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Ha’aretz, 12 mai 2006

Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Cela a pris 30 ans à Ehoud Olmert et aux autres membres de Kadima venus du Likoud pour comprendre que le salut du sionisme passait par le partage de la terre. Les « petits princes » de la droite [[allusion à la génération des fils des dirigeants historiques de la droite (entre autres, Dan Meridor, Benny Begin, Tsahi Hanegbi, Ehud Olmert dans une moindre mesure, puis Tsipi Livni), qui arrivaient alors aux postes de direction du Likoud]], qui ne faisaient alors qu’entrer dans l’arène politique, traitaient ceux qui le disaient de traîtres. Aujourd’hui, il faut se poser la question : cela prendra-t-il 30 années supplémentaires à ceux qui dirigent le gouvernement pour comprendre qu’en fixant unilatéralement les frontières, et en « convergeant » derrière un mur destiné justement à déterminer ces frontières, on transforme un état de guerre temporaire en un état de guerre permanent ? Toute solution qui ne s’ancre pas dans un accord est vouée à mener à une impasse ou à un effondrement.

Ariel Sharon a voulu se retirer de Gaza, endroit où nous n’aurions jamais dû entrer, et l’a fait avec une génération de retard, mais il a continué à s’en tenir à un principe : ignorer les Palestiniens en tant qu’entité autonome. A ses yeux, le retrait de Gaza n’était pas destiné à poser les fondations d’un accord définitif, mais à fixer de nouvelles règles de conduite : Israël se retirerait des zones qui étaient devenues des fardeaux intolérables sur le plan de la sécurité, y compris Hébron, et annexerait les territoires qu’il déciderait d’annexer, selon ses besoins (réels ou imaginaires) : la région comprise entre Maaleh Adoumim et Jérusalem, celle entre le Goush Etzion et Efrat, les autres « blocs de colonies », dont Ariel, située à 25 km de la ligne Verte, et la Vallée du Jourdain, déjà déconnectée de la Cisjordanie.

Voilà le plan derrière l’idée de « convergence », que la gauche applaudit si fort, comme elle a applaudi au « désengagement », parce que cela va ramener à la maison des dizaines de milliers de colons qui vont sauter sur l’occasion, à la recherche de la bonne affaire. Personne ne veut penser au problème que poseront ceux des colons qui, par idéologie, refuseront de partir. Mais là n’est pas la question. Ce qui compte, c’est que le grand plan de Sharon, dans les mots comme dans l’esprit, n’est pas une victoire pour la gauche, mais une défaite. C’est une grande victoire pour le mouvement de la colonisation idéologique, dont les dirigeants ont toujours su qu’ils ne pourraient réaliser toutes leurs ambitions sur le Grand Israël, à moins d’expulser la population palestinienne ou de la réduire à une forme d’esclavage. Et ils savaient que c’étaient des solutions auxquelles Israël ne pourrait avoir recours.

Aujourd’hui, la vraie question est donc de savoir si le nouveau gouvernement aura l’intelligence de s’écarter des règles de conduite fixées par Sharon. Il n’y a rien à sauver de « l’héritage de Sharon », car à tous les niveaux, il ignore les Palestiniens. Il est vrai qu’avoir le Hamas au pouvoir crée un obstacle supplémentaire, mais cette situation nouvelle sert aussi d’alibi facile, comme c’était le cas pour l’attitude d’Israël vis-à-vis de l’OLP avant les accords d’Oslo.

Il est vrai que le pire ennemi des Palestiniens a toujours été les Palestiniens eux-mêmes, mais en même temps, ils continuent à entraîner Israël dans des impasses. Le rôle d’un gouvernement prévoyant est de stopper cette détérioration et d’offrir aux dirigeants de l’Autorité palestinienne un gilet de sauvetage. Jusqu’ici, Israël a testé toutes les méthodes à l’égard des Palestiniens, sauf une : un peu de générosité. D’Oslo à aujourd’hui, aucun gouvernement israélien n’est arrivé à prouver aux Palestiniens des territoires que la reconnaissance mutuelle servirait leurs intérêts. Les sanctions imposées aux Palestiniens après l’élection du Hamas n’a produit aucun résultat, sinon celui d’affamer la population.

C’est ici qu’intervient le nouveau Parti travailliste. L’actuelle coalition peut passer dans le livre d’or de l’Histoire, ou se fracasser. Cela dépend de trois éléments : la volonté sincère des membres du Likoud venus à Kadima sous la direction d’Olmert, de mettre fin à cette guerre ; la loyauté du Parti travailliste à son programme et à ses électeurs ; et la capacité du gouvernement à prévoir et à lire la carte dans sa globalité.

Le troisième élément est, semble-t-il, le plus simple. Le mandat de George Bush se termine officiellement dans deux ans et demi. Mais dès début 2008, il sera carbonisé. Et même aujourd’hui, la cote de Bush atteint des records d’impopularité inconnus depuis la pire époque de Jimmy Carter. Il est donc raisonnable de penser que le début de la campagne présidentielle américaine, quels que soient les deux candidats, marquera la fin du règne des néo-conservateurs à Washington. Avec l’élection d’un nouveau président, dont le souci principal sera de sortir d’Irak, l’enthousiasme de l’Amérique pour la politique de la force brute d’Israël s’amenuisera sans doute. De plus, les Américains moyens ont commencé à comprendre qu’ils ne sont pas seuls au monde. ( …)

Il faut donc, le plus rapidement possible, formuler une politique rationnelle, dont l’objectif soit de parvenir à un accord global. Accord qui ne réalisera les rêves d’aucun des deux côtés, mais avec lequel on pourra vivre.