Compte-rendu de la reunion des amis de Shalom Akhshav du 23/1 (Paris)

Le soutien a Shalom Akhshav dont temoigne l’affluence de ce soir nous fait
chaud au coeur, au moment ou les choses ne vont pas au mieux dans le conflit
entre nous et les Palestiniens, devait declarer Dan Bitan, venu tout expres
de Jerusalem representer le mouvement a ces Assises. Deux cents personnes se
pressaient en effet mercredi 23 janvier dans les locaux du 10 rue Saint
Claude, repondant a l’appel des Amis de Shalom Akhshav en France a definir
ensemble nos projets et modes d’action.


1/ Quelle est la problematique du camp de la paix en Israel ?
Sur le fond, l’equation n’a pas change, pose Dan Bitan : soit deux Etats
(l’un juif, l’autre palestinien) s’eleveront cote a cote, soit un Etat
binational s’imposera de fait, avec une majorite palestinienne d’ici quinze
ans. En tant que sionistes, nous ne pouvons qu’adherer a la premiere
solution ; celle de la droite, qui ne laisse se faire ni paix ni Etat
palestinien, est celle de sionistes qui se suicident. La politique du
gouvernement Sharon, dont certains Travaillistes, mene a la disparition de
l’Etat juif, Etat a majorite juive. A moins d’expulser les Palestiniens de
leurs territoires aussi bien que du notre, ce qui signifierait une autre fin
du sionisme, mouvement d’independance nationale.
La democratie israelienne elle-meme est en jeu. Elle traverse une phase
assez dangereuse, comme on le voit avec la reforme entamee dans les manuels
scolaires et les programmes d’histoire a l’Universite ou l’evolution de
Tsahal, dont les valeurs se perdent.

Le mouvement Shalom Akhshav propose de revenir aux bases suivantes :

 Deux Etats delimites par les frontieres anterieures a la guerre des Six
Jours, ou « Ligne verte », avec des rectifications mineures par echange
reciproque (telles que definies lors des negociations de Taba ;

 Partage de souverainete sur Jerusalem ;

 Compromis de la part des Palestiniens sur le retour des refugies a
l’interieur des frontieres de l’Etat d’Israel.

2/ Pourquoi ces positions passent-elles aujourd’hui si difficilement ?
Peut-etre parce qu’Ehud Barak et Yasser Arafat ne sont pas parvenus a un
accord, alors qu’on se croyait a un doigt de la paix. Dans ce contexte,
l’Intifada d’El Aqsa a reveille les sentiments patriotiques et les vieilles
craintes de la majeure partie de la population israelienne.

La delegitimation croissante de l’Autorite palestinienne en est la
consequence. Le public israelien ne voit pas que son gouvernement n’a pas
pour objectif politique la conclusion d’accords de paix et relance le cycle
terreur-repression chaque fois que l’Autorite palestinienne impose une treve
aux mouvements terroristes. Une grande partie de la presse israelienne en
est de plus en plus consciente et le dit ; mais quand un attentat comme
celui de la rue Yaffo a Jerusalem est commis, il est difficile de se
souvenir des quatre morts qui l’ont precede cote palestinien. Chaque peuple
ne compte que ses propres deuils.

Sans pour autant quitter le gouvernement, Dalia Filosof-Rabin elle-meme
vient de declarer que l’attentat de Hedera etait lie a l’assassinat de Raed
el-Karmi (apres trois semaines sans actes de terreur). Mais comment faire
passer dans l’opinion que le terrorisme n’est pas le seul fait des
mouvements qui en font profession ? Il est aussi des actes de guerre qui
servent un choix politique precis : n’arriver en aucun cas a une paix
susceptible d’etre acceptee par un dirigeant palestinien. Et bien que je
n’eprouve guere de sympathie pour Arafat, qui n’est sans doute pas le
meilleur adversaire avec qui faire la paix, il est le leader reconnu par les
Palestiniens, donc celui avec qui traiter.

3/ La coalition pour la paix
Face a la coalition de fait pour la guerre, une coalition pour la paix se
met en place entre Palestiniens et Israeliens. Les sondages affichent le
meme paradoxe dans les deux societes : 70% des Israeliens soutiennent la
politique de force du gouvernement Sharon, 70 a 80% des Palestiniens
soutiennent l’Intifada et pourtant, de chaque cote, une majorite s’affirme
en faveur d’une solution negociee.

