Il y a quelques années, Amos Oz a dit que pour mettre fin au conflit qui oppose Israéliens et Palestiniens, un accord politique qui résoudrait les questions clés – telles que les frontières entre les deux États, les colonies israéliennes dans les territoires palestiniens, le statut de Jérusalem et les réfugiés – devrait précéder un processus de réconciliation humaine, culturelle, anthropologique entre les parties.
Certes, la solution politique reste une condition nécessaire, indispensable mais est-elle suffisante? En fait, l’articulation entre les deux, solution politique et réconciliation humaine, n’est toujours pas résolue.
L’action des ONG vouées à la coexistence contribuent à entretenir le volet humain qui demeure incontournable.


Traduction : Bernard Bohbot pour LPM
Auteur : Giorgio Gomel pour Confronti magazine, (think tank basé à Rome), 27 juillet 2022 

https://confrontiworld.net/2022/07/israel-and-palestine-conflict-and-coexistence/

Illustration : Tom Nides, ambassadeur des USA en Israël, lors de la rencontre ALLMEP à Jérusalem, le 31 mai 2022 qui a réuni plusieurs centaines de « bâtisseurs de paix » israéliens et palestiniens, en présence de représentants du corps diplomatique et de diverses personnalités.


Il y a quelques années, Amos Oz, le grand écrivain israélien, a dit que pour mettre fin au conflit qui oppose Israéliens et Palestiniens, un accord politique résolvant les questions clés – telles que les frontières entre les deux États, les colonies israéliennes dans les territoires palestiniens, le statut de Jérusalem et les réfugiés – devrait précéder le processus de réconciliation humaine, culturelle, anthropologique entre les parties. En effet, la solution politique était une condition nécessaire.

Le dilemme n’est toujours pas résolu, signe d’un conflit qui demeure toujours aussi lourd. Pour de nombreuses raisons, depuis les accords d’Oslo en 1993 jusqu’aux négociations ultérieures en 2000 à Camp David, en passant par le sommet de Taba en 2001, la conférence d’Annapolis en 2007, jusqu’à la dernière tentative de médiation diplomatique menée par l’administration Obama en 2014, le processus de paix a été constamment interrompu par des flambées répétées de violence terroriste et de guerre (ce mécanisme qui se voulait vertueux  aurait dû pourtant conduire en premier lieu à un accord de paix formel). Finalement, toutes les tentatives de coexistence durables ont échoué.

UNE ALLIANCE POUR LA PAIX

Contre le scepticisme de plusieurs, qui se sont résignés à l’idée que nous sommes face à un conflit insoluble entre des ennemis qui semblent irréductibles – conflit intensifié et dominé par l’hystérie nationaliste et le rejet des revendications de l’autre – l’engagement des associations dédiées à la coexistence reste fort.

Parmi celles-ci, 150 ONG israéliennes et palestiniennes se sont regroupées sous l’égide de l’Alliance pour la paix au Moyen-Orient – dont je préside la section européenne – et ont participé à une réunion de plusieurs jours à Jérusalem. Environ 400 personnes ont écouté les discours de membres actifs de ces ONG, ainsi que d’universitaires, de diplomates et d’experts en la matière. Les activités se sont réparties sur plusieurs sessions consacrées aux jeunes générations, à la condition des femmes dans les conflits, aux outils d’éducation à la paix et aux formes d’action non violente. La rencontre a confirmé le travail persistant, souterrain et souvent ignoré des mouvements de la société civile qui unissent leurs forces dans le but de sensibiliser à la paix et la coexistence dans un certain nombre de domaines importants : santé, environnement, économie, éducation, défense des droits de l’homme et dialogue interreligieux. En voici quelques-uns : Parents’ Circle (forum des familles de victimes de la guerre et du terrorisme), Combatants for Peace, Peres Center for Peace, Givat Haviva, Hand in Hand (écoles bilingues arabo-juives), Kids4Peace, Ecopeace Middle East, Sikkuy, Physicians for Human Rights, Rabbis for Human Rights, Standing Together, Abraham Initiatives et Road to Recovery. Une activité, appelée « people-to-people », vise à surmonter les obstacles psychologiques à la réconciliation et à la paix qui résident dans la perception « déshumanisante » de l’autre, souvent dépeint dans les médias et la rhétorique politique comme un ennemi arrogant et irréductible. Le soutien du reste du monde est crucial dans ce domaine.

