« Avec ce discours, le Premier ministre d’Israël poursuit sa très lente, mais constante, marche vers le centre », note ici le correspondant diplomatique du Ha’Aretz.

Une opinion peu répandue dans les colonnes de la presse israélienne indépendante, qui taxe le plus souvent le Premier ministre d’impuissance face aux colons et de manœuvres dilatoires, voire de tentatives annexionnistes rampantes.

Il nous a paru intéressant de verser cette analyse, pour circonspecte qu’elle soit, au dossier de négociations comme on sait semées d’embûches… et à l’appréciation de nos lecteurs.


Washington – Si d’aucuns ont matière à s’inquiéter des propos du Premier ministre Benyamin Nétanyahu lors de l’Assemblée générale de l’Aipac mardi 4 mars, ce sont bien le Conseil régional de Judée et Samarie [1] et le lobby des colons à la Knesseth. Pour la première fois au cours d’une intervention majeure, Nétanyahu a usé de la lexicologie “gauchiste” et vanté les « fruits de la paix » dont Israël jouirait en parvenant à un accord avec les Palestiniens. Pendant un instant, on aurait pu croire que Shimon Pérès était à la tribune ou, le ciel nous en préserve, John Kerry.

Quand Nétanyahu a commencé, l’année passée, à noter dans presque tous ses discours qu’il fallait empêcher Israël de se muer en État binational, l’émissaire diplomatique du Conseil des colonies, Danny Dayan, m’a dit que cela marquait en lui un changement de conception. Si des signaux d’alarme se sont alors mis à clignoter parmi les dirigeants des colons, le discours à l’assemblée générale de l’Aipac doit avoir fait virer, pour la droite, tous les feux au rouge.

Le Premier ministre a exposé en détail les effets positifs d’un traité de paix. Il a parlé des bénéfices pour Israël en termes de statut dans la région et sur la scène internationale, et de possibles alliances dans le Golfe persique avec les États arabes de confession sunnite – des pays qui voient en l’Iran leur véritable ennemi et pensent que des liens économiques, diplomatiques et militaires avec Israël pourraient servir leurs intérêts.

Nétanyahu a ainsi poursuivi sa lente mais constante marche vers le centre de l’échiquier politique israélien ; vers ces 65% d’Israéliens qui soutiennent la partition territoriale mais sont sceptiques quant aux possibilités de concrétiser cette vision [2]. Il s’agit de cette majorité israélienne qui admire les colons sans être pour autant solidaire de leur action ; une majorité choquée par la terreur que suscitent les attentats dits “de représailles” (“price tag”) ; une majorité qui craint l’isolement sur la scène internationale et le boycott, et veut mener une vie normale dans un pays démocratique.

Nétanyahu a fait ces remarques dans une allocution en anglais prononcée devant 15 000 Juifs américains. Reste à voir s’il réitérera les mêmes déclarations en hébreu à la tribune de la Knesseth. Ce serait une autre marque de son sérieux. Le Premier ministre accuse fréquemment le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, de dire une chose en anglais mais une autre en arabe. À lui de mettre en pratique ce qu’il prône.

On se demande cependant si Nétanyahu ne va pas trop lentement ; s’il intègre la situation assez vite pour attraper le train de la solution à deux États. Le risque est qu’à trop hésiter il arrive à la gare une fois celui-ci parti et n’en trouve plus qu’un autre, en partance pour une destination différente… et déplaisante.

Il a consacré une part importante de son intervention (plus de sept minutes) à parler du BDS, le mouvement pour le boycott et les sanctions anti-israéliennes. Il s’agit apparemment de la plus grande marque d’intérêt témoignée par quelque Premier ministre israélien que ce soit à l’égard de cette petite bande, formée de quelques centaines de militants de par le monde, dont les actions visent l’État d’Israël tout entier – à la différence des 95% qui critiquent Israël mais concentrent leurs actions pro-boycott contre les implantations juives dans les territoires occupés.

Nétanyahu a critiqué avec véhémence ceux qui appellent à boycotter Israël tout entier, les accusant d’antisémitisme et rendant du même coup un incommensurable service à cette poignée d’extrémistes opposés à la solution à deux États. Ce fut pour eux une opérations de relations publiques de loin supérieure à tout ce qui aurait pu être fait par qui que soit d’autre au monde. Le Premier ministre a déclaré à plusieurs reprises que le BDS courrait à l’échec, mais plus il le disait plus il révélait son inquiétude qu’en réalité ces militants réussissent à isoler Israël et le peindre aux couleurs d’un État d’apartheid.

Une dernière chose. Le discours de Nétanyahu devant l’Aipac, éloquent et ciselé, a montré une fois de plus qu’il n’est jamais aussi à l’aise qu’en intervenant en anglais devant un public américain. Détendu, il s’exprimait avec liberté, parsemant son allocution d’argot U.S. contemporain. On n’a pas souvenir de lui parlant de cette façon en hébreu. Bien que son discours fût excellent, nombre d’Israéliens abondaient l’écoutant en remarques dubitatives ou ricanements de mépris. La réaction enthousiaste d’un public fort de milliers de personnes nous rappelle que Nétanyahu est de loin plus populaire en Premier ministre de la diaspora qu’en Premier ministre d’Israël.

NOTES

[1] Le Conseil des implantations juives en Cisjordanie, pour être clair.

2] Comme l’a encore montré le sondage publié le 28 février dernier par l’IPI (Israeli Peace Initiative) : [.

Réalisé en hébreu sur un échantillon d’internautes israéliens il a donné lieu, sur le site Walla!, en hébreu (->http://news.walla.co.il/?w=/9/2724877]) et dans le quotidien Ha’Aretz ([), à des commentaires divergents sur la partie de la population ainsi laissée hors cadre… ainsi que l’IPI elle-même le précise.

Reste que la modération ici faite des 76 % desdits internautes hébraïsants favorables à un accord assorti d’un retrait des Territoires en 65% d’Israéliens toutes cultures confondues, outre qu’elle correspond aux résultats récurrents des enquêtes d’opinion régulièrement effectuées en Israël, rend largement compte d’éventuelles disparités liées aux limites de ce dernier sondage.

Nous renvoyons ceux de nos lecteurs qui ne liraient ni l’anglais ni l’hébreu à la synthèse qu’en a donné en français le Times of Israel le [