Il appartient a la coalition pour la paix de s’en faire le ciment. Sur les
deux versants de la Ligne verte, les deux camps de la paix travaillent
differemment dans des societes differentes dont ils regroupent des segments
differents, mais ils entretiennent un haut niveau de cooperation. En Israel,
le camp de la paix recouvre le Meretz, une partie du Parti travailliste
autour de Yossi Beilin et Colette Avital, et certains responsables
politiques ou militaires comme Ami Ayalon ont pris publiquement des
positions proches des siennes ; ils cooperent avec des intellectuels et
hauts dirigeants de l’Autorite palestinienne comme Yasser Abed Rabo,
ministre de l’Information, Zyad Abu Zayad, Hanane Ashraoui ou Sari
Nusseibeh, l’actuel president de l’universite Al-Quts de Jerusalem.

Apres que celui-ci ait publie en arabe dans la presse palestinienne un
article pronant l’instauration, sur la base des frontieres de 1967, d’un
Etat palestinien aux cotes de l’Etat d’Israel avec Jerusalem-Est pour
capitale et un statut particulier pour le Mont du Temple moyennant la
renonciation au droit des refugies au retour a l’interieur de la Ligne
verte, sans laquelle rien ne serait possible, sa position au sein de la
societe palestinienne n’a fait que se renforcer. En depit de multiples
attaques et de vifs debats dans la presse, il a recu une semaine plus tard
des mains memes d’Arafat le mandat de commissaire de l’OLP a Jerusalem, en
remplacement de Faycal Husseini ; il fait desormais partie, au meme titre
qu’Abu Mahzen son contradicteur, du premier cercle autour d’Arafat, ceux qui
entrent dans « sa cuisine », comme l’on dit en Israel par analogie a celle de
Golda Meir ou se faisait et se defaisait la politique du pays; il compte,
enfin, au nombre des six ou sept negociateurs en charge des pourparlers avec
Israel.

Un camp de la paix palestinien s’affirme ainsi aux cotes du camp israelien
de la paix; ensemble, nous pouvons travailler dans les deux societes.

Debat :

‘ Les articles critiques de la presse ne sont-ils pas en decalage paradoxal
avec l’opinion publique?

 La presse a longtemps soutenu le gouvernement. Aujourd’hui, quelques
editorialistes disent la verite, mais c’est un debut.

‘ Yasser Abed Rabo et Sari Nusseibeh ne sont-ils pas deux intellectuels
isoles? Le camp de la paix ne se reduit-il pas a quelques individus ?

 Il y a toutes sortes de problemes dans la societe palestinienne, qui n’est
pas une democratie, meme a l’americaine. Pourtant l’espoir demeure que les
choses bougent tres vite, dans cette relation ambivalente d’aversion et
fascination. Les chercheurs palestiniens nourrissent a l’egard d’Israel une
grande admiration ; et il a suffi que la rencontre d’Oslo fasse surgir
l’espoir pour voir les Palestiniens manifester en masse pour la paix. A
Taba, nous etions parvenus a un accord a 90%, avant que tout ne retombe a
Davos deux jours plus tard.

‘ Le camp de la paix, en Israel, ne se divise-t-il pas entre ceux qui ne
croient plus aux chances des negociations, et ceux qui y croient encore ?

 Le camp de la paix est surtout partage entre ceux qui voudraient ne plus
voir les Palestiniens et avaient vote Barak sur ces bases, et les autres.
J’ignore comment on pourrait rendre a Arafat sa credibilite, c’est a lui de
le faire, mais il est aujourd’hui assiege et l’actuel gouvernement israelien
ne le laisserait pas meme venir jusqu’aux studios israeliens de television
pour y faire des propositions de paix.

* N’essaie-t-on pas parfois de tourner la difficulte en negociant avec
d’autres.

 On peut negocier avec d’autres leaders palestiniens, Yossi Beilin le fait,
mais il faut en derniere instance qu’Arafat signe, car il est celui que tous
reconnaissent.
Arafat n’a qu’une part de responsabilite dans l’echec des negociations a
l’ete dernier, l’autre revient a Barak. Quelles que soient ses capacites
intellectuelles, il s’est montre tres mauvais negociateur. En aucun cas il
n’aurait du aller a Camp David dans un tel etat d’impreparation, avec une
base d’accord portant sur 50% des points seulement. Les progres enregistres
en cours de negociation se sont arretes a 90%, laissant des points
d’achoppement encore moins franchissables a la lueur des projecteurs que
dans le secret des cabinets.
Sharon, lui aussi, a sa part de responsabilite, tout comme Shlomo Ben-Ami:
le premier n’aurait pas du aller sur le Mont du Temple ; le second, ne pas
laisser la police l’accompagner en armes apres que d’autres incidents aient
montre qu’elle en ferait usage.

