Haaretz, 21 février 2002

sur le site d’Haaretz

Trad. : Gérard Eizenberg pourLa Paix Maintenant


Il est certain que si la carte qu’on peut voir sur cette page (pour voir la carte, suivre le lien ci-dessus, ndt) avait ete soumise a la censure militaire, elle n’aurait pas ete publiee. Comment un journal israelien peut-il donner aux Palestiniens les coordonnees de tous les points de controle en Cisjordanie et dans la bande de Gaza? La carte pourrait alors servir de « banque de cibles » pour l’ennemi. Mais dans le cas present, on peut rassurer la censure. La carte a ete preparee par l’equipe du ministere de la Planification et de la Cooperation de l’Autorite palestinienne. Et elle est destinee a soutenir leur effort diplomatique, et non servir a des fins militaires.

La question de savoir si les points de controle sont une aide ou une gene ne
depend pas de leur nombre, mais de la facon dont ils sont deployes. Supposons que Mustafa, originaire d’un village pres de Jenine, un homme pacifique depuis l’enfance, s’est debrouille pour obtenir la permission des autorites israeliennes d’assister au mariage de sa fille a Hebron. En temps normal, ce voyage d’une centaine de kilometres n’aurait pas pris plus de deux heures. Mais depuis septembre 2000, si Mustafa devait quitter son domicile a 6 heures du matin, il arriverait a Hebron vers 20h00, avec de la chance.

Pas moins de 24 points de controle permanents bloquent le chemin de Jenine a
Hebron, sans compter les barrages surprises, et les nombreuses tranchees
creusees en travers de la route pour empecher les vehicules de circuler. Et ces jours-ci, il est tres difficile de trouver un village de Cisjordanie dont les habitants ont le droit de circuler librement.

L’image qui se degage de la carte montre que la plupart des points de controle sons situes profondement en territoire palestinien, decoupant la zone en petites parcelles. Il apparait que le role des soldats postes aux points de controle consiste essentiellement a defendre les colonies et les colons qui vivent en-dehors de l’Etat d’Israel. Cela est d’autant plus frappant quand on compare la position des points de controle a celle d’avant l’intifada, pour l’essentiel le long de la ligne Verte, ce qui prouve bien que le role des soldats etait alors de limiter le risque des infiltrations terroristes en Israel.

Mais une autre impression se degage aussi a l’examen de la carte : si le
deploiement des points de controle rend la vie difficile aux Palestiniens pacifiques, il la rend egalement difficile a ceux qui veulent frapper les Israeliens pacifiques. Le chef d’etat-major Shaul Mofaz se targue souvent d’avoir prevu le soulevement, et ainsi d’avoir dispose d’assez de temps et d’argent pour se preparer. Cette preparation, dit-il, consistait surtout en la construction de fortifications et de points de controle.

Mais depuis quelques mois, des officiels de l’establishment militaire israelien, ainsi que des Americains, considerent que les points de controle font plus de mal que de bien. Ils sont devenus le symbole de l’occupation, qui rappellent quotidiennement qui est le maitre de la terre, et qui sont les sujets. Il n’existe aucun Palestinien pour qui le mot de point de controle (et ils le connaissent en hebreu, « mahsom ») n’est pas associe a la rage et a la haine. Il est impossible de connaitre le nombre de bebes nes dans les queues sans fin vers les points de controle les plus proches. Les seuls visages israeliens qu’ils connaissent sont ceux des jeunes soldats fatigues et enerves aux barrages militaires.

Neanmoins, l’echelon militaire n’a jamais fait pression sur le gouvernement pour imaginer des alternatives. D’un autre cote, ni Ariel Sharon, ni les membres de son cabinet appartenant au « camp de la paix », Shimon Peres et Benjamin Ben-Eliezer, n’ont reclame l’evaluation de la technique des checkpoints.

Seul le ministre du Developpement Regional, Roni Milo, a suggere qu’Israel
examinerait la proposition (soufflee par Washington) d’apprendre de la conduite de la guerre par les Americains en Afghanistan : envoyer l’armee contre les salopards, et parachuter des vivres aux civils.

Jusqu’a hier, il n’y avait aucun signe que quelqu’un ait jamais fait le rapprochement entre les barrages et les attentats. Des Palestiniens, qui
avaient recu l’autorisation de faire passer 19 camions charges d’equipements
scolaires destines a une ecole elementaire de Rafah (Bande de Gaza, ndt) se
sont vus refoules par les soldats du point de controle de Gush Katif. Les efforts de l’organisation humanitaire B’Tselem dans cette affaire n’ont servi a rien. On aimerait savoir ce que les enfants qui doivent faire chaque jour 6 kilometres a pied pour aller a l’ecole pensent de leurs voisins juifs.

