En l’absence de pressions américaines pour faire respecter le droit international, Israël est désormais libre de construire autant de colonies de peuplement qu’elle le souhaite et de s’emparer de certaines parties de la Cisjordanie.


Traduction : Bernard Bohbot pour LPM

Auteur : Brian Reeves, The Independent, novembre 2019

https://www.independent.co.uk/voices/israel-mike-pompeo-america-palestine-settlements-a9210626.html

Article mis en ligne le 23 novembre 2019


Les supporters d’Israël qui se revendiquent du camp de la paix ont souvent comparé la réticence des Américains à faire pression publiquement sur Israël au sujet de ses activités de colonisation en Cisjordanie à l’ami d’un toxicomane qui entretient la dépendance de celui-ci, même lorsqu’elle fait des ravages. Cette analogie est devenue particulièrement pertinente à l’époque de Trump, alors que la croissance éhontée des colonies de peuplement a été accueillie par le silence à Washington. Et pourtant, l’analogie doit être actualisée : celui qui fermait les yeux sur la consommation de son ami est lui aussi devenu dépendant.

On peut donc considérer comme incompatible avec le droit international l’annonce faite par le secrétaire d’État américain Mike Pompeo d’abandonner la position américaine concernant les colonies. Si le silence face à l’expansion des implantations signifie l’approbation tacite d’une tendance inquiétante, alors la nouvelle position américaine ne marque rien de moins qu’un rejet à peine voilé de la solution à deux États.

Alors que l’opposition américaine aux colonies de peuplement reflétait avant tout l’opinion selon laquelle elles constituent un obstacle à la paix, ancrer cette position dans le droit international a été essentiel pour signifier à Israël que toute cette entreprise de colonisation est immorale et doit cesser. Sans cette pression, Israël aurait été libre de construire autant de colonies de peuplement qu’elle le souhaite et de s’emparer de certaines parties de la Cisjordanie.

Mais ce qui est réellement en jeu dans cette annonce, c’est la déconstruction de deux décennies de recherche d’un consensus sur l’aspect que pourraient avoir les frontières dans le cadre d’une solution à deux États. Depuis les années 1990, les accords de paix d’Oslo entre Israël et les Palestiniens – avec l’aide des États-Unis et de la communauté internationale – ont affiné les paramètres d’une solution concertée des quatre questions centrales du conflit : Jérusalem, réfugiés, sécurité et frontières. L’administration Trump a délibérément sapé les progrès sur chacune de ces questions.

Tout d’abord, elle a saboté la formule des deux capitales pour deux Etats en déplaçant l’ambassade des Etats-Unis à Jérusalem et en rétrogradant le consulat américain jusque-là indépendant pour les Palestiniens, en une « unité des affaires palestiniennes ». Ensuite, elle a tenté de retirer la question des réfugiés en réduisant les fonds alloués à l’UNWRA, l’Office de secours et de travaux des Nations unies qui fournit des services exclusivement aux réfugiés palestiniens.

Cet été, son ambassadeur en Israël, David Friedman, s’est ouvertement rangé du côté du gouvernement Netanyahu, qui réclamait le maintien sous contrôle israélien de la vallée du Jourdain. Il s’agit pourtant là de l’un des principaux points de désaccord entre Israéliens et Palestiniens concernant l’enjeu de la sécurité. Un mois plus tard, Netanyahu a apporté son soutien à un projet de loi visant à annexer la région.

Aujourd’hui, la déclaration de Pompéo remet directement en question l’idée que les frontières seraient basées sur les lignes antérieures à 1967 avec des échanges de terres mineurs – la résolution 242 qui tient pour inadmissible d’acquérir des territoires en temps de guerre mais qui laisse place à de petites modifications pratiques.

En clair, si les colonies ne sont plus considérées comme une violation du droit international, alors aux yeux des États-Unis, la construction de colonies n’est plus un problème tant qu’il existe un plan pour les annexer.

Actuellement, il y a quelque 427 800 colons en Cisjordanie, sans compter Jérusalem-Est. Alors que la plupart d’entre eux pourraient être incorporés à l’État d’Israël dans un accord d’échange de terres entre deux États, environ 150 000 (20 fois l’effectif déplacé de la bande de Gaza en 2005) devraient être évacués pour que les Palestiniens aient la moindre chance d’établir un État viable et de devenir un voisin stable pour Israël.

Même avec des compensations généreuses pour leurs familles, ce serait un exploit impossible pour un dirigeant israélien de diriger une évacuation de cette ampleur sans perdre sa coalition le lendemain.

Alors pourquoi les États-Unis permettraient-ils à Israël de s’engager sur la voie d’une expansion sans entraves des colonies de peuplement dont elle ne pourrait s’extirper ? Il semble qu’il est dorénavant considéré de l’intérêt de l’actuelle administration américaine d’encourager de telles politiques à courte vue.

Peut-être s’agit-il d’une faveur à Netanyahu alors que son avenir politique est menacé, ou bien Trump veut-il flatter ses donateurs pro-Israël d’extrême droite et sa base messianique évangélique ? Est-ce lié au rôle démesuré de l’ambassadeur Friedman dans l’élaboration de la politique israélo-américaine ? Ou une combinaison de tout cela ?

Quelles que soient les raisons, ce qui est clair, c’est que cette annonce est le signe de la poursuite de l’orientation générale de l’administration américaine consistant à marginaliser les Palestiniens et à réinterpréter les attentes d’un accord sur le statut final fondé sur des positions maximalistes israéliennes tout-à-fait malsaines.

Si l’administration Trump soutenait réellement une solution équitable et durable à deux États, cela  apaiserait les tensions quant à son opposition à la colonisation – entre autres actions problématiques des deux parties – et constituerait une tentative pour combler les divisions qui les séparent plutôt que de déplacer les poteaux de but.

Au stade actuel, Israël et les États-Unis doivent absolument aller en cure de désintoxication, s’engager à nouveau à respecter leurs valeurs démocratiques fondatrices et redevenir membres à part entière de l’ordre libéral mondial. Pour l’heure, Israël a peut-être un allié solide en Amérique, mais il n’a pas de véritable ami.

Brian Reeves est directeur des relations extérieures de Peace Now, un mouvement pour une solution à deux États en Israël.