[article en anglais sur le site d’Haaretz->
http://www.haaretz.com/hasen/pages/ShArt.jhtml?itemNo=312761]

Trad. : Gérard Eizenberg


Par nature, les medias n’aiment pas les reportages de routine, et les confrontations sanglantes de l’intifada en fournissent de nombreux exemples.
Dans la presse israelienne, les attentats terroristes beneficient d’une large couverture, mais il est rare, par exemple, de trouver des reportages sur les hotels de bord de mer qui restent vides parce que les touristes ne viennent pas.

Cela est bien connu. Nous n’avons pas droit a des reportages quotidiens sur
les Israeliens qui ne vont pas a Jerusalem, ou sur les immigrants qui n’arrivent pas. Nous savons que les controles de securite a l’entree des centres commerciaux provoquent de l’angoisse et diminuent considerablement le nombre des clients.

De meme, nous ne lisons que tres rarement des choses sur la vie quotidienne du cote palestinien. Nous trouverons tous les jours des reportages sur les actions de Tsahal en Cisjordanie et a Gaza, sur les raids et les tueries, la decouverte de kamikazes et de leur equipement d’explosifs, et les arrestations. Mais jamais nous ne verrons une information du genre : « les habitants de Qalqilya n’ont de nouveau pas pu quitter leur ville hier a cause des checkpoints, et en consequence, les gens n’ont pu se rendre a leur travail, les malades n’ont pu recevoir leurs soins, et les etudiants n’ont pu assister a leurs cours. »

Pendant la premiere intifada (1988-1989), le gouvernement militaire israelien ferma progressivement les ecoles de Cisjordanie et de Gaza, devenues des lieux privilegies de la revolte. Au debut, les medias couvrirent largement l’evenement, et des porte-parole israeliens et palestiniens rapporterent que suite a un ordre du gouverneur militaire, les grandes ecoles etaient fermees a Naplouse, l’universite de Bir Zeit, le College d’Abou Dis et d’autres. Apres les fermetures des ecoles dans les territoires, il n’y eut plus de reportages. Car qu’y avait-il a raconter?

Le fait que des centaines de milliers d’etudiants et d’ecoliers de Cisjordanie et de Gaza n’allaient plus en cours etait devenu de la routine, et les medias n’avaient plus rien a nous raconter, bien que le fardeau quotidien de familles ayant a occuper leurs enfants a la maison ait cree un terrible probleme social, sans parler des degats causes a l’education d’une generation tout entiere.

La routine de l’intifada du cote palestinien est bien pire que du cote israelien, mais, parce bien peu en est rapporte, on l’oublie. Il y a un peu plus d’un an, pendant l’operation Rempart, quasiment toutes les routes de Cisjordanie furent progressivement fermees aux Palestiniens. Le fait qu’un Palestinien dût marcher, parfois par des chemins de montagnes, ou emprunter des routes sinueuses et poussiereuses, et attendre des heures aux checkpoints pour aller travailler, se rendre a l’hopital, a l’ecole, ou rendre visite a des proches, etait devenu un fait de routine, qui ne meritait aucune attention particuliere.

Une femme de Gaza qui avait epouse un homme de Ramallah ne pouvait plus
assister au mariage de son frere ou a l’enterrement de son pere, a Gaza. En fait, elle ne peut plus se rendre a Gaza depuis pres de quatre ans.

La queue devant le bureau du ministere de l’Interieur a Jerusalem Est est, elle aussi, de la routine. Des dizaines de reportages ont ete ecrits sur les foules qui attendaient pendant des heures, depuis le soir precedent, les bagarres, les bakchichs pour une place dans la queue, mais rien n’arriva, et les reportages ont cesse.

Pour la meme raison, il n’y a plus aucun reprotage sur Silvana, le fabricant de chocolat de Ramallah, qui a ferme il y a quelques mois, ni sur l’usine de plastique de la famille Ramah, presque totalement paralysee. Un taux de chomage de 50% est tout a fait courant en Cisjordanie.

Meme ceux qui desirent s’eloigner et prendre des vacances chez des proches en Jordanie ne peuvent plus le faire depuis bientot trois ans, les Jordaniens, de maniere tout a fait routiniere, ne permettant quasiment plus aux Palestiniens de passer leur frontiere.

La disparite entre les routines palestinienne et israelienne s’est refletee il y a dix jours, avec les images de l’evacuation des colons de l’avant-poste de Yitzhar. Pour les medias israeliens, il s’agissait d’un evenement tout a fait dramatique, des freres se heurtant a des freres, et tout cela pour une caravane et deux ou trois tentes, avec en toile de fond des referes a la Haute Cour de Justice.

La routine palestinienne, en revanche, ce sont des quartiers entiers detruits a Rafah, Khan Younis et Beit Hanoun. Ce sont des dizaines de maisons detruites en Cisjordanie et a Gaza, et des zones agricoles rasees et ruinees parce qu’elles pourraient cacher des terroristes. Et la Haute Cour de Justice a cesse de s’en meler. La routine.