Chronique n° 40, 23 janvier 2004


LA PAIX MAINTENANT : Vous vous intéressez au thème du Golem. Pourriez-vous
nous en rappeler l’histoire ?

PAUL FUKS : Il s’agit d’une légende typiquement juive, à fondement historique. Au 16ème siecle, à Prague, le rabbin Yehouda Loew Ben Betsalel, – plus connu sous le nom de Maharal de Prague -, cherchant à protéger les juifs contre les persécutions -consécutives aux accusations de meurtre rituel-, aurait façonné avec de l’argile une statuette de forme humaine. Il lui aurait insufflé la vie en prononçant des combinaisons cabbalistiques de lettres et en lui posant dans la bouche un parchemin portant le nom divin. Le Golem aurait été doté d’une force physique considérable, au service de la protection des juifs. Dès lors, ceux-ci
auraient connu une période de quiétude et de prospérité. Mais à la suite de
certaines circonstances, cet androïde aurait échappé à la volonté de son créateur et déclenché une violence incontrolée, menaçant de tout détruire et se retournant contre son propre créateur . Celui-ci, in extremis, aurait réussi a l’anéantir.

LPM : Pourquoi vous intéressez-vous a ce thème ?

PF : Il y a sans doute une leçon à tirer pour toute époque, mais particulièrement pour la notre. Le problème de l’usage de la violence, de la force est ici posé. Dans une lecture psychanalytique de cette légende, on voit tres nettement la nécessité de la  » castration humanisante « , c’est-à-dire l’exigence d’une auto-limitation par respect de la Loi, par retenue éthique, par conscience de l’existence de l’autre et par respect de son intégrité. En un mot, par renoncement au fantasme de toute-puissance. L’usage de la violence est également dangereux pour celui qui la met en oeuvre.

LPM : Pourtant, dans l’histoire du Golem, on attribue une certaine légitimité à l’usage de la force, puisque cette créature est là pour protéger les juifs et leur assurer la sécurité…

PF : Oui, bien sûr, il est absolument légitime d’user de la force physique pour se défendre, mais la légende insiste sur les dangers qui peuvent découler de sa mise en oeuvre. D’ailleurs, on connaît le luxe de précautions qui entoure l’activité du choh’et [[égorgeur rituel de bêtes destinées à fournir la viande cachère]] : il doit s’interrompre régulièrement dans sa tâche – qui consiste à donner la mort -, faire des prières, se reprendre, etre constamment maître de lui, ne pas risquer un échappement de violence.

LPM : Sans faire de raccourci chronologique exagéré, estimez-vous que l’on peut tirer un enseignement pour le conflit israélo-palestinien, en ce qui concerne les modalités de l’usage de la force, sujet toujours un peu controversé depuis les origines du sionisme ? Par ailleurs, en tant que psychanalyste, comment analysez-vous les facteurs psychologiques a l’oeuvre dans ce conflit ?

PF : Ce sont ceux que j’ai mentionnés tout à l’heure : chaque partie est sûre de son bon droit, et est assurée d’avoir raison, mais cela ne devrait pas tout autoriser Une conscience éthique élevée est d’autant plus nécessaire que les moyens mis en oeuvre sont puissants. De plus, il est intéressant de constater que selon cette légende, le fait d’avoir le nom de Dieu en bouche ne prévient pas contre les débordements violents. Cependant, je n’entrerai pas dans des détails circonstanciels, je reste au niveau du principe. Je n’ai pas de leçon à donner, je ne pretends pas être le guide du peuple.

LPM : Revenons au Golem. L’histoire se termine finalement assez mal puisque
le Golem se retourne contre son propre créateur, selon certaines versions…

PF : Oui, justement, on voit bien cette défiance de la pensée juive traditionnelle à l’égard de la force physique. D’un côté, l’on reconnaît sa nécessité afin d’assurer la sécurité et l’on peut être légitimement amené à la mettre en oeuvre. Et d’un autre, il faut savoir y recourir avec mesure : cette légende est une mise en garde. Etant donné que la légende se termine mal, je pense que l’accent est mis précisément sur cette mise en garde.

NB : PROCHAINE EMISSION, A NE PAS MANQUER : « BILAN DES INITIATIVES DE PAIX »,
avec David Chemla et Marc Lefèvre, respectivement président et porte-parole
de La Paix Maintenant, vendredi 6 fevrier à 10 h 15 sur Judaiques-FM, 94.8
Mhz.