L’histoire du conflit israélo-palestinien est jalonnée d’initiatives de paix de toutes sortes. La plus célèbre d’entre elles a abouti à la signature des accords d’Oslo en 1993, dont on connaît malheureusement le tragique destin : assassinat du Premier Ministre Yitzhak RABIN par un extrémiste israélien juif, multiplication des attentats suicides, début de la seconde Intifada dite Al Aqsa, arrivée d’Ariel SHARON au pouvoir, renforcement des colonies et de la présence militaire israélienne, affaissement de l’Autorité Palestinienne, etc.

C’est dire qu’il faut désormais être à la fois pragmatique et prudent lorsqu’on évoque les initiatives conjointes de paix en Israël / Palestine. Ceci est particulièrement vrai alors que les deux populations vivent depuis trois ans dans une situation extrêmement tendue, et que certains parmi les plus anciens partisans d’une paix négociée en appellent publiquement à l’intervention d’une force multinationale ou à un retrait unilatéral de l’armée israélienne des territoires occupés.1

C’est pourquoi avant de présenter les deux principales initiatives pour la paix que soutient le mouvement Shalom Akhshav – celle d’Ami AYALON et Sari NUSSEIBEH et celle de Yossi BEILIN et Yasser ABED RABBO (accords de Genève) – il convient d’abord de s’interroger sur le climat politique dans lequel elles interviennent, pour essayer, dans un troisième temps, de voir dans quelle mesure elles permettent (ou pas) d’ouvrir des perspectives pour l’avenir.

1. Rappel du climat politique depuis septembre 2000 : violence, méfiance et découragement

Septembre 2000 marque le début «officiel» de la seconde Intifada, dite Al Aqsa, dont le déclenchement a fait l’objet de multiples controverses. S’agissait-il d’un mouvement «spontané» suite à la visite d’Ariel SHARON au Mont du Temple (version officielle de l’Autorité Palestinienne) ou bien d’une révolte organisée de longue date (opinion affichée par certains responsables israéliens de haut rang)? Peu importe finalement, puisque le résultat est le même. Le mouvement de révolte déclenché est effectivement beaucoup plus violent que la première Intifada, il fait appel à des armes et s’accompagne d’une vague sans précédent d’attentats suicides au cœur d’Israël, qui marqueront fortement l’esprit des Israéliens.

A cela il faut ajouter l’échec des négociations «de la dernière chance» à Taba, en janvier 2001, qui a également fait couler beaucoup d’encre. Même si l’argument peut être largement contesté – Ehoud BARAK étant déjà lui-même politiquement affaibli à cette période, et donc peu enclin à négocier – une majorité d’Israéliens considèrent qu’une chance unique y a été offerte aux Palestiniens de créer leur Etat sur 98% des territoires occupés, et que ceux-ci n’en ont pas voulu. Le climat qui prévaut à ce moment du côté israélien est donc celui d’une montée très forte de l’incompréhension et de la méfiance, sur fond de violence accrue. Cette radicalisation tranche avec les espoirs manifestés à Oslo ; les gens en Israël commencent à se barricader, à douter de la sincérité de Yasser ARAFAT et de l’Autorité Palestinienne, en se demandant si tout cela n’était pas en fin de compte que «de la poudre aux yeux».

L’élection en février 2001 d’Ariel SHARON au poste de Premier Ministre d’Israël ne fera qu’aggraver ce climat avec, cette fois, une suspicion croissante du côté palestinien vis-à-vis de celui que l’on surnomme (un peu trop rapidement) le «boucher» de Sabra et Chatila. Toujours est-il qu’à partir de cette date une véritable descente aux enfers va commencer, éloignant de plus en plus les deux peuples, à la fois physiquement et mentalement. Poursuite et renforcement de la colonisation, recrudescence des attentats, durcissement de la politique de bouclage des territoires et multiplication des checks points…La vie quotidienne des Palestiniens devient de plus en plus pénible, dans un climat de violence qui augmente le nombre de morts et de blessés de part et d’autre. Le cycle violence / répression / violence fait augmenter la rancœur des deux côtés.

