article en anglais sur le site d’Haaretz

Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


A l’oeuvre dans les coulisses, depuis des mois, un groupe s’est révélé être une force essentielle qui travaille à stopper les attentats terroristes contre les Israéliens : les Palestiniens qu’Israël détient pour terrorisme.

Cette semaine, alors que prend effet dans la bande de Gaza un moratoire sur les attentats palestiniens contre les Israéliens (y compris les soldats et les colons), tendu, bancal, mais somme toute bien reçu, Al Hayat al Jedidah, organe officiel de l’Autorité palestinienne, consacrait sa une à la diplomatie des prisons, et à des Palestiniens détenus en ce moment derrière des barreaux israéliens :

« Marwan Barghouti, : l’architecte de l’intifada, est aussi celui qui a permis la hudna (cessez-le-feu provisoire) ».

Depuis des dizaines d’années, des Palestiniens importants constatent avec un
humour mordant qu’ils ont obtenu leurs diplômes universitaires en science
politique, en sociologie, en histoire du judaïsme ou en hébreu, dans des
institutions comme l' »université de Ketziot », rude camp de détention désertique qui a abrité pendant des années des milliers de militants suspects.

De nombreux « diplômés » poursuivirent leur carrière et occupèrent des
positions de premier plan au sein de l’Autorité palestinienne quand celle-ci
fut créée au milieu des années 90, comme Mohammed Dahlan et Jibril Rajoub,
commandants des services de sécurité préventive, chargés plus particulièrement de contrer les attentats terroristes contre les Israéliens.

Les analystes ont décelé chez de nombreux « diplomés » un pragmatisme marqué
et une indépendance de vues, qui s’expriment dans les débats au sein des
organisations palestiniennes sur les objectifs et l’efficacité possible d’un passage, même temporaire, du combat armé à des négociatons organisées par
des médiateurs internationaux.

Aujourd’hui, la pression exercée par les prisonniers, qui jouissent d’une
crédibilité sans pareille aux yeux de la rue palestinienne, a joué un grand
rôle dans la promulgation de la hudna.

« Le processus de la hudna s’est déroulé sur trois plans : il y a eu les
négociations entre Abou Mazen et les organisations palestiniennes, les
négociations entre Barghouti et ces mêmes organisations, et il y a eu les
conversations entre différents groupes de détenus, dans leurs prisons », dit
Danny Rubisntein, spécialiste à Haaretz des affaires arabes.

« Les prisonniers sont considérés comme l’avant-garde des différents
mouvements palestiniens, et sans leur imprimatur, rien ne peut avancer. Ce n’est pas par hasard que l’une des conditions de la hudna est la libération de prisonniers. »

L’influence des prisonniers est telle qu’elle a été reconnue indirectement par Israël, qui a pris bien soin de se dissocier de tout lien legal ou formel de la hudna déclaree par les groupes palestiniens sur ordre de l’Autorité palestinienne.

Frappant par un ton plus conciliant que d’habitude, le coordinateur politique israélien pour les territoires a indiqué jeudi qu’une libération de prisonniers représenterait l’un des points importants des concessions prévues par Israël dans le cadre du processus de paix à venir. « La libération de prisonniers est très importante pour l’Autorité palestinienne, pour son prestige aux yeux de l’opinion », dit le général Amos Gilad. « Israël a intérêt à renforcer les forces positives, les forces de paix, et est donc prêt à étudier la manière dont il pourrait rendre la vie plus facile de l’autre côté. »

Gilad dit que le nombre de prisonniers libérés dépendra des développements
des fragiles efforts de paix. Si le calme revient, si l’Autorité palestinienne fait des efforts sincères pour vaincre le terrorisme, et si le processus de paix marque des progrès, dit Gilad, Israël « l’exprimera de facon appropriée » concernant la libération de prisonniers.

La trêve a de nouveau attiré l’attention sur Marwan Barghouti, au sujet duquel un haut représentant palestinien dit, en ne plaisantant qu’à moitié : « Il se peut que son arrestation, son emprisonnement et son procès aient sauvé la vie de Marwan. Peut-être était-ce la meilleure façon pour lui d’être protégé d’une tentative d’assassinat par Israël. »

De fait, en août 2001, Barghouti n’a echappé que de peu à la mort, quand deux missiles, tirés apparemment depuis la région de Ramallah, ont atterri près de sa voiture.