Les Etats-Unis ont approuvé un projet de loi important, le Middle East Partnership for Peace Act (MEPPA), qui alloue 250 millions de dollars US sur un horizon de cinq ans, consacrés en partie au développement économique du secteur privé palestinien et en partie à des initiatives « people-to-people ». Les premiers fonds ont déjà été alloués à diverses ONG. L’Alliance pour la paix au Moyen-Orient s’efforce de transformer ce mécanisme en un authentique Fonds international israélo-palestinien pour la paix, sur le modèle du Fonds pour la paix en Irlande du Nord dans les années 1990, avec la contribution financière d’autres pays. La Grande-Bretagne, le Canada, la France, la Hollande, l’Italie et d’autres pays d’Asie et du Moyen-Orient ont exprimé leur intérêt pour ce projet, qui vise à donner naissance à un mécanisme entièrement multilatéral.

Un dénominateur commun qui a inspiré la réunion de Jérusalem, au cours de douze sessions différentes, dans un contexte aussi inquiétant marqué encore récemment par des épisodes de violence brutale entre Israéliens et Palestiniens, est qu’un accord politique ne peut se traduire dans la réalité sur le terrain s’il n’y a pas de processus sous-jacent de réconciliation entre les deux peuples.

Pour les Palestiniens, en particulier, comme l’ont rappelé divers membres de mouvements de base tels que Zimam, Taghyeer et Holy Land Trust, le problème est, d’une part, de renforcer les institutions de la société civile étant donné la faiblesse et le danger de dissolution de l’Autorité palestinienne elle-même, et d’autre part, de résister aux pressions et aux menaces de ceux qui s’opposent à toute forme de coopération avec Israël, y compris avec les ONG. Enfin, des ressources sont nécessaires pour pouvoir transformer les conditions de vie réelles des Palestiniens sous occupation par le biais de l’action non violente : ressources en eau, disponibilité de logements, résistance pacifique à la confiscation des terres et aux expulsions par Israël.

Pour les Israéliens, l’urgence est à la fois la défense d’une démocratie israélienne encore inachevée, et l’opposition au racisme anti-arabe, non seulement de la part des colons vivant dans les colonies, mais aussi dans les villes mixtes d’Israël où Juifs et Arabes vivent ensemble. Selon une enquête récente de l’Institut israélien pour la démocratie, 60 % des Juifs en Israël sont favorables à une séparation physique dans la vie matérielle entre Juifs et Arabes (seuls 20 % de ces derniers la considèrent comme une option souhaitable). Près de 40% pensent que les Arabes ne devraient acquérir des terrains d’habitation que dans les municipalités arabes, et près de 70% sont réticents à entrer physiquement dans les villes arabes du pays. Ces résultats sont bien pires que ceux d’il y a environ un an, avant le déclenchement de la quasi guerre civile entre Juifs et Arabes en mai 2021. De surcroît, ces attitudes sont encore plus prononcées chez les jeunes.

UN STATU QUO SANS PAIX

Sur le plan politique, si un accord n’est pas trouvé sur les frontières, les colonies et le statut de Jérusalem, la notion même de « deux États pour deux peuples » risque de s’évaporer dans le monde onirique du mythe. L’expansion des colonies et des colons israéliens dans les territoires (450 000 en Cisjordanie et plus de 200 000 à Jérusalem-Est), la confiscation de terres appartenant à des entités privées palestiniennes et la démolition de maisons et de structures rendent encore plus difficile la réalisation d’un État palestinien avec contiguïté et souveraineté effective. L’explosion de violence à Jérusalem en 2021, qui s’est répétée (bien que sous une forme moins aiguë ces derniers mois), déclenchée par un conflit de longue date concernant l’expropriation de maisons habitées par des Arabes, appartenant à des Juifs avant 1948, que des mouvements de la droite israélienne revendiquent aujourd’hui et que les tribunaux menacent de mettre en œuvre, démontre la fragilité d’un statu quo sans paix.

Le fait le plus inquiétant de ces journées troubles est l’éruption de la violence tribale à l’intérieur d’Israël entre citoyens arabes et juifs, qui se déroule de manière inhabituelle depuis 1948 : attentats, profanation de lieux de culte, incendies de maisons et d’objets dans de nombreuses villes du pays. Il s’agit d’une menace sérieuse pour la démocratie et la coexistence.

La minorité arabe en Israël (environ 20% de la population) souffre d’inégalités et de discriminations sur le marché du travail, dans l’offre d’éducation et d’infrastructures, mais s’intègre activement dans certains secteurs de la société (santé, universités) et aspire à influencer le cours politique du pays, comme en témoigne la présence d’un parti arabe pour la première fois au gouvernement.

Ces nouveautés sont importantes. Sont-elles permanentes ? Difficile à dire, étant donné la fragilité de la coalition au pouvoir, et le poids prépondérant de la droite politico-religieuse dans le pays.