‘ L’Intifada d’El-Aqsa a-t-elle ete une bonne reponse a la mauvaise gestion
de Barak.

 L’Intifada est une mauvaise reponse, de l’aveu meme de certains secteurs
de la societe palestinienne. Sari Nusseibeh, par exemple, propose de lui
substituer la resistance passive. Mais ne pas riposter exige une grande
force interieure, le controle de mouvements divers, et une influence
puissante sur les comportements individuels.

‘ La dependance extreme de l’economie palestinienne par rapport a
l’israelienne n’est-elle pas un facteur de blocage, poussant au desespoir et
a la terreur ?

 En effet, mais rien d’autre n’est possible. Meme les infrastructures
construites par l’Europe ont ete detruites.

‘ N’y a-t-il pas eu une sous-estimation de l’extension des implantations,
les Palestiniens se rendant finalement compte que leur Etat etait morcele ?

 Oui, d’une certaine facon tout le monde retenait son souffle en attendant
la paix, qui semblait au coin de la rue. L’affrontement avec les colons
etait pour plus tard, lors du retrait…
Cela dit, Shalom Akhshav dispose depuis longtemps d’un groupe de
surveillance des implantations qui fait regulierement le point, dresse des
cartes, etablit des statistiques demographiques.
Le peu de soutien de l’opinion israelienne aux implantations constitue l’un
des points faibles du gouvernement Sharon : peu d’Israeliens sont prets a se
battre pour rester a Naplouse ou meme Hebron, sans parler de Gaza. Il nous
appartient d’en tenir compte en elaborant notre strategie. Notre slogan est
desormais : « Quittons ces Territoires qui nous corrompent. »

‘ Des lors que les Etats-Unis se refusent a jouer leur role, ne faut-il pas
se battre pour qu’une force d’interposition vienne sur le terrain ?

 Le laissez-faire des Etats-Unis et la faible puissance de l’Europe sur la
scene internationale laissent le camp de la paix assez demuni. Alors, oui,
nous reclamons la mise en place d’une force d’interposition.

‘ Quels sont vos modes d’action ? En envisagez-vous de nouveaux?

 Ecrire, ecrire, ecrire. Nous appelons tous les ecrivains proches du camp
de la paix, romanciers, essayistes ou journalistes a prendre la plume. Il
faut creer un courant d’opinion, et renverser la tendance actuelle au
repliement sur la mefiance et la peur.
La coalition avec le camp palestinien de la paix joue de ce point de vue un
role important : il s’agit de prouver aux Israeliens qu’il y a, par-dela
l’ambivalence d’Arafat, des Palestiniens avec qui agir pour la paix. Les
rencontres regulieres entre intellectuels des deux peuples au New Imperial
Hotel, le centre dont Sari Nusseibeh dispose en Vieille Ville, en sont un
exemple : la s’elabore la « Campagne pour la paix des peuples israelien et
palestinien ».

Que faire en France ?

Cela fait vingt ans que nous menons dans la communaute des activites en
faveur de la paix, rappelle David Chemla ouvrant la seconde partie de ces
Assises, que nous essayons de faire connaitre Shalom Akhshav, de soutenir
ses efforts et de les relayer ici. Sur la base de vos reponses au
questionnaire que nous faisons circuler depuis quelques semaines, nous avons
voulu ce soir partager nos reflexions et elaborer ensemble les actions a
venir.

Gerard Eizenberg, chaleureusement remercie d’animer a Paris la liste de
courrier electronique des Amis de Shalom Akhshav, propose une synthese des
reponses aux questions lancees sur le reseau : Qu’attendez-vous de Shalom
Akhshav ? Que pouvons-nous faire ici?
Le taux de reponse temoigne a lui seul d’une forte attente : parmi les
quatre cents personnes inscrites sur cette liste, une quarantaine ont
repondu, souvent de facon precise et argumentee, et affirme combien elles se
sentent concernees. On trouve dans ce courrier :
‘ la demande d’une information plus large sur le Proche-Orient ;
‘ une volonte de visibilite dans les medias ;
‘ la proposition de rencontres multiformes – avec les beurs et les instances
musulmanes en France, avec d’autres mouvements, petits ou grands, au sein de
la communaute. Il s’agit, d’une maniere generale, de faire converger les
volontes.