Un an plus tard, Barghouti était jugé pour meurtre, tentative de meurtre et complicité avec des organisations terroristes. Pour Israël, Barghouti est impliqué dans 37 attentats terroristes sur une période de deux ans, et a orchestré des opérations ayant fait au moins 26 victimes juives.

Avec la connaissance intime de l’ennemi qui caracterise les prisonniers vétérans, Barghouti, quand on lui demanda comment il se sentait alors que son procès débutait, répondit « baroukh hashem », terme hébreu pour « Dieu soit loué ».

Barghouti a été pendant longtemps l’un des idéologues les plus en pointe du
soulèvement, et lancé des mots d’ordre de violence : « nous avons essayé sept
ans d’intifada sans négociations, puis sept ans de négociations sans intifada, il est peut-être temps d’essayer les deux en même temps. »

Depuis un an, cependant, Barghouti et ses camarades prisonniers peuvent être
crédités de la part du lion dans les tentatives pour stopper la violence.

Il est certain que Marwan Barghouti n’est pas un pacifiste, ni un disciple de Gandhi. Dans un article au Washington Post, l’année dernière, Barghouti écrivait : « Israël n’aura de sécurité qu’après la fin de l’occupation, et pas avant. »

En général, on le considère comme le dirigeant pour la Cisjordanie du Tanzim, la jeune garde armée du Fatah qui a fonctionné comme la milice la plus importante pendant l’intifada. Mais Barghouti a toujours défendu l’idée de deux Etats, où Israël et une Palestine indépendante en Cisjordanie et dans la bande de Gaza coexisteraient côte à côte dans des relations de voisinage normalisées.

« Pendant six ans, je me suis morfondu dans les geôles israéliennes, comme
prisonnier politique. j’ai ete torturé, on m’a pendu, un bandeau sur les yeux, alors qu’un Israélien me frappait les parties génitales avec un bâton », écrivait Barghouti à propos de sa détention, qui se termina par une déportation vers la Jordanie.

« Mais depuis 1994, quand j’ai cru qu’Israël était sérieux dans son intention de mettre fin à l’occupation, je suis un avocat infatigable d’une paix fondée sur la justice et l’équité. »

La seule unanimité qui, peut-être, se dégage au sujet de Barghouti, c’est qu’il est passé maître dans l’art des relations publiques trans-culturelles et trilingues, comme le montre l’invitation lancée à Nelson Mandela d’assister à son procès.

Quoi qu’il en soit, le rôle de Barghouti dans la hudna a fait faire un bond en avant à ce dirigeant du Fatah de 44 ans, dont on dit qu’il pourrait être le successeur d’un Arafat septuagénaire, et qui figure en deuxième position dans les sondages palestiniens, juste après le président de l’Autorité palestinienne.

« C’est un acteur important, pour aujourd’hui et pour demain », dit la députée
palestinienne Hanane Ashrawi. « Son action au cours des récentes négociations
ont beaucoup renforcé sa position, auprès des Israéliens comme des
Palestiniens. »

En fait, suggère Yossi Sarid, ancien dirigeant du parti de gauche Meretz, cité par Associated Press, Israël etait au courant de ses tentatives, depuis sa prison, de bâtir une trêve avec les hauts responsables du Hamas et du Jihad islamique, et l’ont laissa faire, peut-être intentionnellement.

Officiellement, les collaborateurs d’Ariel Sharon maintiennent que Barghouti est un « criminel de guerre » drappa dans des habits de saint, et qu’il ne verra plus jamais la lumieère du jour. Ignorant les informations selon lesquelles il pourrait être libéré dans le cadre d’un accord futur, ils disent que leur seule intention est de poursuivre la procédure contre Barghouti.

Mais Yossi Sarid n’en est pas certain, et évoque ouvertement « l’éventualité d’une sorte de coordination entre le gouvernement israélien et Barghouti pour renforcer sa position. »