La conférence de Bahreïn n’est pas encore commencée au moment où ces lignes sont écrites que son échec est d’ores et déjà annoncé. Enterrée avant même d’être née. Pourtant le projet tel qu’il vient d’être dévoilé par la Maison Blanche dans un document d’une quarantaine de pages pouvait sembler alléchant. Divisé en trois parties principales – maximiser le potentiel économiques palestinien, créer un million d’emplois, réduire de moitié le niveau de pauvreté – ce volet économique a pour ambition de mobiliser en 10 ans quelques 50 milliards de dollars.

On sait que le volet politique ne sera présenté qu’ultérieurement, le moment venu et pas avant les élections israéliennes du 17 septembre. C’est là sans doute que le bât blesse…même si on ne sait pas encore ce qui ressortira de la rencontre, ce sur quoi Dov Zerah interviendra le 1er juillet (cf. agenda).

Trump, businessman avant que d’être politicien, croit qu’au Moyen-Orient comme ailleurs, l’arme économique est déterminante. L’infrastructure l’emporterait sur le fusil. Pourtant si on revient sur les précédents accords entre Israël et les Arabes, on ne peut que constater que les questions nationales et politiques ont toujours joué un rôle plus important que les aspects économiques qui ne sont au mieux que des dividendes de l’accord politique.

Dans le cadre du traité avec l’Égypte (26 mars 1979), dont l’enjeu était le retrait israélien des forces militaires et des implantations civiles (notamment Yamit et Taba) du Sinaï occupées par Israël en 1967, le volet économique n’a pratiquement pas été appliqué. La paix est restée « froide » et le fondement de la coopération, 40 ans après, malgré les vicissitudes, reste la dimension sécuritaire et l’implication américaine dans la pérennisation du traité.

S’agissant des accords d’Oslo, le volet économique, que formalise le protocole de Paris du 29 avril 1994 s’est trouvé minoré par rapport aux aspects politico-territoriaux et à l’instauration de l’Autorité palestinienne.

L’accord avec la Jordanie (26 octobre 1994) reste sans doute une exception, probablement car l’enjeu territorial était marginal. La dimension économique a été d’autant plus significative que les États-Unis s’étaient engagés à annuler les dettes du royaume jordanien, ce qui a été une nouvelle incitation économique pour la Jordanie à parvenir à un règlement avec Israël. Les experts de l’INSS (Institute for National Security Studies) s’accordent à considérer que « … le traité n’aurait apparemment pas été possible s’il avait été signé dans le seul cadre économique. Le but principal du roi Hussein était de s’affranchir de toute responsabilité vis-à-vis de la question palestinienne et il a exploité le climat politique relativement favorable créé par les accords d’Oslo. La plupart des grands projets de coopération économique entre Israël et la Jordanie n’ont été mis en œuvre – ou très partiellement- au cours du quart de siècle de paix. Comme dans le cas de la paix avec l’Égypte, la coopération en matière de défense entre les pays constitue le fondement principal de cette paix. »

Cette revue succincte des accords passés et l’état des relations tant entre les Palestiniens eux-mêmes qu’entre Israël et les Palestiniens attestent que l’ampleur des investissements envisagés ne saurait en aucun cas constituer la clé de résolution de ce conflit au long cours.

En ce sens Mahmoud Abbas a raison lorsqu’il déclare : « Nous ne pouvons accepter la transformation de la question politique en question économique » et il convient de souligner que, même affaiblis comme ils ne l’ont jamais été, les Palestiniens ont réussi à empêcher la tenue d’un sommet ministériel israélo-arabo-américain et ce, malgré une menace iranienne perçue par l’ensemble des participants potentiels. Ainsi il s’avère une fois de plus que cette menace reste insuffisante en l’état actuel pour se substituer à une résolution politique du conflit israélo-palestinien.

Le refus palestinien, loin d’être infondé, est-il judicieux face aux desseins d’un Trump plus offensif, voire agressif -du moins son entourage- que Netanyahu lui-même ?
Les cris de joie des uns, le cynisme désabusé des autres ne sauraient nous satisfaire et on est en droit de s’interroger. S’agira-t-il d’une victoire à la Pyrrhus, ouvrant la voie à une annexion partielle des territoires, à un report supplémentaire d’une avancée dans la solution de ce conflit dont le coût, non seulement économique, est lourd pour les populations de part et d’autre ?

Ilan Rozenkier

28 juin 2019