de cette fête qui commémore, à travers la Haggada qui en est le récit, la sortie de l’esclavage et la naissance d’un peuple libre, ces questions confrontent ainsi chacun d’entre nous au sens du mot liberté. Il ne suffit pas en effet de quitter l’esclavage pour devenir libre. C’est d’ailleurs pourquoi, selon le récit, les Hébreux ont dû rester 40 ans dans le désert avant de pouvoir entrer en «Terre promise», le temps d’effacer en eux l’esprit de soumission et de recevoir et s’approprier la Loi, car sans loi il n’y a pas de liberté.
Au soir de Pessah est réitérée l’injonction : Dans tous les siècles, chacun de nous a le devoir de se considérer comme s’il était lui-même sorti d’Égypte ainsi qu’il est dit : « Tu donneras alors cette explication à ton fils : c’est dans cette vue que l’Éternel a agi en ma faveur quand je sortis d’Égypte » (Exode 13:8). Rappelons qu’il est écrit 34 fois dans la Torah : « Vous aimerez l’étranger, vous qui fûtes étrangers dans le pays d’Égypte ». (Deutéronome 10:19)

A une époque où tant de personnes et de pays choisissent de fermer la porte aux étrangers et aux réfugiés, il est bon de procéder à ce rappel.

Cette année, le soir de Pessah est tombé presque jour pour jour 42 ans après la signature de l’accord avec l’Égypte. Contexte électoral et préparatifs de la fête aidant, cet anniversaire est passé quelque peu inaperçu en Israël. Pourtant il marque un tournant indéniable dans les relations entre Israël et ses voisins tant au plan pratique que symbolique.
Ce traité assure tout d’abord la libre circulation des navires israéliens dans le canal de Suez – aujourd’hui en pleine actualité – et la reconnaissance du détroit de Tiran et du golfe d’Aqaba comme voies de navigation internationales. L’Égypte, quant à elle, récupère sa souveraineté sur le Sinaï dans lequel les implantations israéliennes ont été démantelées. Mais c’est le premier État arabe, et le plus important, à signer la paix avec Israël et à établir avec lui des relations diplomatiques. Il en a payé le prix puisque la plupart des États arabes ont rompu leurs relations diplomatiques avec l’Égypte, suspendue de la Ligue arabe dont le siège a été transféré du Caire à Tunis ; Anouar al-Sadate sera assassiné le 6 octobre 1981.

Cet accord et celui conclu avec la Jordanie le 26 octobre 1994, auquel il a ouvert la voie, sont d’une importance fondamentale : ils instaurent une paix entre belligérants, assurent le calme le long de quelques 500km de frontières communes et permettent une profondeur stratégique fondamentale au plan sécuritaire. C’est pourquoi on ne peut que déplorer la tension avec la Jordanie à laquelle le gouvernement israélien « retarde », pour l’instant, un approvisionnement en eau pour remédier à une pénurie, sollicité par la Commission de l’eau israélo-jordanienne, établie après les accords de paix de 1994 entre les deux pays. Les services israéliens compétents en la matière étaient favorables à une réponse positive à cette demande.

Outre l’atteinte à la morale (refuser de l’eau, ne pas aider à la vaccination – la Jordanie n’aurait pas été intégrée comme elle le souhaitait à la liste des pays amis établie par Israël en vue d’un éventuel approvisionnent en doses de vaccin), il s’agit également d’une mise en péril des accords de paix avec la Jordanie dont la valeur stratégique est minimisée.
En ces jours de Pessah, posons-nous la question du « pourquoi ». Vengeance mesquine… en rétorsion du rôle de la Jordanie dans l’échec d’une visite de Netanyahu aux Émirats arabes unis peu avant le scrutin du 23 mars ? Possible mais irresponsable !

Nous parlions de Pessah. Concluons sur ce commentaire d’Eva Illouz (professeur de sociologie à l’Université hébraïque de Jérusalem et Directrice d’études à l’Ehess, Paris) sur la Haggada « …Mais ce texte a une autre particularité : il ne s’agit pas seulement d’une histoire. Il se veut la régénération d’une mémoire vive. Pourquoi commémorer ? Pourquoi ne pas tout simplement célébrer la liberté ? C’est que la liberté peut amener avec elle l’oubli de l’esclavage. La liberté peut rendre suffisant. La liberté est si fondamentale que l’on peut, une fois libre, aisément oublier ce que c’est de n’être pas libre ; ce que cela fait d’être arrêté à un check-point ; de voir sa terre saisie et confisquée ; de voir les tribunaux se mettre du côté du plus fort plutôt que de celui du juste ; de se voir dénier l’autorisation de travailler ou de voyager. Oui, la liberté peut conduire à l’arrogance et l’oubli. Se souvenir du don immense que Dieu fit aux Israélites est se souvenir que nous ne devons plus jamais nous faire bâtisseurs de pyramides, obsédés par notre propre pouvoir, incapables d’écouter les cris et murmures de souffrance des gens qui vivent parmi nous… »

A l’occasion d’un calendrier qui rapproche les croyances, à tous, Pessah sameah, Joyeuses Pâques et bons préparatifs de Ramadan !

 

Mis en ligne le 29 mars 2021