« Au fil des ans, les colonies ont intriqué tout un réseau d’entraves dans les zones d’habitat rural palestinien, sans réussir toutefois à former une prédominance juive susceptible de permettre une annexion unilatérale. » Mentant délibérément sur les chiffres, leur mouvement a réussi, en revanche, à le faire croire.

La “chronique d’une mort annoncée”, celle de la solution à 2 États, envahit les media et le doute s’insinue dans les rangs de ses partisans – nous en avons récemment rendu compte en traduisant un article de Carlo Strenger [1].

D’autres en revanche, dont nous faisons partie, ne sont pas prêts à renoncer si facilement à la seule solution qui permette aux deux peuples, tant israélien que palestinien, de connaître la souveraineté. Shaul Ariéli s’attache ici à démonter les rouages du découragement. [T.A.]


« De plus en plus nombreux sont ceux qui intègrent comme un fait accompli notre présence ici, en tant que représentants de la souveraineté d’Israël », déclare Dany Dayan, président du Conseil régional de Judée et Samarie, dans un film “de propagande” faisant le bilan de l’année écoulée.

Film qui ressortit à une vaste tentative des partisans du “Grand Israël” de prouver l’assertion – dénuée de tout fondement – selon laquelle le mouvement des implantations aurait réussi à vider de son contenu le concept de 2 États et qu’il convient donc dorénavant d’instaurer la souveraineté israélienne sur l’ensemble des Territoires. On retrouve cette idée, ces derniers temps, dans des dizaines d’articles et discours. Elle prend son origine, soit dans un manque de connaissance de la situation réelle de l’entreprise de colonisation israélienne dans les Territoires, soit dans une tentative politique de déformation délibérée des faits pour donner l’impression qu’il n’y a plus d’autre choix possible.

Certes, au fil des ans, les colonies ont intriqué tout un réseau d’entraves dans les zones d’habitat rural palestinien, mais celles-ci n’ont pas réussi à former une prédominance juive susceptible de permettre une annexion unilatérale. Selon le Bureau central de Statistiques, les Israéliens dans les Territoires ne sont pas 400 000 comme le prétend à tort Dany Dayan, mais plusieurs dizaines de milliers voire plusieurs centaine de milliers de moins, pour peu qu’on se réfère aux 650 000 avancés par Benyamin Netanyahu il y a de cela un an aux États-Unis.

En fait, dans les blocs d’implantations [2] qui se déploient sur moins de 6% du territoire, vivent 85% des colons. Sur le reste du territoire, la dominante est clairement palestinienne. Le nombre d’Israéliens vivant en dehors des blocs de colonies ne représente que 2,6% de la population, alors que dans ces “blocs” il frôle les 95%.

Les constructions dans les implantations situées hors des “blocs” occupent moins de 0,4% des Territoires, soit 17 fois moins que la superficie des zones palestiniennes bâties. Dans les “blocs”, la surface construite israélienne est 6 fois plus importante que celle des Palestiniens en Cisjordanie. 89% des implantations sont en dehors des blocs de colonies et moins de 2 000 personnes y résident alors que dans ces mêmes blocs se trouvent les 3 grandes villes, telles Modi’in Illit, de 40 000 habitants ou plus chacune. On y trouve également les 15 agglomérations de près de 10 000 habitants, dont Efrat et Alfei-Menashé.

S’agissant de l’utilisation par les Israéliens des infrastructures routières, il convient d’insister sur le fait que ceux qui n’y résident pas les empruntent sur 293 km maximum, soit 10% des routes hors blocs de colonies (par exemple les routes 90 et 443), tandis que les colons en utilisent 19% de plus. Les 71 % de routes restantes sont uniquement fréquentées par les Palestiniens seuls. À l’intérieur des “blocs”, en revanche, 83% des routes sont à l’usage des Israéliens. C’est une situation de partition de facto qui prévaut.

93% des constructions dans les Territoires sont affectées à l’habitation et 85% des agglomérations sont totalement urbaines, sans zones industrielles ou agricoles. Dans les 14 zones industrielles israéliennes, la majorité des travailleurs sont des Palestiniens ; ces derniers atteignent presque les 95% dans les exploitations agricoles fertiles de la vallée du Jourdain. Cela signifie que la grande majorité des colons qui travaillent le font en Israël et n’auront donc pas à changer d’emploi lorsqu’un accord définitif sera conclu.

Plus encore, le nombre de chefs de famille qui devront se réintégrer en Israël, selon les propositions israéliennes et palestiniennes avancées à Annapolis, ne dépasseront pas les 30 000, alors que le stock d’unités d’habitation planifié est évalué ce jour à 10 fois plus.

De cet ensemble de données émerge une réalité tout autre que celle aperçue par l’Israélien qui traverse en coup de vent les Territoires sur une voie moderne et rapide construite au profit des colonies qu’elle dessert. Ce même Israélien ne voit pas la majorité palestinienne qui vit au delà de la colline – sous souveraineté israélienne depuis la première intifada au prix d’un investissement militaire et économique sans précédent. C’est cette majorité palestinienne que les partisans du “Grand Israël” s’efforcent aujourd’hui de masquer, tout en aspirant à l’éloigner dans l’avenir sur la rive est du Jourdain. C’est de cette même majorité palestinienne qu’Israël doit se séparer [3], le plus tôt étant le mieux !


NOTES

1] “Requiem pour une solution à 2 États du conflit israélo-palestinien » [.

[2] Rappelons qu’il s’agit des “blocs » limitrophes de la Ligne verte et densément peuplés d’Israéliens, tel le Goush Etzion aux portes de Jérusalem, qui devraient dans le cadre d’une négociation être l’objet d’un échange à 1/1 avec l’État palestinien.

[3] Shaul Ariéli n’entend nullement par là, est-il besoin de le préciser, de “transférer » qui que soit en Jordanie ou ailleurs, comme le rabbin Kahana avait été le premier à le réclamer – mais bien de répartir les deux peuples en deux États, chacun se retrouvant majoritaire dans le sien.