Avant que le debat ne s’ouvre et comme a la charniere des mondes, un
etudiant de Gaza, de passage en France apres quelques mois de seminaire en
Israel au sein d’un kibboutz, souhaite nous apporter le message de ses amis
tant israeliens que palestiniens. Les premiers attendent aujourd’hui
anxieusement de pouvoir vivre en securite, les seconds en paix et dans des
conditions economiques decentes. S’il a choisi ce soir de participer a notre
reunion, c’est que les manifestations de Shalom Akhshav, en 1982, ont ete si
determinantes. Au nom de ses amis des deux cotes, il a voulu temoigner et
nous encourager a agir.

Le debat s’engage ensuite suivant les trois axes cites : l’information, les
medias, les relations dans la communaute et en dehors.

Alors que Marc Lefevre evoque Internet comme moyen privilegie de faire
circuler l’information, des temoignages et des debats, voire nos formulaires
d’adhesion et demandes de cotisation, plusieurs propositions se font
entendre visant a elargir notre reseau d’abonnes au courrier electronique de
La Paix Maintenant : tout cela demande du travail mais peut se faire sans
signatures celebres, a la difference de la moindre mention dans la presse
ecrite. Il faut coordonner tout cela, federer les energies.

Dov Puder s’interroge cependant : Voulons-nous seulement informer? La
communaute commet une erreur tres grave en ne parlant qu’information et
desinformation. Cela nous mene a ne jamais traiter des problemes de la
societe francaise ainsi que Dan vient de le faire pour la societe
israelienne, ou 25% de l’opinion publique ont bascule apres l’echec de Camp
David alors qu’une majorite se dessinait jusque la en faveur d’une paix
negociee.
Le meme phenomene s’est produit ici. L’urgence est de reconquerir une partie
du public. Il nous faut atteindre le second cercle, l’ensemble de la
mouvance humaniste, tous ceux qui veulent un accord de principe sans
toujours savoir quels sont les points precis qu’il recouvre. Cela suppose de
laisser parler les gens, pas seulement de repercuter l’information au sein
d’une liste forcement limitee. Ecouter, c’est aussi faire de la politique,
dit-il, insistant en conclusion sur la necessite de lutter contre toute
importation du conflit israelo-palestinien sur le terrain francais.

Une benevole d’Education sans frontieres exprime la conviction partagee par
un groupe femmes israeliennes et palestiniennes que c’est dans le monde de
l’education qu’il importe d’agir. Il faut aider a faire savoir qu’une
cooperation s’est mise entre elles en place dans des centres ou de jeunes
Arabes apprennent l’hebreu et vice-versa.

La journaliste a l’initiative de laquelle un groupe d’artistes juifs et
arabes viennent de tenir une rencontre surmediatisee, evoque cet evenement
qui fait la Une du jour. Des reactions parfois vives se font entendre dans
l’assistance, preoccupee par le cote unilateral des propos tenus.

Annie Dayan, de longue date engagee dans le dialogue entre intellectuels
juifs et arabes en France, estime qu’il faut en prealable exiger de ces
derniers des prises de positions claires dans leur communaute : On
n’incendie pas les synagogues !
Toujours au chapitre des relations intra et extra communautaires, elle nous
propose de trouver un espace de parole au sein de la communaute juive, puis
de travailler a faire entendre notre voix dans la societe francaise : il
nous revient d’informer l’ensemble de l’opinion francaise, et en particulier
la gauche, que le camp de la paix israelien ne se reduit pas a quelques
groupes radicaux.

Marc et David font en conclusion un appel a contributions ecrites, dans le
souci d’apporter au debat d’idees communautaires et dans les medias une
critique qui ne diabolise pas : Comme Dan le disait, il s’agit d’ecrire,
temoigner, dire et expliquer encore et encore.
Ils annoncent, en parallele avec l’elaboration de prises de position bientot
rendues publiques par Shalom Akhshav en Israel, la preparation ici d’un
manifeste qui sera diffuse par courrier electronique (et classique en cas de
besoin).