« Il est temps pour nous de déclarer qu’un État palestinien souverain est également de l’intérêt d’Israël, aussi longtemps qu’il s’accompagne de la paix et la sécurité », écrivait le rabbin Donniel Hartman à la veille de la session des Nations unies dans le blog qu’il tient sur le site de l’institut Shalom Hartman et dans l’édition électronique de Yedioth A’haronoth.

Par-delà la force du propos, qui en rejoint d’autres déjà publiés ici, un relief particulier lui est conféré par la personnalité de son auteur. Si la colonisation nationale-religieuse s’ancre toujours dans les yeshivoth du rav Kook, il n’est pas indifférent de voir le représentant d’un autre courant de l’orthodoxie moderne évoquer l’inévitable démantèlement de nombre d’implantations et prendre position en faveur de la solution à 2 États, au nom de l’exercice même de la souveraineté juive.


Des impressions familières commencent à refaire surface. Plutôt que de promouvoir une normalité neuve, comme Herzl l’espérait, la réalité israélienne paraît se conformer au même modèle ancien auquel nous nous sommes longuement accoutumés durant l’exil – les autres et nous, l’aliénation, l’isolement et le danger. C’est vrai, les joueurs ont changé et, parmi nos pires ennemis d’antan, d’aucuns sont aujourd’hui nos amis. Mais une nouvelle génération s’est levée, animée du fort désir de prendre leur place – l’Iran, le ‘Hezbollah, le ‘Hamas, les terroristes islamistes, et il n’est pas maintenant jusqu’au gouvernement turc et aux voix de certains courants populaires émanant de Turquie et d’Égypte qui ne s’inscrivent dans un modèle si connu de nous.

Dans certains milieux, ici, la tristesse s’allie au soulagement de se retrouver tout au moins en terrain familier, et s’accompagne parfois d’un : « Je vous l’avais bien dit ! » Nous savons à quoi nous en tenir quant à ce monde et ses réalités, et pouvons du moins cesser de les prétendre différents, cesser de prétendre que nous pouvons faire quoi que ce soit pour changer une réalité qui semble être en bonne part le lot de notre peuple.

C’est à travers ces mêmes lunettes que beaucoup d’entre nous voient l’initiative unilatérale des Palestiniens d’adhésion aux Nations unies. L’Onu, qui fut le berceau de la souveraineté juive et l’autorité internationale qui reconnut les droits et la légitimité d’un foyer national pour le peuple juif, rassemble aujourd’hui un consensus permanent à l’encontre des intérêts d’Israël, voire de sa légitimité.

Le défi essentiel auquel nous sommes confrontés, en tant que peuple, est de savoir comment réagir, comment vivre avec cette réalité existentielle que nous connaissons si bien. Du fait qu’elle ressemble tant à notre passé d’exil, allons-nous réagir en peuple exilique ou en peuple souverain ? Et, dans le second cas, comment donner corps à notre souveraineté et notre autorité ?

Prenons notre destin en main [1]

Face à la résurgence d’une haine sur laquelle nous n’avons aucune prise, le sentiment d’impuissance éprouvé par certains alimente une colère qui justifie leur passivité. N’étant pas responsables de nos ennuis, il ne nous reste qu’à renforcer nos lignes de défense – que ce soit avec l’aide de l’armée ou celle du Congrès des États-Unis. Si tant est que nous usions alors de notre puissance souveraine, c’est en manière de représailles, sous forme de sanctions unilatérales à l’encontre de l’Autorité palestinienne au cas où elle poursuivrait jusqu’au bout sa démarche unilatérale.

La prédominance de la haine et l’imminence du danger, outre qu’elles rendent cette position légitime, l’inscrivent dans les cœurs de tant d’entre nous, Juifs. Nous commettons cependant une grave erreur en nous y arrêtant. Qu’une réalité donnée ait été évitable ou non est une chose ; comment y réagir en est une autre, et c’est là toute la différence. Il est certes possible d’observer la réalité israélienne à travers les lunettes familières du récit de l’exil ; mais nous ne sommes plus un peuple en exil, et le don conjoint de la souveraineté et du pouvoir nous confère de nouvelles opportunités et ressources dont nous prévaloir. Ne regardons-nous comme un fragment de la narration exilique que notre seule réalité ? Ou nous voyons-nous encore nous-mêmes comme un prolongement de ce récit ? Telle est la question.

