Chronique n° 41, 6 février 2004


LA PAIX MAINTENANT :
Voici un mois qu’a ete créé un collectif dans le sillage de la visite à Paris de Yossi Beilin et Yasser Abed Rabbo. De quoi s’agit-il ?

MARC LEFEVRE :
L’initiative de Genève et le document Ayalon-Nusseibeh ont suscité des espoirs et des bonnes volontés. Les Amis de Shalom Akhshav ont donc pris la décision de créer un collectif sur une plateforme la plus large possible, afin de soutenir toutes les initiatives qui vont dans le sens d’un rapprochement et d’une paix entre Israéliens et Palestiniens. Plusieurs dizaines d’associations nous ont rejoints. Depuis, nous menons des actions de terrain dans diverses municipalités, en province, en banlieue, etc. Nous y invitons des Israéliens et des Palestiniens qui ont participé aux négociations afin qu’ils expliquent leur programme et qu’ils dialoguent avec le public.

LPM :
Comment réagit le public ?

ML :
C’est très intéressant. A Strasbourg et à Marseille, par exemple, nous avions
plusieurs centaines de personnes, de tous horizons et toutes origines, juifs, musulmans, etc. qui souvent se rencontraient pour la première fois. C’était une occasion de contact avec les orateurs, mais aussi entre eux. Il y avait là quelque chose de très encourageant.

LPM :
Avez vous l’impression que l’initiative de Genève est vraiment connue ?

ML :
Il y a eu une première phase : celle de la surprise et de l’intérêt que Genève a soulevés. Nous sommes maintenant dans la deuxième phase : que ce soit ici en France, en Europe, en Palestine ou en Israël, on voit se développer un dialogue démocratique sur les contenus de cette initiative. Et par un travail patient de terrain, la compréhension et l’intérêt grandissent.

LPM :
Je voudrais que l’on s’arrête sur une manifestation précise qui a eu lieu dans le cadre de ce collectif, à savoir une réunion à Bondy, dans un lycée difficile, à l’initiative d’enseignants.

DAVID CHEMLA :
En effet, ces enseignants qui font partie des Amis de la Paix Maintenant nous ont contactés pour organiser cette réunion. Je tiens à rappeler que nous avons mis en place une commission pour travailler avec les enseignants sur les conséquences du conflit et l’image d’Israël en milieu scolaire. Nous avons donc profité de la présence a Paris de la délégation israélo-palestinienne des négociateurs de Genève pour organiser, avec l’accord enthousiaste des enseignants et du proviseur du lycée, cette réunion qui s’est tenue le 30 janvier. La salle etait pleine, il y avait 200 jeunes, dont une classe préparatoire à Sciences po. Ils étaient tous
extrêmement intéressés. Et pour montrer les ecarts qui existent parfois entre la perception et la réalité, je vous rapporte cette anecdote : au cours de la préparation à la réunion qu’un des enseignants avaient faite avec sa classe, l’un des jeunes élèves etait convaincu que la bande de Gaza était une bande d’individus menés par un certain Gaza…Cependant, au cours de la réunion, la plupart des enfants ont posé beaucoup de questions souvent tres pertinentes : comment les négociateurs pouvaient-ils croire à la paix après tout ce qu’ils avaient subi les uns et les autres, la paix est- elle possible entre ennemis, etc.
Il faut rappeler que les conférenciers israéliens et palestiniens qui animaient cette reunion sont des gens tres engagés. Ils ont tous vécu des moments pénibles. Les Palestiniens ont souvent ete arrêtés et incarcérés, l’un des Israéliens a été blessé au cours de son service militaire dans la bande de Gaza, mais pour autant ils sont tous convaincus qu’un accord de paix est possible. Le fait que ce soit eux, justement, qui le disent est vraiment fort. Par exemple, lorsqu’un lycéen s’est étonné du fait que les négociateurs palestiniens de Genève avaient renoncé au droit au retour, l’orateur palestinien a repondu que l’application de ce droit équivaudrait a une sorte d’occupation d’Israël, alors que les Palestiniens ne voulaient être ni occupants ni occupés, mais aspiraient à obtenir leur propre Etat, et non un Etat à la place d’Israël.
Au cours de la reunion qui s’est tenue à Marseille, les Palestiniens qui ont été interpellés sur cette question ont répondu en déclarant que l’initiative de Genève etait une réponse réaliste et humaine pour résoudre le problème des réfugiés. Le fait que ce soit des Palestiniens que le disent, c’est cela qui est important.

MARC LEFEVRE:
Il est en effet extrêmement important que ce soient précisément des protagonistes engagés directement dans le conflit qui puissent parler dans des lieux où il y a eu des tensions intercommunautaires. D’ailleurs je puis vous dire que l’un des Palestiniens a décidé de retarder son retour à Gaza, lorsqu’il a appris que ce débat devait etre organisé dans un lycée, afin d’être spécialement présent face aux jeunes.

LPM :
Cela va bien dans le sens d’empêcher l’importation du conflit en France…

ML :
En effet. D’ailleurs les Palestiniens nous demandent de rencontrer la communauté musulmane française pour dialoguer avec eux.

LPM :
Je voudrais vous poser une question d’ordre politique : on entend ici et là un certain nombre de critiques sur Genève. Cette initiative pourrait êre utilisée comme une sorte de cheval de Troie pour Yasser Arafat. Celui-ci pourrait dire : j’ai accepté Genève, et je ne négocierai donc jamais en deça. Cet accord ne risque-t-il pas de faire monter les enchères ou de bloquer les choses plutôt que de les faire avancer, car il serait ainsi instrumentalisé ?

ML :
Je pense que le propre de cette initiative -je l’appelle initiative plutôt qu’accord – est de susciter le débat et justement de débloquer la situation. Et il faudrait qu’une majorité se dessine au sein des deux peuples, comprenant qu’il y a plus d’avantages à aller dans cette direction plutôt que de continuer à subir le statu quo.

DC :
Arafat ne soutient pas Genève. Genève est une initiative citoyenne, il y a des responsables palestiniens de premier ordre qui ont participé à cette négociation et ont apposé leur signature, mais il n’y a pas eu d’officiels palestiniens mandatés par l’Autorité palestinienne.

Propos recueillis par Myriam Encaoua

Prochaine emission, à ne pas manquer, vendredi 20/02/04 à 10 h 15 sur
Judaïques-FM, 94.8 Mhz: entretien avec Michel Serfaty, professeur des
Universités, rabbin de Ris-Orangis.