Ainsi, à l’automne 2003, Oslo semble bien loin…Le credo du «il n’y a pas de partenaire côté palestinien» s’est désormais largement installé en Israël, sur fond de décrédibilisation totale de ceux qui osent encore croire en une solution négociée (jugés, au mieux, comme des naïfs, au pire, comme des inconscients, dangereux, voire des traîtres à leur nation). Du côté palestinien, la misère sociale et la coupure physique avec Israël grandissent – auparavant, un grand nombre de Palestiniens allaient quotidiennement travailler en Israël – et les opinions se radicalisent…sous le regard d’une «communauté internationale» globalement absente et peu encline à favoriser l’instauration d’un esprit de dialogue et de modération.2

2. Les initiatives israélo-palestiniennes pour la paix : un appel d’air

En réalité, depuis septembre 2000, Israël et l’Autorité Palestinienne sont entrés dans une sorte de guerre qui ne dit pas son nom. Prenant acte de la gravité de la situation, un quartette diplomatique formé des Etats-Unis, de la Russie, de L’Union Européenne et de l’ONU, a rédigé et fait valider la fameuse «feuille de route», plan en trois étapes devant aboutir – à l’horizon 2005 – à la création d’un Etat palestinien «indépendant, démocratique et viable», vivant aux côtés d’Israël. Ce plan – qui est toujours officiellement valide – a du mal à se concrétiser, faute d’une réelle volonté des dirigeants actuels de mettre fin au processus de colonisation, côté israélien, et de démanteler les infrastructures terroristes, côté palestinien.

Néanmoins, en dépit du contexte défavorable qui existe depuis trois ans, les contacts entre individus des deux camps n’ont jamais cessé réellement. Ces contacts s’inscrivent dans le cadre de relations personnelles, professionnelles ou même de voisinage, et sont la plupart du temps le fait d’universitaires, de militants de la paix, d’écrivains, ou d’hommes politiques ayant exercé diverses responsabilités. Ces réseaux quasi clandestins, qui ont réussi à perdurer dans une période peu propice au rapprochement à la fois physique et moral des deux camps, ont donné lieu à deux initiatives majeures, sorties de l’ombre du fait de leur pertinence et grâce à la personnalité de leurs promoteurs.

La Voix des peuples (Peoples’ Voice) d’Ami AYALON et Sari NUSSEIBEH. Le premier est ancien général de la marine et ancien chef du Shin Beth (services de sécurité israéliens), connu pour être une colombe. Le second, intellectuel et universitaire, président de l’Université Al Quds de Jérusalem, a été un des représentants de l’Autorité Palestinienne à Jérusalem. Reconnu pour sa modération, il a notamment été la première et l’une des rares personnalités palestiniennes à avoir publiquement évoqué l’éventualité d’une renonciation des Palestiniens au droit au retour des réfugiés de 1948.

La Voix des peuples d’A. AYALON et S. NUISSEIBEHest une «déclaration de principes» (Statement of Principles), rédigée en 6 points :

 reconnaissance du principe de «deux Etats pour deux peuples»,

 les frontières permanentes sont celles du 4 juin 1967, avec la possibilité d’échanges de territoire pour des raisons démographiques, de sécurité ou de continuité territoriale,

 Jérusalem est la capitale des deux Etats et est déclarée «ville ouverte ». Les quartiers arabes seront sous souveraineté palestinienne, les quartiers juifs sous souveraineté israélienne. Il n’y aura pas de souveraineté politique sur le Mont du Temple / Haram El Sharif,

 les réfugiés palestiniens seront autorisés à revenir uniquement sur le territoire de l’Etat palestinien, les Juifs sur le territoire israélien. Un fond international de compensation et de réinsertion sera crée en faveur des réfugiés palestiniens,

 l’Etat palestinien sera démilitarisé,

 sous réserve de l’application des principes énumérés, la signature d’un accord de paix marquerait la fin des réclamations des deux côtés et la fin du conflit.

La Voix des peuples se veut une initiative non partisane d’origine civile, ayant pour objectif de rassembler dans une pétition de masse un maximum de signatures israéliennes et palestiniennes – autour des 6 principes énumérés ci-dessus – puis à la soumettre aux leaders politiques des deux nations. Une campagne d’envergure est actuellement en cours en Israël / Palestine : début janvier 2004, près de 150 000 signatures israéliennes et 100 000 signatures palestiniennes ont été recueillies.

Démarche issue de la société civile, la Voix des peuples se différentie des accords de Genève, dont on entend beaucoup parler depuis octobre 2003. Ces accords sont le résultat de discussions officieuses menées entre deux délégations composées, en partie, de personnalités appartenant à des parties politiques.

