Haaretz, octobre 2003

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Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Le visage de l’officier de l’Administration civile exprimait une colère
sincere contre le terroriste qui s’était fait exploser à l’entrée du bureau
de liaison et de coordination de Tulkarem. Cet officier se plaignait de
l’ingratitude des Palestiniens qui ne percevaient pas « la bonne volonté de
l’Etat d’israël à leur proposer des solutions ». En d’autres termes, si l’on
reprend le lexique du colonialisme classique, le maître éclairé est la
solution, et les méchants indigènes, qui mordent sa main généreuse, sont le
problème.

Les « solutions » que l’Etat d’Israël propose aux Palestiniens (très
parcimonieusement, il faut le noter) sont destinées à résoudre des problèmes
créés par l’occupation israélienne. Où donc, ailleurs qu’ici, un malade
atteint d’un cancer doit-il faire la queue pendant des heures et plaider sa
cause devant un soldat étranger pour qu’il lui accorde un permis de transit
qui lui permettra de se rendre dans un hôpital de la ville voisine?

Les remarques de cet officier reflètent l’approche israélienne, qui, depuis
le 11 septembre, a également cours à la Maison Blanche : les terroristes
sont la racine du problème. Et ce n’est qu’après avoir eu recours à un
traitement de la racine qu’on pourra aborder les autres problèmes, comme
l’humiliation et la détresse économique qui découlent de l’occupation
israélienne. Meme les avant-postes illégaux et la clôture devront attendre
jusqu’à ce que le terrorisme soit éliminé.

George Bush a dit au roi Abdallah de Jordanie que Yasser Arafat était un
« looser », parce qu’il ne combattait pas le terrorisme. Et que, donc, il
n’avait aucunement l’intention d’investir sur lui son capital politique.

Il est vrai que le meurtre prémédité de gens qui sortent dîner au restaurant
n’est pas sur le même plan moral que les maux de l’occupation. Néanmoins, le
leader du « monde libre » n’est pas en charge du département moralité. Bush
est lié à des documents diplomatiques qui, même s’ils se révèlent ne pas
avoir été un investissement politique sûr, portent la signature des Etats
Unis. Dans le préambule de la feuille de route, il est clairement déclaré
que l’occupation, comme le terrorisme, est une partie du problème et que la
fin de l’occupation, comme la fin du terrorisme, fait partie de la solution.

Le document stipule : « une solution à deux Etats ne pourra être trouvée
qu’en mettant fin à la violence et au terrorisme (quand le peuple
palestinien aura une direction qui agira de facon décidée contre le
terrorisme, et desireuse de bâtir une pratique démocratique fondée sur la
tolérance et la liberté), quand Israël se montrera prêt à faire le
nécessaire pour qu’un Etat palestinien démocratique soit créé, et que les
deux parties acceptent de façon non équivoque l’objectif d’un règlement
négocié ».

Selon la feuille de route, au cours de la première phase, Israël « démantèle
immédiatement les avant-postes créés depuis mars 2001 », et de plus, en
accord avec le rapport Mitchell, « gèle toute activité de colonisation (y
compris la croissance naturelle des colonies) ».

Or, non seulement le gouvernement d’Israël ne demantèle pas les avant-postes
et publie des appels d’offres pour de nouvelles constructions dans les
colonies, mais le dernier rapport du Contrôleur de l’Etat révèle un
phénomène d’approbation et de financement de certains projets, parmi
lesquels le positionnement de nouveaux mobile homes sur des terres privées
palestiniennes.

L’issue que proposent le gouvernement israélien de droite et ses amis à
Washington est que les Palestiniens fassent leur propre Altalena [[L' »Altalena » (pseudonyme littéraire de Jabotinsky) était un bateau qui
transportait des armes achetées par l’Irgoun en Europe. Chargé également de
900 immigrants, il arriva en vue de la côte israélienne le 20 juin 1948.
David Ben-Gourion, alors Premier ministre et ministre de la Défense du
gouvernement provisoire, exigea que les armes soient remises à Tsahal,
émanation de la Haganah et armée officielle du nouvel Etat. Le 23 juin,
apres l’échec des négociations, le bateau ancra au large de Tel-Aviv. Ben
Gourion ordonna alors de le bombarder, pour éviter que les armes et les
munitions soient déchargées. Le bateau coula, 16 personnes à bord périrent,
et de nombreuses autres furent blessées. Cet épisode marqua les esprits et
laissa aussi des blessures profondes. mais le message était clair : aucune
force dissidente ne serait tolérée. (ndt d’après « Lexicon of Zionism »).]]. Si
Altalena est le bon modèle à suivre, pourquoi le Premier ministre Ariel
Sharon et les ministres Effie Eitam et Avigdor Lieberman, tous deux colons,
n’envoient-ils pas les forces armées dans les avant-postes dont le rapport
du Contrôleur (ainsi qu’un document officiel du ministère de la Défense) dit
que les habitants se saisissent de terres qui ne leur appartiennent pas?

Sur le principe d’Altalena, les Etats Unis peuvent formuler un clé précise
et un agenda détaillé d’application de la feuille de route. Ainsi, par
exemple, au bout de la première semaine, l’Autorité palestinienne arrêterait
cinq assassins d’Israéliens, et en même temps, Israel libérerait 50 détenus
administratifs ; au bout de la deuxième semaine, l’AP arrêterait 10 chefs
des branches armées du Hamas et du Jihad islamique, et Israël démantèlerait
cinq avant-postes ; la troisième semaine, l’AP confisquerait 1000 fusils, et
Israël lèverait 50 barrages routiers en Cisjordanie ; la quatrième semaine,
les Palestiniens déclareraient la fin de l’intifada armée, et Israël se
retirerait sur les lignes du 20 septembre 2000.

Une des conditions à la base du succès de ce plan est que chaque côté
intègre, conjointement et séparément, avec le médiateur américain, le lien
causal (mais non moral, insistons là-dessus) entre la violence et
l’occupation. Tant que les Palestiniens n’intègreront pas le fait que la
violence est un problème et non une solution, sa cessation sera perçue comme
une soumission à l’occupation, et elle se poursuivra – et l’occupation avec
elle. Tant que les Israéliens n’accepteront pas que l’occupation est un
problème et non une solution, sa cessation sera perçue comme une soumission
à la violence, et l’occupation se poursuivra – et la violence avec elle.