AUTEUR : David CHEMLA, tribune parue dans Le Monde, le 1er novembre 2023

Mis en ligne le 4 novembre 2023


Depuis le 7 octobre, les récits décrivant le pogrom vécu par les membres des kibboutzim près de Gaza hantent mes nuits. « Pogrom » « Kibboutz », deux mots que je n’aurais jamais imaginé réunis dans une même phrase. « Pogrom », un mot appartenant à un passé que je croyais révolu, celui du siècle dernier, de là-bas, d’avant… racontant des siècles de persécutions jusqu’à l’abomination de la Shoah. Et « Kibboutz », un mot qui depuis mon adolescence m’a fait rêver, l’espoir de vivre dans une société plus égale et fraternelle, une société où chacun peut mieux s’accomplir dans un cadre collectif que dans une société individualiste et matérielle. Deux mots qui renvoient à deux moments opposés de l’histoire juive. Le premier, celui d’un temps où les Juifs étaient pourchassés dans des terres hostiles où ils n’avaient pas de lieu où se cacher et le second, celui où ils se tiennent debout dans leur pays.

Et voilà que les assassins du Hamas ont réuni ces deux mots ce samedi noir au nom d’une cause palestinienne qu’ils ont dévoyée et salie. Savaient-ils seulement en tuant leurs victimes d’une façon aussi barbare, brûlant ce qu’il restait de leurs pauvres corps après les avoir violées, décapitées, démembrées à tel point que toutes n’ont pas été identifiées, qu’ils tuaient ceux qui se battent contre l’occupation et pour qu’ils aient un État? Comme Carméla, membre de La Paix Maintenant qu’ils ont brûlée avec Noya sa petite-fille autiste? Ont-ils reconnu Vivian qui accompagne les enfants de Gaza dans les hôpitaux israéliens, avant de la prendre en otage? Je pourrais allonger cette liste, rajouter les noms des 260 jeunes assassinés alors qu’ils participaient à un festival de danse pour la paix. Mais pour ces assassins peu importe les opinions de leurs victimes. Vieux ou jeunes, enfants ou bébés, ils sont tous l’objet de leur haine, inculquée depuis l’enfance. D’ailleurs les dirigeants du Hamas se soucient-ils du bien être de la population palestinienne? Ils le pouvaient, malgré la politique imbécile des Israéliens, en utilisant pour elle les dollars du Qatar plutôt que pour s’armer. Ils ont même récupéré les canalisations installées par la communauté internationale pour assainir le réseau des eaux pour en faire des roquettes. Connaissant la réaction israélienne, pourquoi n’ont-ils pas construit des abris pour les civils? Non, ce n’est pas la cause palestinienne, ni sa population qu’ils défendent ! Parce qu’en ce cas ils n’auraient pas choisi de la sacrifier dans leur folie meurtrière. Il faut le dire haut et fort aux manifestants pro palestiniens, le Hamas est l’ennemi de la cause palestinienne.

Depuis plus de cinquante ans, je me bats contre l’occupation. Quand, il y a vingt ans, des Israéliens et des Palestiniens, ex ministres, généraux à la retraite… d’un côté et de l’autre dirigeants et cadres du Fatah, dont beaucoup avaient été prisonniers en Israël, ont signé un accord de paix virtuel à Genève, je suis allé à leur rencontre pour entendre leur itinéraire. Chacun avait son narratif mais tous avaient compris que le seul moyen de mettre fin à ce conflit était que chacun renonce à une part de ses revendications. Cela a fait l’objet d’un livre[1]. Depuis, des deux côtés, ce sont les extrémistes qui dictent leur agenda et on est plus loin que jamais d’une quelconque perspective de paix.

Depuis 2008, il y a eu 4 guerres à Gaza. Chaque fois, un cessez-le-feu donnait un peu de répit aux deux populations jusqu’à la prochaine explosion. Cette fois-ci, vu l’ampleur et la barbarie de ce massacre de 1400 personnes en majorité civiles, toute la société israélienne, y compris les militants contre l’occupation, se tient derrière son armée pour éliminer la menace que fait peser le Hamas sur les habitants du Sud. Ceux-ci ne reviendront chez eux que s’ils ont la garantie que CELA ne se reproduira plus.

Tous les dirigeants occidentaux qui disent vouloir trouver une solution à ce conflit, après l’avoir négligé, le savent. Il faut anéantir les capacités militaires du Hamas, comme ce fut le cas avec Daesh et Al-Qaïda. Et seule l’armée israélienne pourrait le faire. Même les dirigeants des pays arabes avec lesquels Israël est en paix l’attendent sans le dire. Quant à la population israélienne, si soucieuse de la vie de ses soldats, elle accepte de devoir payer un prix lourd. Après avoir vécu ces dernières années comme Athènes, dans l’insouciance d’un statu quo illusoire au prix « supportable » de dizaines de morts par an, Israël se voit contraint de redevenir Sparte. Et devant l’incurie de ses dirigeants, responsables des dysfonctionnements et des erreurs stratégiques qui ont permis ce massacre, cette société, divisée il y a peu, se retrouve unie dans un mouvement de solidarité. Les organisations du mouvement de contestation ont été les premières à se mobiliser pour aider la population du Sud et du Nord réfugiée dans le centre à cause des roquettes et des infiltrations qui continuent. A Gaza, l’armée israélienne pousse la population à partir vers le sud alors que le Hamas veut l’en empêcher. Les images des réfugiés sous des tentes et des victimes civiles des bombardements chassent déjà celles des enterrements en Israël. Il faut éviter la crise humanitaire à Gaza et garantir le passage des convois d’aide. A cette urgence, il faut rajouter celle de la situation des otages, civils et militaires dont le Hamas fait une exploitation cynique. 220 dont une trentaine d’enfants! On sait le prix qu’Israël a accepté de payer dans le passé pour récupérer un seul soldat. Le « taux de change » était de 1 pour 1000. Qu’en sera-t-il aujourd’hui? C’est l’équation impossible à laquelle est confronté le gouvernement israélien.

Mais il faut aussi penser à l’après. Mettre en place une solution de réhabilitation de Gaza avec l’aide et l’implication internationales pour que jamais plus une force militaire ne vienne s’y réinstaller. Ce projet, s’il est mené vite et avec détermination, redonnera un espoir à la population. Il devra se faire avec l’Autorité Palestinienne. Et il faudra parallèlement relancer des négociations pour une solution définitive du conflit avec la même détermination.

Un tel projet semble aujourd’hui impossible. Mais rappelons nous qu’au lendemain de la guerre de Kippour nul n’aurait pensé que 4 ans plus tard le président égyptien ferait un discours à la Knesset et qu’un accord de paix serait signé. Dans la noirceur du présent nous ne devons pas renoncer à l’espoir. Ce serait alors la victoire des terroristes.

[1] Bâtisseurs de paix, Liana Levi, 2005