La délégation israélienne fut menée par Yossi BEILIN, ancien négociateur à Oslo, Camp David et Taba, et ancien ministre de la Justice. Elle comprend notamment un certain nombre de personnalités politiques telles que Amram MITZNA (ancien général, ancien chef du parti travailliste et ancien maire de Haïfa), Yuli TAMIR (ancienne ministre travailliste), Avraham BURG (ancien président de l’Agence juive et de la Knesset), Haïm ORON et Yossi SARID (députés du parti Meretz), mais aussi des écrivains comme A.B YEOSHUA, Amos OZ ou David GROSSMAN, un ancien chef régional de la police, la fille d’Yitzhak RABIN…

La délégation palestinienne fit quant à elle menée par Yasser ABED RABBO, ancien ministre Palestinien en charge de l’information, et comprend notamment Hisham ABDEL RAZEQ, ancien ministre chargé des prisonniers, Nabil KASSIS, ancien ministre du Plan, des membres de la jeune garde du Fatah et des Tanzim, Qadoura FARES et Mohammad KOURANI (également membres du Conseil Législatif Palestinien et considérés comme proches de Marwan BARGHOUTI), ainsi que des experts et des hommes de sécurité venant de l’establishment palestinien.

Les accords de Genève prennent la forme d’un document juridique incluant un préambule et 17 articles. Ils ne laissent aucun détail en suspend, et sont présentés comme un accord de paix «clef en main», une sorte d’aboutissement à Oslo et Taba. Après une présentation à la presse locale, régionale et internationale, des exemplaires du pacte de Genève ont été envoyés à l’ensemble des foyers israéliens, et devraient l’être prochainement à l’ensemble des foyers palestiniens. Une campagne massive de publicité est également en cours. Le Pacte a été signé le 1er décembre 2003 à Genève.

Du point de vue de leur contenu, les accords de Genève se distinguent de la déclaration de principes d’AYALON et NUSSEIBEH sur deux des points les plus sensibles et symboliques du conflit entre les deux peuples, à savoir le Mont du Temple et les réfugiés.

Concernant Jérusalem, les accords de Genève affirment – de même que la Voix des peuples – que celle-ci doit être la capitale des deux Etats (israélien et palestinien), et que les quartiers arabes seront sous souveraineté palestinienne / les quartiers juifs sous souveraineté israélienne. Mais, si la déclaration de principes d’AYALON et NUSSEIBEH dit explicitement qu’il n’y aura pas de souveraineté politique sur le Mont du Temple / Haram El Sharif, les accords BEILIN-ABED RABBO stipulent que celui-ci sera sous souveraineté palestinienne. Une force internationale y garantira le libre accès pour les visiteurs de toutes les confessions, mais ni les prières juives, ni les fouilles archéologiques n’y seront autorisées.

Concernant les réfugiés palestiniens d’avant 1948, le quatrième point de la déclaration AYALON-NUSSEIBEH affirme que ceux-ci seront autorisés à revenir uniquement sur le territoire de l’Etat palestinien et qu’un fond international de compensation et de réhabilitation sera spécialement crée en leur faveur. Les accords de Genève quant à eux abordent la question autrement en disant que, tout en restant souverain sur son territoire, Israël s’engagera à accueillir un certain nombre de réfugiés palestiniens, en prenant pour base la moyenne du nombre de réfugiés accueillis par des pays tiers (ex : la France, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, les Etats-Unis, etc.). En contrepartie, les Palestiniens renoncent officiellement au droit au retour.

3. Quels enjeux? Quelles perspectives pour la paix?

La publication de la déclaration de principes d’AYALON et NUSSEIBEH et des accords de Genève participe indéniablement à la création progressive d’un nouveau climat en Israël, qui tranche avec la léthargie ayant globalement régné pendant environ trois ans. Désormais, des personnalités militaires et de sécurité de haut rang osent publiquement critiquer le gouvernement sur sa gestion du conflit politique avec les Palestiniens. Cela avait commencé avec la déclaration des pilotes de l’armée de l’air israélienne refusant d’être employés dans des opérations à haut risque pour les civils palestiniens, puis par les déclarations du chef d’état majeur de l’armée israélienne, Moshé YAALON, sur la mauvaise gestion des relations avec le gouvernement palestinien dirigé par Mahmoud ABBAS et, enfin, par la récente et fracassante sortie commune de quatre anciens chefs du Shin Beth (services de sécurité israéliens) dans le quotidien Yediot Aharonot sur la gravité de la situation actuelle qui met en danger la survie de l’Etat d’Israël.