Bingo a Miami, feu a Jerusalem

Alors qu’il nous semble avoir deja entendu tout ce que les politiciens sont prets a dire ou a faire au nom de la « guerre contre la terreur », quelqu’un nous a reserve une surprise. Apres que la Knesset eut debattu d’une loi destinee a encourager les Arabes a quitter le pays, et que le ministre du Tourisme Benny Ellon ait propose de tuer les membres des familles des terroristes, il semble que le temps soit venu pour certains de se faire un peu d’argent.

Entre les lignes du plan recent de dedommagement aux commercants de
Jerusalem-centre et de la « couture » le long de la Ligne Verte, il y a une belle petite bombe a retardement qui fera tres plaisir au roi du jeu de bingo Irving Moscowitz, ami d’Ariel Sharon et du maire de Jerusalem, Ehoud Olmert, mais dont le resultat sera la « hebronisation » de Jerusalem Est.

« Il y a eu 10 attentats terroristes a Jerusalem depuis mai, 29 personnes sont mortes, et plus de 450 ont ete blessees », dit un document preparatoire a un prochain debat au sein du gouvernement. Et, en effet, a la suite de la derniere vague d’attentats, Sharon et Olmert ont promis de dedommager les commercants et les habitants de la « couture », l’ancienne Ligne Verte qui divisait la ville entre 1948 et 1967. Le plan, nomme « Renforcer Jerusalem – aide speciale au centre ville », parle d’une subvention de 50 millions de shekels cette annee, et d’une reduction d’impots locaux de 50%. Il y a aussi un article proposant que chaque habitant de Jerusalem gagnant moins de 18.500 shekels bruts par mois, beneficie d’un credit d’impot de 2% (comme les habitants de Maale Adumim et de Givat Zeev, les banlieues Est et Nord de Jerusalem, situees dans les territoires). De plus, la proposition obligerait les ministres du gouvernement a tenir leurs reunions et leurs congres a Jerusalem.

Mais, caché dans l’article 5, le dernier du document, prepare par les ministres concernes avec l’aide de la municipalite de Jerusalem, se trouve la bombe a retardement pour Moscowitz, et le danger pour la ville. « Pour encourager le marche de l’immobilier a Jerusalem, ainsi que le plan prets et hypotheques (connu sous le nom de plan Sharansky, d’apres le nom du ministre du Logement, Nathan Sharansky), le plan comprendra un pret « de localisation » de 100.000 shekels pour les acquereurs d’appartements a Har Homa, Pisgat Zeev et Maale Hazeitim. Si les accquereurs s’engagent a habiter l’appartement pendant cinq ans, la moitie du pret sera transformee en subvention ».

Il serait interessant de conduire un sondage pour savoir combien de ministres savent que Maale Hazeitim est le nom hebreu choisi pour un quartier juif de 119 appartements situes au coeur de Ras el Amud, un quartier arabe de Jerusalem Est de 11.000 habitants. Combien d’entre eux savent-ils qu’il s’agit d’un projet de construction appartenant en propre a Moscowitz, ancien medecin gagnant aujourd’hui sa vie avec le bingo aux Etats-Unis, tout en jouant avec le feu a Jerusalem? Qui sait que dès avril, 52 appartements seront deja occupes? En d’autres termes, des citoyens israeliens, dont des habitants d’une Jerusalem epuisee par la terreur, donneront leur argent a un millionaire vivant a Miami Beach.

Ce ne seront pas des militants de la paix qui s’installeront dans le nouveau
quartier juif construit par Moscowitz, invite d’honneur a l’inauguration du tunnel en septembre 1996, une ceremonie qui s’est terminee par la mort de 16 soldats israeliens. Mais une copie de la proposition « Renforcer Jerusalem » est tombee entre les mains du militant pour la paix Danny Zeidman.

Dans une lettre adressee a Ariel Sharon hier, Zeidman ecrit qu’encourager les gens a s’installer a Har Homa et Ras el Amud « n’aide pas les habitants de la zone de la couture, au contraire, puisque les deux quartiers creeront d’autres coutures ». Ras el Amud, ecrit Zeidman, sera une enclave d’extreme-droite au coeur d’un quartier palestinien. Hebron en modele reduit.