La majorité Trump positionne Israël comme l’État le plus rouge de l’Union et comme image miroir des évangéliques chrétiens.


Traduction : Jacqueline London pour LPM

Auteur : Chemi Shalev, le 16 octobre 2020, pour Haaretz

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Photo : Un manifestant israélien anti-gouvernement dresse le drapeau national face à un grand panneau représentant Donald Trump et son épouse Mélanie, Tel Aviv, 3 octobre 2020. © JACK GUEZ – AFP

Mis en ligne le 30 octobre 2020 


Lorsque Donald Trump a déclaré l’été dernier qu’il obtiendrait 98 pour cent des voix s’il se présentait aux élections israéliennes, personne ne l’a pris au sérieux, mais c’était aussi vrai pour son affirmation selon laquelle il pourrait tirer sur quelqu’un sur la Cinquième Avenue et que ses fans l’adoreraient toujours autant. Il l’a prouvé au-delà de tout doute, et il n’était pas loin de la vérité sur le premier point. On peut se demander comment Trump pourrait s’en tirer face à Benjamin Netanyahu, mais il gagnerait certainement sur Joe Biden si les élections américaines avaient lieu en Israël aujourd’hui.

Une enquête d’opinion publique publiée cette semaine par le Mitvim (Institute for Regional Foreign Policy) et réalisée par le sondeur Rafi Smith a révélé que 50 pour cent des Israéliens souhaitent que Donald Trump remporte les élections du 3 novembre, contre seulement 21 pour cent qui préfèrent Joe Biden. Si l’on exclut les indécis, Trump écraserait Joe Biden par un énorme 70-30%.

Ces 70 % de Trump ferait d’Israël l’Etat le plus rouge de l’Union devant, si l’on considère les résultats de 2016, l’Etat de West Virginia (68.5% en faveur de Trump) et le Wyoming (67.4%). Dans le collège électoral, Israël ne serait dépassé que par les 73.% du Nebraska, le troisième district du Congrès, qui a son propre délégué et qui a élu un démocrate en 1959.

De façon révélatrice et symbolique, le vote israélien à 70-30 pour Trump est précisément à l’opposé du vote juif américain pour Biden 70-27, ainsi que le montre le sondage Pew Research publié plus tôt ce mois-ci. Les deux communautés pourraient être décrites comme le portrait craché l’une de l’autre, si ce n’était que la marge de 70-30 de Trump inclut tous les Israéliens; parmi les seuls Israéliens juifs, Trump bat Biden 77-23. Le résultat déséquilibré ne peut que troubler la majorité libérale des Juifs américains et ravir la minorité conservatrice-religieuse qui adore Trump.

Les comparaisons, il convient de le noter, sont imparfaites. Il y a un monde de différence entre les deux communautés. Les Israéliens qui ne sont pas citoyens américains considèrent Trump principalement, mais non exclusivement, à travers le prisme étroit de ses politiques apparemment pro-israéliennes. Pour la plupart, sinon pour tous les Juifs des États-Unis, y compris les fervents partisans d’Israël, les préoccupations intérieures passent naturellement en premier. Néanmoins, les statistiques ne mentent pas. Dans ce cas, elles montrent l’essence des relations troublées entre les Juifs israéliens et américains, comment et pourquoi les deux communautés se sont tellement éloignées l’une de l’autre au cours de la dernière décennie, lors du premier mandat de Trump et du second de Barack Obama. Ceci est la conséquence directe des relations américano-israéliennes ainsi que de la politique globale si polarisée qui prévaut dans les deux pays. Ces statistiques mettent également en évidence la dérive vers la droite de l’opinion publique israélienne par opposition aux penchants libéraux solides de la plupart des Juifs américains.

Biden est considéré par la plupart des Israéliens comme une extension d’Obama, qui a été totalement et avec succès diabolisé par Netanyahu et la droite israélienne pour son accord nucléaire avec l’Iran et son soutien à la solution à deux États entre Israël et les Palestiniens. Trump, d’autre part, a été adulé pour ses liens soi-disant étroits avec Netanyahu, ainsi que pour le déménagement de l’Ambassade des Etats- Unis à Jérusalem, la souveraineté d’Israël sur le plateau du Golan, l’abandon de l’accord d’Obama sur l’Iran et les récents accords de normalisation avec les Émirats Arabes Unis.

Le 45e Président, considéré par la plupart des Juifs américains comme le pire de leur vie, est jugé par la majorité des Israéliens comme le meilleur. Beaucoup d’Israéliens ne comprennent pas ou n’acceptent pas l’opposition juive américaine à Trump, y voyant une indication de la diminution du soutien à Israël. Les libéraux juifs américains sont également consternés par l’adhésion d’Israël à Trump, y voyant une répudiation des « valeurs partagées » que les deux parties ont autrefois présentées comme la base du lien entre les deux pays. Dans une atmosphère polarisée, dans laquelle vous êtes « soit pour nous, soit contre nous », sans intermédiaire entre les deux, les Juifs américains associent Israël à un président et à une vision du monde qu’ils détestent, et vice versa.

Le fossé profond se reflète également dans le fait que le seul groupe démographique américain qui soit dans la même stratosphère de la Trump-mania qu’Israël est – vous l’avez deviné –  celui des évangéliques chrétiens, qui préfèrent Trump à Biden (78% contre 17% selon le sondage Pew). La similitude statistique frappante montre le bouleversement dramatique dans les liens américano-israéliens au cours des quatre dernières années, dans lequel les évangéliques ont supplanté l’establishment juif américain et émergé comme la base la plus fiable de Netanyahu du soutien et du lobby pro-israélien à Washington. Ce même lien a encore aliéné les Juifs américains, dont la plupart se méfient des évangéliques et les considèrent comme une menace directe pour leurs libertés religieuses.

Mais même les évangéliques ne sont que des fans tièdes de Trump par rapport aux Juifs orthodoxes des États-Unis, qui préfèrent Trump, par une énorme majorité de 83% contre 13%, selon un sondage publié par le magazine juif Ami cette semaine. Les juifs américains orthodoxes, à leur tour, sont des libéraux enflammés par rapport à leurs homologues en Israël. Selon le sondage Mitvim, parmi les Juifs israéliens qui se décrivent comme religieux, 77 % préfèrent Trump et seulement 1 % soutient Biden, et ce n’est pas une faute de frappe. Parmi les électeurs du Likoud, le résultat est tout aussi déséquilibré et spectaculaire, 80 % pour Trump et 2 % – encore une fois, pas de faute de frappe – pour Biden. La seule population israélienne dans laquelle Biden sort en tête est auto-déclarée formée de gauchistes et de centre-gauche, qui le préfèrent à Trump par une majorité de 62% contre 18%, mais ils sont, bien sûr, une minorité distincte.

La seule consolation pour les Juifs américains libéraux est que les chiffres puissent changer radicalement si Biden l’emporte le 3 novembre et que les Israéliens se rendent progressivement compte que le nouveau Président est beaucoup plus amical qu’ils ne le croyaient. Si Trump remporte une autre victoire sensationnelle, cependant, les deux communautés seront comme deux navires qui se sont croisés dans la nuit il y a longtemps et sont maintenant, tragiquement et irrévocablement, séparés par des océans.