La revendication d’Israël comme État juif est souvent source d’une profonde incompréhension ici de la nature de cet État. En effet, pour en comprendre son sens, chacun d’entre nous ne peut faire abstraction de la signification qu’il donne au mot « juif ». Je suis conscient en écrivant cette phrase que j’ouvre la porte à un débat qui est aussi vieux que l’est la question juive. Mais je le fais parce qu’il me semble indispensable, si l’on veut essayer de comprendre comment résoudre le conflit du Moyen Orient, de déchiffrer le sens qu’a cette revendication pour les Israéliens. Pour beaucoup de personnes ici, le terme de « juif » ne recouvre qu’une appartenance religieuse et en conséquence une telle demande est perçue par eux comme une revendication à un État théocratique, difficilement compréhensible dans un pays laïque comme le nôtre. Alors que pour la quasi-totalité des Juifs israéliens et la plupart des Juifs en diaspora qui revendiquent leur identité en dehors ou dans la synagogue, cette notion
recouvre une appartenance nationale. Et revendiquer qu’Israël reste un État juif signifie pour eux qu’il demeure cet État où les Juifs, désirant vivre pleinement leur identité nationale dans toutes ses dimensions
(langue, culture, fêtes, …), puissent le faire en restant une majorité, tout en permettant aux citoyens non juifs de cet État de bénéficier pleinement de leurs droits de citoyens. Il eût été sans doute plus juste, comme le dit dans cet article Gershon Baskin, de parler d’un État-nation
du peuple juif plutôt que d’un État juif.


Jerusalem Post, 4 janvier 2010
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Traduction : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant

Pourquoi la Knesset débat-elle d’une nouvelle proposition de loi, initiative d’Israël Beitenou, le parti du ministre des affaires étrangères Avigdor Lieberman, proposition qui suggère de modifier la formulation du serment des députés, de sorte qu’au lieu de prêter serment de loyauté « à
L’État d’Israël et à ses lois », ils seraient requis de jurer loyauté à l’État d’Israël « en tant qu’État juif et démocratique » ? Les lois actuelles sont plus que suffisantes pour garantir la loyauté envers l’État . Cette initiative va un peu au-delà de la démagogie, du populisme
et d’un petit coup de publicité destiné à s’attirer les titres des médias.

En l’état actuel de la loi, concernant la loyauté à l’État, les « Règles d’éthique à destination des députés de la Knesset chapitre B, règles fondamentales » stipulent : « Le député remplira son office en conformité
avec la loyauté à l’égard des valeurs fondamentales de l’État d’Israël, État juif et démocratique ». De plus, selon la Loi fondamentale, la Knesset (amendement 9) évoque l’interdiction de participation de candidats
: « Une liste de candidats ne pourra pas se présenter aux élections au cas où son objet, expressément ou par implication, inclurait les cas suivants : (1) négation de l’État d’Israël en tant qu’État du peuple juif, (2)
négation du caractère démocratique de l’État et (3) incitation au racisme
».

En 1992, la Knesset vota la loi fondamentale nommée Dignité humaine et Liberté. Le paragraphe 1a stipule que « l’intention de cette loi est de protéger la dignité humaine et la liberté, pour établir dans une loi
fondamentale les valeurs de l’État d’Israël en tant qu’État juif et démocratique ».

Ancien président de la Haute cour de justice, Aharon Barak a donné l’interprétation suivante : « L’expression ‘juif et démocratique’ n’implique pas deux contraires. Ce sont plutôt des adjectifs complémentaires et en harmonie …. De fait, l’État est juif, non pas au sens religieux-halachique du terme, mais au sens où les Juifs ont le
droit d’y immigrer, et où leur existence nationale se reflète, entre autres, dans la langue et dans les jours fériés. Les valeurs fondamentales du judaïsme sont aussi celles de l’État (à savoir : amour de l’homme,
caractère sacré de la vie, notions de bien et de mal, respect de la dignité humaine et de la loi, etc.), valeurs que le judaïsme a léguées à l’humanité tout entière – [mais] ces valeurs d’Israël en tant qu’État juif
ne peuvent pas être assimilées à la loi juive. Car on ne doit pas oublier qu’une population conséquente, non-juive, vit en Israël. Assurément, les valeurs de l’État d’Israël en tant qu’État juif sont ces mêmes valeurs universelles communes aux sociétés démocratiques […]. »
Tous les États-nations modernes ont en leur sein des minorités. La France est l’État-nation du peuple français, amis elle aussi le pays de tous les
descendants d’Algériens nés sur son sol. De même, l’Allemagne est l’État-nation du peuple allemand, ainsi que des enfants des anciens citoyens turcs nés sur son sol.

