Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


1. Du cote du puits de Za’atara

Au debut du mois, des bulldozers sont arrives dans la zone entourant le village de Za’atara, pres du site archeologique de Herodion, au sud de Jerusalem. Six ou sept bulldozers travaillent sans relache, tous les jours, sur une bande de terre de huit kilometres, a raser les collines et a combler les fosses pour construire une nouvelle route de contournement qui reliera la colonie de Nokdim au nouveau
quartier de Har Homa au sud de Jerusalem.

Le cout de ce projet est d’environ de 65 millions de shekels. Les travaux ont ete repartis entre trois entreprises, qui chacune espere finir sa tache la premiere, le gagnant ayant la garantie d’obtenir un nouveau contrat.

Ce n’est pas la premiere fois que cette machinerie lourde se montre autour du village de Za’atara. Par deux fois deja, Israel a cherche a construire cette route (la derniere en janvier de cette annee), mais les Palestiniens ont pu arreter les travaux en mettant en branle une serieuse pression internationale. Cette fois, le projet avance a grands pas. Sans arret, des camions a ordures emportent les debris, et la nuit, des soldats et des gardes civils venus d’une colonie avoisinante montent la garde.

Salah Ta’amri, personnalite publique bien connue dans la proche region de Bethleem, dit qu’Israel est en train de commettre une erreur strategique en construisant cette route, car celle-ci provoquera des troubles dans une region jusque la plutot calme. La nouvelle route court du nord au sud, et coupe des routes sur lesquelles des Palestiniens circulent d’est en ouest. Comment
empecher la rencontre entre Palestiniens et Israeliens dans ces conditions ? Interdira-t-on aux Palestiniens d’emprunter les routes est-ouest ?

Ta’amri se demande aussi en quoi il est logique de construire une nouvelle route qui touchera Za’atara (en certains points, a moins de 50 metres). Est-ce ainsi qu’on effectue cette fameuse separation dont tout le monde parle ?

Le mouvement judeo-arabe Ta’ayush a d’autres objections : il existe deja une route qui relie la region a Jerusalem, alors a quoi sert tout cet argent investi dans une nouvelle route? Pourquoi les travaux sont-ils effectues sans aucune concertation avec les Palestiniens qui vivent dans la region ? La route a ete declaree projet regional, et a ce titre, des terres sont confisquees a des Palestiniens et leurs proprietes envahies par les travaux quotidiens. Mais si seuls les Israeliens sont autorises a utiliser la nouvelle route, pourquoi parler de projet regional ?

Sur le terrain, les decisions israeliennes se traduisent par une presence brutale, qui fait fi des droits et du statut des Palestiniens. Le moukhtar (chef de village) de Za’atara attend avec une nervosite deferente la visite d’un representant du coordinateur des actions du gouvernement dans les territoires pour lui expliquer
la situation du point de vue des villageois. Certains notables du village se rassemblent autour d’un puits antique, que les bulldozers vont bientot atteindre, et se demandent quel sort lui est reserve. Les sentiments qu’ils expriment sont des sentiments d’atteinte a leur dignite, d’humiliation et de desespoir face a un pouvoir israelien sans entraves. La construction de cette route prouve qu’Ariel Sharon cherche a creer une situation qui rendra invivable une coexistence,
dit Salah Ta’amri.

Nokdim est la colonie ou habite le depute Avigdor Liebermann, leader du parti Union Nationale – Israel Beitenou (extreme-droite). Les Palestiniens sont convaincus que ce projet de route n’a comme objectif que de lui permettre de se rendre a Jerusalem plus rapidement. Ils pensent que sa stature nationale a joue un role tres important dans la decision de mettre en œuvre le projet. Le depute
Mossi Raz (Meretz) dit qu’il n’a rien vu qui indique que Liebermann ait eu a voir avec le financement de la route. Selon le ministere de la Defense, Ariel Sharon et Benjamin Ben-Eliezer ont decide d’autoriser la construction pour des « raisons de territoire et de securite ». Le ministere ajoute que la route est destinee a permettre
aux habitants de la partie Est du bloc de colonies de Gush Etzion de parvenir a Jerusalem de facon plus sure, sans avoir a traverser de localites palestiniennes.

Liebermann nie lui aussi avoir ete implique dans le processus de decision. Pour lui, la nouvelle reparera un tort cause aux habitants de Nokdim et de Tekoa, une autre colonie, qui depuis le debut de l’intifada ne peuvent plus emprunter la route actuelle vers Jerusalem (qui passe pourtant tres pres de la nouvelle). Selon lui, ils doivent prendre une autre route, ce qui rallonge leur trajet de 40 minutes. C’est la violence palestinienne qui provoque la modification du statu quo, dit Liebermann, et la route Nokdim – Har Homa fait partie de la lecon qu’Israel donne aux Palestiniens : ils ne gagneront rien par le terrorisme.

