Ha’aretz, 9 février 2009

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Traduction : Michel Goldberg pour La Paix Maintenant.


En 1902, Théodore Herzl a écrit un roman, mi-utopie, mi-politique fictinn intitulé Altneuland (« Un nouveau pays ancien »). Il y décrit un Etat juif en 1923, établi en Palestine. Dans ce roman, Herzl propose une description idéalisée des buts du mouvement sioniste. Il donne également au futur Etat d’Israël – le produit du sionisme – un miroir pour se comparer à la vision qu’en avait son fondateur.

La description de la campagne électorale de 1923 constitue l’un aspects les plus fascinants du livre. Cette campagne était centrée sur les droits des habitants non-juifs du pays. Contrairement à ce que l’on dit souvent au sujet du sionisme (il aurait ignoré l’existence des populations arabes dans le pays), le livre révèle une conscience claire de l’existence de ces populations. De plus, cet Etat juif est bâti sur l’idée que tous ses habitants, indépendamment de leur religion, de leur race [[la notion de race doit être comprise dans le contexte de cette époque (ndt)]] ou de leur sexe ont les mêmes droits, et notamment le droit de vote. Ces droits sont étendus aux Arabes, mais aussi aux femmes, bien qu’à l’époque où ce livre est écrit, aucune démocratie occidentale n’avait encore accordé le droit de vote aux femmes.

Dans ce livre, les Arabes n’ont pas seulement le droit de vote ; ils occupent également des postes clés. Parmi les personnages importants de ce livre, on trouve un ingénieur arabe de Haïfa, Rashid Bey. Selon une terminologie d’aujourd’hui, on peut dire que Herzl concevait un Etat qui aurait été à la fois juif et démocratique, un Etat-nation pour les Juifs, et un Etat pour l’ensemble de ses citoyens.

Un nouveau parti apparaît pendant la campagne de 1923, mené par un homme récemment immigré dans le pays, et qui entend supprimer cette forme de citoyenneté en abrogeant le droit de vote de tous les non-Juifs. Le fondateur de ce parti raciste juif est appelé Geyer par Herzl (un mot allemand qui désigne un oiseau qui consomme la charogne) ; Herzl, pour construire ce personnage et son idéologie, s’inspire d’un leader antisémite viennois de l’époque, Karl Lueger.

L’argument de Geyer est simple : nous sommes dans un Etat juif, et seuls les Juifs doivent avoir le droit à la citoyenneté. Les autres populations peuvent vivre et être tolérées dans ce pays, mais elles ne peuvent avoir de droits politiques équivalents.
La description de la campagne électorale dans Altneuland est surprenante : le parti raciste de Geyer crée une grande agitation. Dans l’un des moments les plus marquants de l’ouvrage, on assiste à une confrontation entre les supporters de Geyer et des dirigeants libéraux. Tandis que Geyer réclame les droits liés à la citoyenneté pour la seule population juive, les libéraux justifient l’existence de droits égaux pour les habitants arabes sur la base de principes universels et également de sources juives (« Il y aura une même loi parmi vous, pour l’étranger comme pour l’indigène » – Nombres 9 :14).

Après une dure campagne, les libéraux l’emportent et Geyer quitte honteusement le pays. Ce roman constitue une description très intéressante. Dans les utopies classiques que connaissait Herzl, (Utopia de Thomas Moore, et les utopies du XIXe siècle) on décrit toujours une société idéale. Au contraire, dans Altneuland, Herzl combine société idéale et réalisme politique. Cet homme, qui avait connu le racisme anti-juif, imaginait que les juifs puissent aussi être racistes, et il intégrait dans son roman utopique l’image troublante de l’un d’entre eux. Mais contrairement à ce qui se passait en Europe, où le racisme l’emportait, il était défait à Sion et à Jérusalem, et les principes de l’égalité et du libéralisme l’emportaient.

Un roman utopique ? Une réalité d’aujourd’hui ? La morale de cette histoire est claire. Il suffit de se souvenir que le slogan de « Altneuland » était : « si vous le voulez, ce ne sera pas un rêve ». Ce rêve est entre nos mains.