Il serait merveilleux que tous nos conflits aient été résolus à la table de négociations et que l’unilatéralisme apparaisse comme l’affront qu’il est à l’amitié et à un authentique partenariat. Mais hélas, tel ne fut pas notre lot. Dans ces conditions, qu’allons-nous faire maintenant ? Un peuple souverain prend les choses en main ; un peuple souverain se bat pour son destin ; un peuple souverain ne perd jamais espoir, sans pour autant se laisser aller à la naïveté nourrie par ceux qui nient la réalité ou oublient notre passé.

Prenons la résolution palestinienne comme un cas d’école. Elle pourrait être soumise au vote et adoptée à une majorité écrasante ; ou bien être écartée grâce aux efforts de dernière minute de notre allié américain et de nos amis en Europe. Cela n’a plus aucune importance réelle. Il est temps que ce fait pénètre les consciences d’Israël et de ses soutiens. Adoptée ou repoussée, la démarche palestinienne aux Nations unies a mis les réalités de la souveraineté palestinienne versus l’occupation au centre de la scène, et focalisé de nouveau l’attention internationale sur l’état de nos négociations dans un avenir prévisible. À de nombreux égards, si l’on convainc les Palestiniens de reporter leur initiative à plus tard, ce sera au prix de pressions plus lourdes encore sur Israël afin de prévenir des actions unilatérales à la table des négociations.

“Ils“ nous haïssent peut-être vraiment. Mais nous n’avons pas perdu notre habileté à naviguer en eaux dangereuses. Il semble que nous ayons abdiqué toute volonté. Nous paraissons nous satisfaire de nos tentatives de nier que l’accession des Palestiniens à la souveraineté soit inévitable, et de nos efforts pour appeler le public juif à des réunions où nous ne parlons qu’à nous seuls et nous lamentons de l’injustice subie.

Nombre d’implantations n’ont aucun avenir

Il est temps de ranimer la conscience de notre souveraineté et de prendre les rênes. Il est temps de déclarer qu’un État palestinien souverain est également de l’intérêt d’Israël aussi longtemps qu’il s’accompagne de la paix et la sécurité. Il est temps de reconnaître que cet État palestinien exigera de faire des compromis significatifs et même de prendre des risques s’agissant de la notion à laquelle nous aspirons de frontières défendables. Il est temps pour nous d’admettre une fois pour toutes et de déclarer sans ambages que la réalisation de nos droits sur la totalité de la terre d’Israël ne saurait s’accomplir pleinement si nous voulons permettre aux droits des Palestiniens d’être pareillement respectés. Non seulement ne devons-nous pas soupirer après une expansion des implantations, mais il nous faut reconnaître et déclarer que nombre de ces implantations – en particulier celles qui ne sont ni raccordées à Jérusalem ni situées dans l’un des trois blocs d’implantations – n’ont aucun avenir et que l’intérêt politique, moral et judaïque d’Israël consiste à les démanteler.

Disons la vérité, nul ne sait si de telles déclarations ou politiques serviront à quelque chose. Les Palestiniens devront accepter de mettre un terme au conflit et de reconnaître Israël comme la patrie du peuple juif, de combattre la terreur et la haine à la fois dans leurs rues et leurs manuels scolaires, et de remiser une fois pour toutes leurs aspirations au retour dans les frontières d’Israël antérieures à 1967.

Plutôt qu’excuser la passivité, cependant, l’incertitude devrait nous pousser à agir. Reconnaître cela, c’est reconnaître que si de nombreuses choses sont semblables, de nombreuses autres ne le sont pas. Il se peut que nos ennemis n’aient guère changé, mais nous si. Il est temps d’arrêter de dénombrer tous les dénis de justice, d’énumérer les manques d’équité, de répéter à l’envi à qui veut l’entendre que ce n’est pas notre faute. Il est temps pour nous d’assumer la responsabilité de notre destin, un destin pas forcément défini par ce qu’on nous fait subir mais qui sera à l’image de ce que nous voulons être. Il est temps de mettre fin aux gémissements défaitistes et aux interminables péroraisons sur ce qui aurait dû et pu être. Il est temps d’en finir avec les craintes funestes qui nous paralysent pour renouer avec l’Israël réel et souverain, et revendiquer à la table de négociations la place qui nous revient – celle du chef de file.


NOTES

[1] Les intertitres sont de Yedioth A’haronoth.