2. Mauvaise lecture de la carte

La route Nokdim – Har Homa est l’illustration concrete du lien entre processus politiques et situation sur le terrain. Les bulldozers sont arrives a Za’atara au moment meme ou le Premier ministre recevait la « feuille de route » americaine, qui reflete la conception actuelle de l’administration Bush a l’egard de la solution
du conflit israelo-palestinien.

La route, dont la construction s’effectue maintenant de maniere intensive, semble aller a l’encontre de l’un des elements fondamentaux du plan americain : l’assurance pour les Palestiniens de disposer d’un maximum de continuite territoriale. La route est l’expression de la position israelienne qui a prevalu
jusqu’aujourd’hui : une tentative de fonder tout accord avec les Palestiniens sur une separation entre les populations de Cisjordanie et de Gaza, a travers la creation d’un reseau de routes de contournement, de tunnels et de ponts.

La « feuille de route », elle, adopte une position completement opposee : elle envisage une reduction au minimum de la presence israelienne dans les territoires, et un maximum d’espace accorde aux Palestiniens, pour qu’ils puissent y vivre et s’y deplacer.

Quand Sharon a trouve le temps d’etudier le nouveau plan, on rapporte qu’il a emis de serieuses objections. Au cours de consultations cette semaine a Jerusalem, on a exprime des inquietudes a propos de la position americaine, telle qu’elle se reflete dans le document et dans les ajouts presentes par l’emissaire americain dans la region, William Burns. Pour certains officiels du Departement d’Etat, le plan est la traduction du discours du president Bush du 24 juin. Ce
jour-la, Bush avait presente sa vision d’une solution de telle maniere que Sharon avait ete oblige d’y repondre par un accord « de principe ». Colin Powell et son equipe ont aujourd’hui injecte leur patte bien connue au document de six pages, tout en le decrivant comme une application des idees exprimees dans le discours de Bush. Pour Jerusalem, le document differe de facon fondamentale de la
position adoptee par Bush.

Tout d’abord, diront a Washington les officiels israeliens, la « feuille de route » ne reprend pas la condition de base posee par le president : que le debut du processus politique soit precede par la cessation du terrorisme palestinien. Le document americain parle d’un processus de negociation concomitant a des actes de terrorisme. Il n’y a aucune exigence envers les Palestiniens de mettre un terme au terrorisme ni de desarmer les groupes terroristes. On demande a
Israel, en revanche, d’accepter une presence internationale qui devra travailler a appliquer les recommandations de George Tenet, le directeur de la CIA.

Israel doit aussi lever les sanctions imposees a la population palestinienne et assurer la liberte de mouvement des dirigeants palestiniens sans autre consideration de securite, ainsi que le demandait deja le plan de l’ex-senateur George Mitchell.

D’autre part, le document demande aux Etats arabes de couper les fonds aux groupes extremistes, sans les nommer. Cela provoquera certainement un debat sur le fait de savoir si le Hamas est ou non un « groupe extremiste ». De plus, selon la « feuille de route », Israel doit effectuer un retrait complet de ses forces sur les lignes d’octobre 2000 avant que l’Autorite palestinienne n’organise ses elections. Ce qui indique clairement que les Palestiniens ne sont pas appeles a prendre de
mesures concretes pour combattre le terrorisme et arreter l’incitation a la haine. C’est seulement a la fin de la premiere etape telle qu’elle apparaît dans le document (mai 2003) que les parties signeraient un plan pratique pour mettre fin a la terreur. L’Autorite palestinienne devra alors requisitionner les armes qui
sont actuellement entre les mains des groupes du front du refus.

Israel emettra egalement d’autres objections : rien dans le preambule du document ne parle de la fin du conflit et de la renonciation aux revendications mutuelles. En d’autres termes, le conflit a propos du droit au retour des refugies palestiniens reste non resolu, et continuera ainsi a attiser et a empoisonner les relations entre les deux nations.

Le preambule cite les resolutions et plans internationaux sur lesquels doit s’appuyer un accord israelo-palestinien, et parmi eux l’initiative saoudienne, telle qu’elle a ete adoptee par la conference arabe au sommet a Beyrouth. Israel retorquera que l’initiative saoudienne n’a jamais eu le statut de document officiel,
et rappellera a Washington que les (Etats) arabes constituent une partie du conflit et qu’a Beyrouth, le droit au retour a ete inclus dans le plan saoudien.

La reaction israelienne qui se dessine indique que la « feuille de route » a serieusement fait peur a Ariel Sharon. Elle prouve aussi combien son approche a ete erronee : chercher a gagner du temps et ne pas formuler serieusement une initiative politique israelienne. Dan Meridor a ete l’un des seuls ministres a dire au cours des reunions du cabinet ces derniers mois qu’Israel devait presenter ses propres propositions et arriver a un accord avec les Etats-Unis avant que ceux-ci ne presentent leur propre plan. Contrairement a Sharon, le ministre de la Defense Ben-Eliezer a defendu le document americain et se prononce en faveur de son application. Mais sa position semble ressortir d’un autre contexte.