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Haaretz, 10 decembre 2003


Cette semaine, aucun accord de hudna (treve) n’a ete conclu, et ce n’est pas
la faute d’Israel. On peut meme dire que cette hudna n’est pas intervenue en
depit des efforts d’Israel, car ici (en Israel, ndt), on a fait preuve de
flexibilite et on etait pret a laisser le Premier ministre palestinien Ahmed
Qorei tenter d’appliquer sa politique. Israel se preparait a le presenter
comme quelqu’un avec qui l’on peut traiter, ne serait-ce que parce qu’ainsi,
Ariel Sharon aurait pu justifier certaines mesures tactiques qui auraient
fait diminuer la pression americaine. Selon des sources egyptiennes, Israel
l’avait fait savoir au president egyptien Hosni Moubarak, qui en consequence
etait persuade qu’un cessez-le-feu etait possible.

Cependant, il semble qu’un element ait completement echappe aux Israeliens,
aux Egyptiens, et a Ahmed Qorei. Le Hamas et le Jihad islamique sont en
train de se transformer en une Autorite palestinienne n° 2. Ils tirent
profit de la lutte armee qu’ils menent contre Israel. Ils disposent d’une
infrastructure militaire, d’une quasi-base territoriale a Gaza, et d’une
veritable ideologie, qui non seulement s’oppose aux negociations avec
Israel, mais a l’existence meme de l' »entite sioniste ». Par le passe, ces
organisations parlaient de la maniere dont elles pourraient presenter un
leadership de rechange a l’Autorite palestinienne. Aujourd’hui, elles
tentent de prouver que’elles peuvent mettre cela en pratique. Le voyage de
Qorei en Egypte, qui se revelera peut-etre une erreur, etait en fait destine
a obtenir d’elles un pouvoir lui permettant de negocier en leur nom avec
Israel. Pour l’instant, ce pouvoir ne lui a pas ete donne, du moins pour le
prix qu’il offrait.

Apparemment, le Hamas et le Jihad islamique tentent d’etablir une position
qui ressemblerait a celle du Hezbollah au Liban : une organisation de combat
capable de presenter contre Israel une force de dissuasion et un programme
susceptible de destabiliser l’administration locale en place. Mais, en
realite, les groupements palestiniens jouissent d’une position bien
meilleure que celle du Hezbollah. Alors que le groupe libanais est entrave
par les jeux politiques locaux au Liban, dependant de laissez-passer
strategiques fournis par l’Iran et par la Syrie, et force de tenir compte de
l’opinion publique libanaise, qui ne veut pas d’operations de represailles
contre ses propres citoyens, les organisations palestiniennes ne connaissent
pas ces contraintes. Le gouvernement palestinien n’a pas reussi a asseoir
sa legitimite, en partie parce qu’Israel n’a pas coopere. Les
infrastructures economiques et civiles en Palestine ont ete durement
touchees, et les toucher encore davantage n’encouragera pas la population a
faire pression sur le Hamas et sur le Jihad. Ils ne dependent d’aucun Etat
arabe. Ils sont peut-etre affaiblis militairement, mais non politiquement :
c’est l’Egypte qui les a invites aux negociations, Qorei court apres eux, et
jusqu’a present, ils n’ont rien a craindre de l’opinion publique, puisque
dans la situation ou il se trouve, le public n’a rien a perdre.

La puissance de ces organisations se maintiendra tant que la politique
israelienne sera guidee par le principe : pas de negociations sous la
terreur. C’est precisement ce genre de politique qui, non seulement permet a
ces organisations de survivre, mais de dicter une politique et de se
transformer en une force politique puissante. Il est donc probable que les
negociations (et leur echec) du Caire ne seront pas les dernieres, car aussi
longtemps que les pourparlers continueront, les organisations disposeront
d’une plate-forme pour y exposer leurs opinions et avoir ainsi leur part au
processus de prise de decision. L’Autorite palestinienne reconnait le
« probleme » politique constitue par le Hamas et le Jihad islamique, en
particulier dans le contexte du discours sur un « leadership palestinien
unifie », qui inclurait alors ces organisations et depouillerait l’OLP de son
titre de representant exclusif du peuple palestinien.

La seule maniere de saper les positions de ces organisations serait de
changer la formule « pas de negociations sous la terreur », pour que le succes
de Qorei ne depende plus du bon vouloir de ces groupes, mais plutot de sa
capacite a obtenir d’Israel de reelles avancees. Le combat des Palestiniens
contre ces organisations doit etre deconnecte de l’equation
israelo-palestinienne, et marginalise jusqu’a ce qu’un Etat palestinien
independant decide de coopter les groupes islamiques au gouvernement, comme
en Jordanie, ou de les detruire, comme en Egypte. Pour deminer ce chemin
vers un veritable changement, l’Autorite palestinienne a besoin d’une
cooperation courageuse de la part d’Israel. A cet egard, tant que le
gouvernement actuel est en place a Jerusalem, le front du refus n’a rien a
craindre.