De même, l’on assiste au réveil progressif de la gauche israélienne, incarné par des personnalités comme Amram MITZNA ou Avraham BURG, qui tiennent désormais des discours plus que fermes sur la nécessité d’en finir avec l’occupation militaire, au risque d’une disparition pure et simple du sionisme et de l’Etat d’Israël. Sans compter une réactivation du camp de la paix, dont certains militants finissaient à force par être eux aussi gagnés par le découragement…

Mais, si, grâce notamment aux accords de Genève et à la déclaration AYALON-NUSSEIBEH, il est désormais possible de faire preuve d’un certain degré d’optimisme, il n’en demeure pas moins que d’importants points d’interrogation subsistent :

 les deux peuples accepteront-ils les accords de Genève et la déclaration AYALON-NUSSEIBEH? La concession faite par la délégation israélienne aux accorde de Genève concernant le Mont du Temple sera probablement ressentie de façon douloureuse par une majorité d’Israéliens. Le Mont du temple est en effet le lieu le plus central du judaïsme en Palestine ; il incarne à un tel point les origines de la présence juive sur cette terre, qu’y renoncer pourrait être vécu comme une délégitimation pure et simple du sionisme. De même, la renonciation définitive au droit au retour des réfugiés de 1948 touche à un point très sensible de l’identité et de la mémoire du peuple palestinien…

 quelle sera la réaction des gouvernements israélien et palestinien? Le gouvernement d’Ariel SHARON a réagi jusqu’ici avec beaucoup d’agacement, voire d’agressivité, aux accords de Genève, accusant ses rédacteurs de menacer l’avenir de l’Etat d’Israël et de commettre les mêmes erreurs qu’à Oslo. Le seul plan de paix accepté officiellement par le gouvernement israélien est la «feuille de route», que celui-ci cherche à relancer, afin de ne pas apparaître comme totalement inactif sur le front de la paix. En revanche, côté palestinien, l’on dit que Yasser ARAFAT et le Fatah apporteraient officieusement leur soutien aux accords de Genève…mais des bruits courent également affirmant que Yasser ABED RABBO a été délibérément écarté du nouveau gouvernement palestinien dirigé par Ahmed QOREI, du fait précisément de sa contribution aux accords de Genève (ce qui peut être interprété de différentes façons),

 quelle sera la capacité de nuisance des extrémistes? La situation actuelle demeure très tendue, aussi bien en Israël / Palestine – où le cycle de la violence et des répressions est loin d’être endigué – que dans le reste du monde (ce dont témoignent les récents attentats en Turquie et en Irak). Si la persistance du conflit ne fait que justifier le besoin d’une solution négociée, on a vu que le terrorisme aveugle peut contribuer à alimenter le fatalisme et la résignation, au même titre que l’action brutale de certains colons «arracheurs d’oliviers», qui renforce l’idée d’une coexistence impossible,

 quid des solutions alternatives? L’idée d’une solution négociée («territoires contre la paix») défendue depuis vingt ans par Shalom Akhshav, n’est plus aujourd’hui la seule mise en avant, y compris au sein de la gauche israélienne. Car certains prônent désormais – et de plus en plus ouvertement – le principe d’un retrait unilatéral de l’armée israélienne des territoires occupés, ou bien celui d’une force internationale d’interposition sous commandement américain, destinée à mettre un terme aux violences et à créer les conditions pour l’édification d’un Etat palestinien. De même, le principe de «deux Etats pour deux peuples» n’est plus aujourd’hui le seul mis en avant. Prenant acte de l’équilibre démographique actuel et futur entre Juifs et Arabes en Israël / Palestine, certaines personnes évoquent – avec des arguments et une sincérité variables – la nécessité de créer un Etat binational.

En guise de conclusion

Le mouvement Shalom Akhshav en Israël – et ses amis en France – apportent leur plus grand soutien aux deux initiatives de paix actuellement en cours. Car, bien que différentes dans leur démarche, les deux propositions visent de façon égale à mettre un terme à l’occupation militaire, prônent l’arrêt de la violence et la création d’un Etat palestinien aux côtés d’Israël, Etat du peuple Juif, dans le cadre de frontières sûres et reconnues par la communauté internationale.

Pour autant, le mouvement Shalom Akhshav est conscient qu’il va falloir désormais «travailler dur», afin de convaincre l’opinion de la nécessité de parvenir à une solution durablement équitable pour les deux peuples, au-delà de la simple désignation des «bons» et des «méchants» (l’on sait que les rôles peuvent rapidement s’inverser, comme on l’a vue en ex-Yougoslavie).

C’est pourquoi il est impératif de diffuser et discuter le plus largement les deux initiatives, de s’informer sur ce que font les gens sur place et de les encourager dans la recherche d’une paix, certes difficile, mais néanmoins plus que jamais nécessaire pour les deux peuples.

Sur Internet

 [->www.heskem.org.il] : le site des accords de Genève

 [->www.mifkad.org.il] : le site de la Voix des Peuples (AYALON-NUSSEIBEH)