20% des citoyens d’Israël ne sont pas juifs, qu’on choisisse une définition nationale ou religieuse, mais ils sont nés ici. Et Israël est là aussi. Voilà pourquoi David Ben Gourion a inclus dans la déclaration d’indépendance la formule suivante : « Nous faisons appel – en plein
milieu du massacre déclenché contre nous – aux habitants arabes d’Israël pour qu’ils préservent la paix et participent à l’édification du pays, sur la base d’une citoyenneté pleine et égale, et d’une représentation
appropriée dans toutes ses institutions, provisoires ou définitives. »

Le premier président d’Israël, Haïm Weitzmann, a dit : « Je suis certain que le monde jugera l’État juif à la manière dont il traitera les Arabes, de la même manière que le peuple juif en général sera jugé sur ce que nous
ferons ou échouerons à faire dans ce pays où l’on nous a donné une si merveilleuse occasion après des milliers années d’errance et de souffrances. »

Les citoyens palestiniens d’Israël ne peuvent pas s’identifier à lui en tant qu’État du peuple juif. Mais ils peuvent l’accepter, à condition que l’État respecte, lui aussi, leurs droits civiques fondamentaux.
L’État -nation juif doit se conduire envers ses citoyens non-juifs comme envers des égaux à tous égards. Il doit également reconnaître les difficultés particulières auxquelles les citoyens palestiniens doivent faire face, difficultés qui résultent du conflit israélo-palestinien.
L’État doit aussi exiger d’eux qu’ils demeurent respectueux de ses lois (ce qui est raisonnable et, en fait, représente la réalité). Le fait d’exiger une « loyauté » en ayant à l’esprit une identification quelconque avec le
drapeau ou avec l’hymne national n’est pas seulement inapplicable, c’est aussi leur demander de faire entendre une déloyauté, à un moment où leur exigence fondamentale vis-à-vis de l’État consiste à être reconnus en tant
que citoyens de plein droit. Les citoyens palestiniens, à travers leurs protestations de discrimination, exigent essentiellement le droit d’être israéliens.

Cette discussion exige de nous que nous clarifiions ce que signifie la notion d’État juif. Il y a trop de confusion en Israël, non seulement autour des questions qui concernent l’axe État juif – démocratique, mais
aussi du concept d’État juif ou d’État des Juifs. Dans son livre « L’État juif », Theodor Herzl écrivait : « Nous sommes un peuple – un seul peuple… Je pense que le problème juif n’est pas plus social que religieux, même
si, parfois, il prend d’autres formes. Il s’agit d’un problème national. »

La Déclaration d’indépendance stipule : « Eretz Israël a été le lieu de naissance du peuple juif. C’est là que se sont formées ses identités spirituelle, religieuse et politique… Le 1er Congrès sioniste s’est réuni
et a proclamé le droit du peuple juif à la renaissance sur sa terre … Le mandat de la Société des Nations a confirmé, en particulier sur le plan international, ce lien historique entre le peuple juif et la terre d’Israël, ainsi que le droit du peuple juif à reconstruire son foyer
national… »

Israël est un État-nation et non un État religieux, ni l’État d’un groupe religieux. En appelant à la création d’un État pour le peuple juif, l’intention du mouvement sioniste n’était pas de créer un État pour la
religion juive. Israël est un État laïqu, ses lois sont laïques et non religieuses (sauf les lois concernant le statut de la personne, héritées de l’empire ottoman, et le moment est venu d’en finir avec cette exception).

La confusion entre Israël État juif et Israël État-nation du peuple juif règne aussi bien chez les juifs que chez les non-juifs. Les termes sont utilisés de manière quasi interchangeable, et c’est cela qui a semé la confusion.
Il existe également un débat idéologique entre ceux qui utilisent les deux termes, même si, parfois, ils ne sont pas totalement conscients des différences. Il y a ceux qui, comme l’actuel ministre de la justice,
souhaitent que les lois de l’État se fondent sur la halakha et parlent d’un État juif avec ses connotations religieuses. Et il y a ceux qui saisissent ce qu’est le droit international moderne et la base juridique
sur laquelle Israël a été fondé et qui comprennent l’importance de la définition d’Israël en tant qu’État-nation du peuple juif.

Les déclarations de l’État d’Israël et de l’État de Palestine fondent toutes les deux leur droit juridique à l’existence sur la résolution 181 des Nations unies, qui partageait la Palestine [mandataire] en deux États ,
l’un juif et l’autre arabe. Cette résolution des Nations unies parlait de deux États-nations, et c’est dans ce contexte que l’ancienne ministre des affaires étrangères, Tzipi Livni, déclarait : « C’est la raison pour laquelle je soutiens la création d’un État palestinien, à condition qu’il soit la solution nationale de tous les Palestiniens, tout comme Israël est la solution nationale pour tous les Juifs. » Pour la même raison, Binyamin Netanyahou, dans son discours de Bar-Ilan, parlait d’Israël comme du foyer national du peuple, juif et appelait les Palestiniens à le reconnaître en tant qu’État-nation du peuple juif.
La paix entre l’État d’Israël et le futur État de Palestine se fondera sur la notion de deux États-nations pour deux peuples. Tout comme il existe une minorité palestinienne conséquente dans l’État du peuple juif, nous
pouvons tous espérer qu’il y aura une minorité juive conséquente dans l’État du peuple palestinien, où tous vivront dans la paix, la démocratie et l’égalité.

(1) Gershon Baskin co-préside l’IPCRI (Israel/Palestine Center for Research and Information). Il est membre de la direction du parti Vert.
IPCRI : [->www.ipcri.org]