«Encourager une émigration juive de masse pourrait bien aider les fanatiques de la terreur à finir le travail entrepris par les nazis et leurs séides vichyssois: nettoyer la France de ses Juifs», écrit ici Chemi Shalev.
Si nous ne pouvons que nous scandaliser de l’usage électoral fait par le Premier ministre d’Israël, comme par certains de ses rivaux, des meurtres perpétrés et du climat d’inquiétude qu’ils engendrent, il faut ici se souvenir de la grande diversité de la judaïcité française et donc des éventuelles répercussions en son sein de ses appels au départ.

Il semble ainsi qu’il y ait peu de risques que voie le jour une France “Judenrein”, pour reprendre le terme emprunté par Chemi Shalev à la terminologie nazie, ou pour revenir à l’expression de notre Premier ministre, une «France sans Juifs qui ne serait plus la France». [T.A.]


Les attentats de Paris, antisémites et autres, ont suscité en Israël une large levée d’appels à l’immigration massive des Juifs de France. Pareilles exhortations vont dans le sens de deux principes sionistes bien établis: négation de la diaspora et vision d’Israël comme un asile sûr pour les Juifs persécutés ou menacés.

Il va sans dire que, même sans “l’électoralite” galopante du moment, le Premier ministre Nétanyahou et d’autres ministres israéliens auraient dépeint le départ en Israël comme l’antidote sioniste à l’antisémitisme et au climat de peur qui s’est développé ces dernières années, en France en particulier et en Europe en général.

Cependant, cette réaction instinctive – “pavlovienne” serait peut-être mieux adéquat – devrait pousser à la réflexion et à l’embarras jusqu’aux plus ardents des sionistes. En effet, que les Juifs de France répondent à ces appels en émigrant en Israël ou se contentent d’adopter le principe de cette recommandation et partent ailleurs, cette campagne ne représente rien d’autre qu’une reddition sans conditions au terrorisme. Cela offre à ses instigateurs une prime dont ils n’auraient osé rêver: la fuite éperdue de Juifs, dans le meilleur des cas; et au pire, la complète éradication de la présence juive en France. En encourageant l’émigration massive, les politiques israéliens pourraient bien aider les fanatiques de la terreur à finir le travail entrepris par les nazis et leurs séides vichyssois: nettoyer la France de ses Juifs.

Pareille capitulation, comme Nétanyahou en fait régulièrement la leçon à l’Occident, ne peut que renforcer les djihadistes et leur souffler d’adopter la même tactique dans d’autres pays européens. Le précédent selon lequel des Juifs pourraient être expulsés de tout pays où se trouve une minorité musulmane de bonne taille au moyen d’incitations à l’antisémitisme et de quelques attentats réussis pourrait se montrer tentant pour Al-Quaïda, Daesh, et autres groupes extrémistes du même acabit. Israël peut considérer l’intégration de milliers de Juifs français comme une opération de sauvetage renforçant l’entreprise sioniste, mais les islamistes fanatiques risquent fort d’en tirer la conclusion inverse: Pour commencer, nous jetterons les Juifs hors de Paris, Berlin et Londres, diront-ils au monde musulman; puis nous prendrons Tel-Aviv, Haïfa et Jérusalem.

Il est triste de voir que certains Israéliens ne sont plus capables de faire la différence entre les régimes antisémites totalitaires qui ont persécuté les Juifs par le passé et se réjouissaient de les voir partir, et l’Europe d’aujourd’hui, qui ne veut rien de tel. Une part de cet aveuglement revient à la propagande pro domo du gouvernement de droite selon laquelle une sévère critique de la politique israélienne et l’antisémitisme européen traditionnel se valent.

Mais malgré l’enthousiasme des explications officielles, avant tout convaincantes à nos propres yeux, la France n’est ni l’Algérie, le Maroc ou l’Iraq des années cinquante ou soixante, ni l’URSS des années soixante-dix et quatre-vingt: quel que soit le mépris affiché envers la politique étrangère française, Paris demeure l’un des éléments fondateurs de cette civilisation occidentale à laquelle Israël entend légitiment appartenir. Les manifestations de masse ce dimanche à Paris ont fait l’ample démonstration, s’il le fallait, d’à qui vont les sympathies des Français.

Aussi y eut-il, dans l’appel concerté aux Juifs de France à quitter leur pays émis par la plupart des dirigeants israéliens quelques heures à peine après que quatre Juifs innocents eurent été assassinés dans un supermarché casher de la porte de Vincennes, un indéniable aspect de coup de poignard, en un moment de terribles épreuves, dans le dos d’une démocratie sœur assiégée.

D’un côté, Israël a aligné des platitudes sur sa solidarité avec les Français, mais de l’autre son message sous-jacent était clair: Paris ne veut ou ne peut triompher de la terreur islamiste, et les Juifs devraient prendre leurs jambes à leur cou pour sauver leur vie. Imaginez le scandale qui eut éclaté, lors du massacre de Pâque 2002 au Park Hotel de Natanya, si un homme politique français avait dit à ses concitoyens en Israël qu’il était temps de revenir à la maison, à la sécurité des lieux où ils sont nés.

Les Israéliens à l’âme patriotique feront bon accueil aux nouveaux émigrants français en Israël, mais cela ne vient pas contredire le fait qu’Israël n’a aucun intérêt à promouvoir l’éradication de plus de 2 000 ans de présence juive en Europe. «La France sans les Juifs de France n’est plus la France», a déclaré le Premier ministre Manuel Valls – mais Israël sans sa diaspora pourrait cesser d’être l’Israël encore désirable pour l’un comme pour l’autre. Il n’y a rien de mal à ce qu’Israël promeuve l’immigration, de préférence par choix et non par peur, mais cette semaine n’était pas le moment opportun pour le faire: le gouvernement aurait dû saisir l’occasion de renforcer la communauté juive de France, plutôt que de l’affaiblir.

“Français juifs, la peur mais l'espoir” (Une de <em>Libé</em> le 13/1/2015) » align= »center » /></p>
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