Article paru dans Haaretz du 9.1.02

Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Des propos semblables ont été tenus un nombre incalculable de fois depuis le
début de l’occupation, et encore davantage depuis le déclenchement de la présente intifada. Ce qui rend ce qui suit unique – des passages extraits d’une interview du colonel Dov Tzedaka, chef de l’Administration civile en Cisjordanie, tient à l’auteur des propos, et au lieu dans lesquels il les tient. L’interview, réalisée par le journaliste Guy Zackheim, a été publiée dans le magazine de l’armée, « Bamakhané » (« dans le camp », ndt).

Le journaliste accompagnait cet officier de haut rang, issu du « Sayeret hamatkal », unité de commandos d’élite, dans une visite destinée à « corriger les fausses impressions sur ce qui se passe dans les territoires ». Et il est de fait que l’article décrit l’Administration civile comme un facteur de maintien d’une certaine harmonie dans l’attitude d’Israël a l’égard de la population civile des territoires.

Selon les mots de Tsedaka, l’administration « fait mieux que de tirer ici ou là », ou « j’ai maintenant envie d’éviter de me retrouver devant la Cour Internationale de La Haye inculpé de crimes de guerre. Alors, comment je m’y prends? Je maintiens, autant qu’il est possible, et vous verrez que cela est bien triste, le mode de vie le meilleur possible, et même un peu moins que cela, pour la population
palestinenne ».

Voila le contexte dans lequel il faut lire ce qui va suivre. On peut aussi se rappeler à cette occasion la leçon du chef d’état-major Shaul Mofaz à Yasser Arafat, selon lequel les souffrances des Palestiniens ne le dérangent pas le moins du monde.

« Tzedaka regarde le long bouchon formé par les taxis bloqués au barrage que
Tsahal a installé sur la route principale du Bloc Etzion », écrit le journaliste. « ‘L’Etat d’Israël a décidé que seuls les maîtres de la terre pouvaient circuler sur cet axe, nos colons éclairés’, dit Tzedaka. ‘Je vais prendre un risque et dire que parfois, ceux qui ne laissent pas ces gens [les Palestiniens] circuler me degoûtent' ».

« Et cela encore, ce n’est rien », continue Tzedaka. Il y a 15 jours, j’ai vu un père de famille marcher avec deux paniers et un enfant de 5 ans sur ses épaules, et derrière lui une mère avancer en trébuchant, avec un tout nouveau-né, ils marchaient du carrefour d’Ayosh jusqu’au village de Beitin. Franchement, quel bien en retirons-nous? J’imagine ma femme marcher comme ça avec ma fille, trébuchant dans la boue. Brrrr, j’en tremble… J’essaie d’aider, pour rendre les choses agréables, mais qu’il y a-t-il d’agréable à tirer un enfant sur un kilomètre? Je pense que tout ça est nul … Dans ces cas-la, je vais voir le général en chef et je lui dis que tout ca n’est pas sérieux, je préviens le commandant de brigade. Mais que puis-je faire? Est-ce que je peux changer le monde? Non ».

Le journaliste remarque : « on continuera à voir de telles scènes tant qu’Israël restera dans les territoires ». Tzedaka ne proteste pas : « tant qu’on ne parviendra pas à un accord global, ca ne finira pas », dit-il.

Deux versions

Selon le ministre de la Defense Ben-Eliezer, Israël a déraciné environ 5500
dounams (1 dounam = 10 ares, ndt) d’orchidées, et a « exposé » (un terme de
Tsahal signifiant détruire) 4500 dounams de champs cultivés. « La décision de
détruire des maisons ou de déraciner des arbres, dans le contexte de la lutte qui s’est instituée dans les territoires », explique Ben-Eliezer, nouveau leader du Parti travailliste à Ran Cohen, député du Meretz, « est prise lorsqu’il existe des impératifs militaires exigeant l’installation d’infrastructures. Quand il y a un lien entre ces besoins et un dommage éventuel à la population civile, en l’absence d’alternative, la décision se prend en essayant de causer le moins de dommages possible ».

La version du chef de l’Administration civile en Cisjordanie montre que le ministre de la Defense a tout simplement pris le député pour un imbécile.

Le journaliste demande si Israël ne s’est pas montre excessif quant aux
destructions de maisons et aux déracinemments d’arbres. Tzedaka : « à Gaza…
absolument. A mon avis, ils ont fait certaines choses qui dépassaient les bornes. Après les événements à Alei Sinai et Dugit (attentats terroristes contre des colonies juives au Nord de la Bande de Gaza), ils ont effectué des « expositions » massives. Des centaines de dounams de fraises, d’orchidées et de serres ont été détruits. A mon avis, ce n’est pas convenable… Cela attirera encore la haine et les critiques. C’est tout bonnement idiot. Même en Judée et en Samarie, il y a eu des endroits ou nous nous sommes rendus coupables de cela. Dans certains cas, je donne mon accord pour un certain nombre d' »expositions », mais quand j’arrive sur place, je découvre que nos troupes en ont trop fait ».

Tzedaka dit qu’il y a des cas où il n’y a pas d’autre choix que d’arracher des orchidées et d’exposer des champs, mais se dépêche d’ajouter : « avons-nous été excessifs dans certains endroits? Pour etre honnête … oui. Bien sûr. Bien sûr. On donne son accord pour déraciner 30 arbres, et le lendemain, on arrive et on constate que 60 arbres ont été déracinés. Le soldat, ou l’officier du régiment se fait déplacer. Il y a eu des cas comme ça, il ne faut pas les ignorer. Nous sommes responsables de ce qui se passe. Des enquêtes sont effectuées. Des gens passent en jugement. »

Le journaliste demande : « Jusqu’a présent, quelqu’un a t-il été condamné? »

Tsedaka (en riant) : « Non. Mais ils se sont fait taper sur les doigts. De façon assez crue ».

Il serait intéressant de connaître l’avis du procureur militaire sur ce témoignage venant d’un officier de haut rang.

Les versions du ministre de la Défense et de cet officier de terrain ne diffèrent pas seulement sur la situation effective sur le terrain. Elles diffèrent aussi en regard de la procédure employée pour les destructions et les déracinements. Ben-Eliezer : « la personne en charge de la décision concernant un déracinement ou une destruction est le commandant de brigade, ou le commandant de division ». Tzedaka : « La demande parvient jusqu’à moi. Je vérifie si elle est justifiée, je la transmets au conseiller juridique, et seulement après, nous recommandons au général d’approuver la décision. Au crédit du Commandement Central, je peux dire qu’il se montre tres pointilleux, et qu’il vérifie que chaque branche n’est détruite qu’avec son approbation ».